Intervention de Jean-François Carenco

Réunion du mercredi 7 juin 2023 à 14h30
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer :

Je suis content d'être parmi vous. J'avais d'ailleurs donné un avis favorable, à la surprise d'un certain nombre de personnes, à la création de votre commission d'enquête.

La feuille de route que m'ont donnée la Première ministre et le ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, depuis mon arrivée à la rue Oudinot, est de trouver les voies d'une action publique plus efficace, en lien avec les élus et les acteurs de terrain, pour répondre aux problèmes du quotidien. Cela passe, telle est ma conviction, par l'écoute et le dialogue. C'est ce que j'essaie de faire tous les jours à Paris ou, quelles que soient les difficultés de transport, lors de mes nombreux déplacements à la rencontre des acteurs locaux.

« Il y a de la grandeur dans la petitesse, dans les petites choses. Dans la moindre chose il y a de la grandeur à condition qu'à l'horizon il y ait un but », disait Aimé Césaire. C'est ce qui m'inspire. Mon objectif est de rétablir la confiance, d'impulser une nouvelle dynamique, un nouvel élan à même de faire rayonner, pour eux-mêmes d'abord et pour la République ensuite, tous les territoires ultramarins.

S'il est un problème qui pourrit au quotidien la vie des Ultramarins, c'est celui de la vie chère. Nos compatriotes font face à des prix élevés, voire très élevés, en tout cas trop élevés, pour se nourrir, se loger et se déplacer.

Cette cherté de la vie s'explique d'abord par une réalité simple qu'il est illusoire de nier : la géographie. Les territoires ultramarins sont marqués par des handicaps structurels liés à l'isolement, à l'insularité, à des reliefs difficiles et à la taille réduite des marchés. Il s'agit de lutter contre la vie chère, mais sans nier des phénomènes objectifs.

La vie chère résulte aussi d'autres facteurs qui ne sont pas immuables et qui ne doivent pas être considérés comme des fatalités : des marchés insuffisamment ancrés dans leur bassin ; une concurrence limitée dans certains secteurs ; des filières insuffisamment structurées ; une autonomie alimentaire insuffisante, donc à renforcer ; une protection de la production locale qui pèse aussi sur les consommateurs.

Le premier chantier, que j'ai lancé le jour de mon arrivée, est l'Oudinot du pouvoir d'achat, qui vise à lutter contre la vie chère. Les résultats sont là : nous avons un processus nouveau, itératif, qui n'a pas lieu simplement une fois par an, mais en continu, avec un bouclier qualité-prix (BQP) qui prend de l'ampleur en volume et en produits, et stabilise, voire réduit les prix, dans certains cas. On peut toujours faire plus, c'est une évidence. Sinon pourquoi serais-je là ? Mais je n'entends personne dire que l'Oudinot du pouvoir d'achat a été une régression. Ma philosophie est la suivante : tout progrès est bon à prendre, de même que tout euro économisé pour les plus précaires.

Ainsi la lutte contre la vie chère passe-t-elle d'abord par de nombreuses mesures qui, prises isolément, peuvent paraître pointillistes, mais qui, ensemble, répondent à l'objectif de soutenir le pouvoir d'achat de nos compatriotes. Il faut, en effet, rappeler les mesures complémentaires qui ont été décidées par le Gouvernement pour faire face à l'inflation :

– appliquer un plafonnement plus important, par rapport à l'Hexagone, de la hausse des montants des loyers dans les départements et régions d'outre-mer (DROM), les départements et régions d'outre-mer ;

– revaloriser de 5 % les subventions accordées aux collectivités ultramarines au titre de la restauration scolaire ;

– soutenir le redressement des compagnies aériennes en difficulté, condition indispensable pour que nos compatriotes puissent se déplacer, car il faut d'abord des avions ;

– ne pas appliquer les nouvelles règles de l'assurance chômage, parce que le marché du travail dans l'outre-mer diffère, évidemment et malheureusement, de celui de l'Hexagone ;

– rendre opérant le bouclier tarifaire dans l'outre-mer, y compris pour les grosses collectivités et les entreprises, grâce au plafonnement des tarifs réglementés de l'électricité ;

– augmenter la franchise des colis pour qu'un ultramarin résidant dans l'Hexagone puisse envoyer un cadeau sans que le destinataire ait à payer de l'octroi de mer ou des frais de dédouanement.

