Intervention de Jean Pisani Ferry

Réunion du mercredi 28 juin 2023 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean Pisani Ferry, économiste :

Je vous remercie de nous accueillir aujourd'hui. Nous sommes très heureux d'avoir cette occasion de présenter notre travail et de dialoguer avec vous.

Vous avez rappelé à juste titre que notre rapport s'ouvre en précisant que le coût de l'inaction est supérieur au coût de l'action pour le climat, lequel n'est pas non plus négligeable. L'enjeu de l'action climatique est effectivement de l'ordre d'une révolution industrielle. De 1800 à 2050, la composition de l'offre mondiale d'énergie témoigne de l'accélération forte qu'il convient de réaliser si l'on veut atteindre la neutralité carbone en 2050.

Cette révolution est beaucoup plus rapide que les précédentes et sera guidée par les choix publics et non pas par la technologie ou l'initiative privée. Sur le long terme, nous avons de bonnes raisons d'être optimistes : la baisse du coût des énergies renouvelables projetée sera très impressionnante. La capacité à réorienter le progrès technique a d'ailleurs été déjà démontrée par la chute plus rapide que prévue de ces coûts. Cela peut nous permettre un avenir qui n'est pas fait de souffrances, mais dans lequel la transition écologique fournira l'occasion de trouver des technologies sans doute plus efficaces que celles que nous avons eues jusqu'à présent et qui reposaient sur la disponibilité des combustibles fossiles.

Néanmoins, la transition ne sera pas simple non plus. Elle repose sur trois mécanismes principaux : la réorientation du progrès technique, dont j'ai déjà parlé, la sobriété, mais surtout la substitution de capital aux énergies fossiles.

Nous avons essayé de mettre en œuvre une approche économique de la transition climatique. La discussion sur ce sujet est en effet facilement confuse. Elle repose entre autres sur la volonté de sobriété, qui est philosophiquement intéressante : la croissance ce n'est pas le but de l'activité. Sortir de l'obsession de l'accumulation matérielle, en tout cas dans des sociétés avancées, est une bonne chose, mais les discussions sur les implications économiques de la transition écologique manquaient de clarté, selon nous.

Nous nous sommes donc attachés à clarifier ce point, en soulignant trois sujets principaux. Le premier concerne la réorientation du progrès technique, qui consiste à investir dans les champs suivants : l'innovation et la recherche de nouveaux procédés. Cet investissement s'est déjà avéré payant.

Le deuxième sujet est relatif à la sobriété, c'est-à-dire la réduction de la consommation d'énergie qui ne résulte pas de gains d'efficacité énergétique. Cela peut nécessiter par exemple de recourir à des modes de déplacements différents, à diminuer la température dans les logements ainsi que la consommation de viande.

Le troisième sujet porte sur la substitution de capital aux énergies fossiles. L'investissement doit être au départ consenti. Cet effort n'a pas de rendement immédiat, mais, graduellement, l'investissement se traduira par une économie de coûts d'exploitation. C'est un mécanisme générique, qu'il s'agisse de l'investissement dans les énergies renouvelables, du nucléaire, de la voiture électrique ou de l'isolation des bâtiments en règle générale.

Cet investissement deviendra progressivement producteur de bien-être, selon des modalités assez inédites. En effet, les investissements visent habituellement à accroître les capacités de production ou à améliorer la productivité du travail ou du capital. En l'espèce, ce n'est pas le cas. Dans un premier temps, la hausse de l'investissement n'induira ni augmentation des capacités de production, ni accroissement de la productivité. Il y aura probablement un effet négatif, que nous avons chiffré avec beaucoup d'imprécision, mais qui devrait aboutir à la diminution d'un quart de point de croissance de la productivité du travail sur la période de transition, soit dix ans.

Ensuite, nous nous sommes efforcés de recenser les investissements appelés par la transition écologique, en rappelant que le mécanisme principal repose sur la substitution du capital aux énergies fossiles. Ces investissements reposent en grande partie sur les bâtiments : sur les 60 à 70 milliards envisagés, une cinquantaine portent sur les bâtiments. Il s'agit donc d'un effort important.

Le reste des investissements concerne les transports, secteur où peu a été fait jusqu'à présent. Nous émettons une hypothèse sur la diminution de la flotte de véhicules, avec le développement d'une alternative à la voiture individuelle. Naturellement, cette hypothèse peut être contestée. L'investissement des entreprises est de l'ordre de 13 milliards, soit un montant relativement modeste.

D'un point de vue macroéconomique, j'ai déjà indiqué qu'il s'agissait d'investir plus pour produire la même chose. En matière de distribution des efforts, la transition est spontanément inégalitaire. Le taux d'effort, soit le montant de l'investissement divisé par le revenu, est élevé sur le logement et la voiture, y compris pour les classes moyennes (une année de revenus) et les classes populaires (deux années de revenus).