La méthode consiste à combiner tous les moyens possibles et à réunir les parties prenantes pour résoudre concrètement les difficultés et trouver à chaque fois les moyens d'un changement. La méthode de l'Oudinot du pouvoir d'achat n'est plus celle d'un simple bouclier qualité-prix (BQP) fixé une fois par an.

Je viens de mettre de nouveau en œuvre cette méthode dans l'aérien. Après un dialogue nourri, Air Caraïbes et French Bee, que je remercie, ont décidé d'appliquer une réduction commerciale ciblée sur les bénéficiaires de l'aide à la continuité territoriale, aide que j'ai par ailleurs revalorisée. Pour les Antilles, cela représente une réduction du prix du billet de 440 euros, quand on est éligible, alors que le soutien n'était que de 270 euros l'année dernière.

Cette méthode n'est sans doute pas spectaculaire, mais elle permet d'obtenir, pas à pas et peu à peu, des résultats concrets, palpables en ce qui concerne la hausse des prix. L'inflation outre-mer est d'ailleurs inférieure à celle de la métropole – et les résultats sont encore plus sensibles pour les produits alimentaires et l'énergie.

Même si elle est plus faible que dans l'Hexagone, cette inflation s'applique à des prix plus élevés. Aussi, je ne compte pas m'arrêter là : je souhaite m'attaquer aux causes structurelles de la vie chère.

Notre logiciel a trop longtemps été centré sur l'État et la dépense publique, pour compenser les handicaps naturels, permettre un rattrapage et parfois acheter la paix sociale. On voit ce que cela donne : je pense que ce n'est pas la bonne méthode. Cette logique est à bout de souffle. L'horizon de la jeunesse ne peut pas être le chômage, l'emploi public ou l'exil, mais le développement des territoires grâce à la valorisation des richesses endogènes – transition énergétique, tourisme, économie bleue, agriculture durable, commerce régional, lutte contre le changement climatique, protection de la biodiversité…

Pour cela, ma philosophie est de mettre l'accent sur la création de valeur. Elle seule permettra d'améliorer les conditions de vie dans nos territoires, d'offrir du pouvoir d'achat et des opportunités aux jeunes ultramarins, et d'attirer les talents qui contribueront au développement local. La création de valeur implique de développer les circuits courts, en soutenant, par exemple, l'autonomie alimentaire ou en renouvelant les flottes de pêche, ce que je n'ai pas réussi à faire pour l'instant. La création de valeur nécessite un changement de modèle économique : il faut davantage d'agilité pour les entreprises, une adaptation des formations professionnelles, un accroissement des échanges avec les pays voisins et une refonte de l'octroi de mer, dont nous parlerons peut-être.

La première condition de la création de valeur est de disposer de services publics et d'infrastructures de qualité, comme l'eau en Guadeloupe et à Mayotte, des ports capables d'accueillir une nouvelle gamme de navires dans les Antilles, des routes en Guyane et des liaisons aériennes répondant aux besoins des territoires. Telle est l'ambition des différentes contractualisations en cours et des négociations menées de manière permanente avec les acteurs de ces territoires.

La seconde condition est un logement accessible, pour tous, et du foncier aménageable pour les entreprises. J'aurai prochainement l'occasion de faire des propositions en la matière.

Pour lutter contre la vie chère et soutenir la création de valeur, j'ai besoin d'une identification précise des problèmes – d'où mon avis favorable à la création de votre commission d'enquête. Il faut également susciter une coalition d'acteurs pour relever les défis. Par définition, l'État ne crée pas, il pose le cadre et il essaie d'accompagner. Cela nécessite de mobiliser les pouvoirs publics locaux, mais aussi le secteur privé, et de ne pas décourager l'entrepreneuriat.

Je souhaite, par conséquent, que vos travaux contribuent à mieux classer les facteurs de la vie chère qui sont spécifiques aux outre-mer, sans tabou, à questionner les effets des politiques publiques conduites depuis de nombreuses années, mais aussi, parce que nul ne peut dire qu'il possède seul la vérité, à proposer des changements contribuant à soutenir le pouvoir d'achat, à diminuer tendanciellement les prix de vente aux particuliers et à soutenir le développement économique.

J'essaierai, au cours de cette audition, de rendre compte, au moins partiellement, de l'action du Gouvernement dans ce domaine depuis près d'un an.

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