Cela renvoie à la question de l'impératif d'équité devant la transition écologique, qui impose une réflexion, non seulement en France mais aussi à l'étranger. Une partie de l'Allemagne s'est récemment révoltée face à l'obligation de changer de chaudière. Ce sujet de l'équité est exigeant : il ne s'agit pas de l'équité au sens traditionnel, c'est-à-dire la répartition des revenus et de la richesse, mais de la contribution de chacun et de l'effort collectif pour la survie de la planète. Elle s'assimile d'une certaine manière à la conception de l'équité en temps de guerre, fondée sur une juste répartition des efforts et sur l'absence d'exonération.

Par conséquent, cela nous conduit à évoquer la contribution directe des finances publiques au financement de cette transition. Il est ainsi possible d'avoir soit une contribution directe des finances publiques, soit des approches d'ingénierie financière pour essayer de donner accès au crédit dans de bonnes conditions à des ménages.

Poste par poste, nous avons regardé comment pourrait se répartir l'effort entre le public et le privé. Pour les bâtiments publics, les efforts seraient publics ; le financement pour le tertiaire privé serait essentiellement privé. Pour les autres postes, un partage plus ou moins important est effectué. Au total, 50 % des efforts seraient assumés par les finances publiques.

Comment financer les dépenses d'investissement ? Plusieurs solutions existent et elles devront faire l'objet d'un choix, dont vous serez conduit à débattre.

La première possibilité porte sur le redéploiement des dépenses publiques, et en particulier des dépenses brunes. Aujourd'hui, 10 milliards sont dépensés par l'État, dans une acception étroite de ces dépenses brunes. Par exemple, le fuel aérien non taxé n'est pas compté dans ces 10 milliards. En effet, il ne s'agit pas d'une niche, ni d'une dérogation fiscale. Cependant, vous savez à quel point il est difficile de s'y attaquer : dans ce domaine, le courage, y compris politique, peut manquer. Quoi qu'il en soit, le redéploiement des dépenses publiques nous semble être le premier levier évident.

D'autres solutions relèvent de l'ingénierie financière, c'est-à-dire de la possibilité d'améliorer les conditions de financement de cet investissement pour le logement et la voiture. Elles permettent à des ménages d'avoir accès à des financements privés. Je pense notamment au leasing pour les véhicules électriques, même si cette formule ne rencontre pas un grand succès pour le moment. D'autres mécanismes peuvent également être envisagés.

Les deux autres solutions disponibles concernent l'endettement et les prélèvements obligatoires. Notre rapport estime qu'il ne faut pas exclure le recours à l'endettement public. S'il existe des raisons de vouloir éviter l'endettement, le climat n'en fait pas partie. En matière climatique, les investissements ont un taux de retour assez faible, ce qui entraîne une période d'amortissement longue. Dans le cas des collectivités territoriales, les investissements porteront sur la rénovation des bâtiments publics, notamment le changement du vecteur de chauffage.

Le rendement de cet investissement ne permettra pas un retour sur investissement avant une vingtaine d'années au minimum. Cependant, il est possible de construire sur ces caractéristiques un véhicule financier d'endettement. En achetant un titre particulier pour le financement de la rénovation des bâtiments publics, le rendement identifié sera gagé sur les économies réalisées sur les dépenses de chauffage et de climatisation à base de combustibles fossiles.

L'autre source de financement porte selon nous sur une hausse temporaire des prélèvements obligatoires, qui a particulièrement retenu l'attention publique. Nous proposons ainsi un prélèvement exceptionnel et non récurrent sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés.

Il ne s'agit pas d'un « ISF vert », même s'il a été popularisé de cette manière. Il s'agit plutôt d'un prélèvement unique, explicitement non récurrent, calibré par rapport au montant du financement de la transition écologique. L'idée consiste ici à définir pour les différents ménages qui y seraient assujettis le montant du prélèvement. Cela serait générateur d'une dette vis-à-vis de l'administration fiscale, qui pourrait ensuite être acquittée selon différentes modalités. Il conviendrait alors d'agir de manière souple et étalée dans le temps, pour ne pas provoquer des cessions d'actifs massives.

Enfin, le sujet de la compétitivité est de très haute importance. L'Union européenne s'est portée aux avant-postes de la transition écologique, à travers un pari industriel : la transition économique doit permettre de construire une économie verte, en avance du reste du monde. Ce choix est notable et courageux. Néanmoins, des motifs d'inquiétudes demeurent. On a cru un peu trop vite que le jour où les États-Unis rejoindraient l'accord de Paris, ils le feraient selon les termes qui correspondent au choix européen. S'ils ont bien rejoint l'accord de Paris, ils ont cependant opéré un choix stratégique complètement différent : la convergence des ambitions n'est pas similaire à la convergence des stratégies.

Aujourd'hui, l'Union européenne s'est fixé un certain nombre de contraintes. Elle cherche à la fois à préserver sa compétitivité et à être championne du climat, de la discipline budgétaire et du multilatéralisme. Les contraintes qu'elle s'est données sont sans doute excessives en comparaison. Nous nous inquiétons ainsi du manque d'ouverture européenne sur ces sujets.

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