Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du mercredi 21 juin 2023 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges, président :

C'est tout à la fois un grand honneur et un plaisir de vous accueillir, madame Esther Duflo. Vous êtes professeure au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et au Collège de France, et vous vous êtes vue décerner le prix Nobel d'économie en 2019.

Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue parmi nous et de vous remercier chaleureusement d'avoir bien voulu venir devant cette commission, malgré un agenda très chargé, afin d'échanger sur le sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui se déroulera demain et après-demain dans notre capitale et réunira quelque quarante chefs d'Etat et de gouvernement, ainsi que soixante-dix partenaires du secteur privé ou philanthropes et de nombreux représentants de la société civile et des organisations non gouvernementales (ONG).

Vous êtes très exactement la personne qui portez le message de nature à nous mobiliser pour comprendre en profondeur les enjeux d'un sommet dont nous approuvons la tenue et les orientations, et qui doit être apprécié à la lumière de considérations très profondes sur le développement actuel de l'humanité. Personne n'est davantage que vous en mesure de nous éclairer sur un certain nombre d'aspects liés à ce développement.

Pour ceux qui ne vous connaîtraient pas, je rappellerai à très grands traits que vous avez soutenu, en 1999, une thèse de doctorat au MIT intitulée « Trois essais sur l'économie empirique du développement », consacrée à l'évaluation économique des projets de développement. Fin 2012, vous avez intégré le President's Global Development Council, un organisme américain chargé de conseiller le président des États-Unis Barack Obama, ainsi que les hauts dirigeants de l'administration sur les questions de développement. En 2019, vos travaux sur la lutte contre la pauvreté ont été récompensés par le prix Nobel. Vous avez été titulaire de la chaire internationale du Collège de France sur les savoirs contre la pauvreté et, désormais, vous occupez depuis 2022 celle consacrée à la pauvreté et aux politiques publiques.

Même si vous n'avez pas été directement associée, me semble-t-il, à la préparation du sommet pour un nouveau pacte financier mondial, vos éminentes compétences vous désignaient tout particulièrement pour vous y exprimer, ce que vous ferez. Ce matin, nous souhaiterions connaître votre analyse sur le grand défi du financement international des besoins de développement des pays dits du Sud, dans un contexte de transition écologique accélérée et de finances publiques profondément dégradées.

Le sommet qui s'ouvrira demain a été annoncé en novembre 2022, à l'occasion du sommet du G20 et à l'issue d'une COP 27 au bilan que l'on peut qualifier de mitigé. Le but affiché par le président de la République, qui en a pris l'initiative, est de faire un point d'étape sur « toutes les voies et moyens d'accroître la solidarité financière avec le Sud ».

L'ambition est de parvenir à élaborer des solutions pour financer des enjeux allant de la question climatique jusqu'à l'accès à la santé et la lutte contre la pauvreté. La pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine et leurs conséquences en cascade ont en effet réduit l'espace fiscal et budgétaire de nombre de pays, affectant leur capacité à financer l'accès de leurs populations aux services sociaux de base. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) constatait ainsi, en 2022, un recul du développement humain dans neuf pays sur dix à travers la planète, principalement entraîné par la baisse de l'espérance de vie et la hausse de la pauvreté.

Quatre grands objectifs sont poursuivis à Paris : redonner un espace budgétaire aux pays les plus endettés ; développer le secteur privé dans les pays à faible revenu ; encourager l'investissement dans les infrastructures « vertes » dans les pays émergents et en développement ; enfin, mobiliser des financements innovants pour les pays vulnérables au changement climatique. En complément, un groupe d'experts de haut niveau, le One Planet Lab, sera chargé de formuler des propositions pour mobiliser des sources innovantes de financement.

L'enjeu est tout à la fois central et colossal. Certaines ONG chiffrent à au moins 1 000 milliards de dollars par an les sommes globales nécessaires à l'échelle mondiale pour lutter contre la pauvreté et les inégalités, et aussi pour faire face aux changements climatiques dans les pays en développement d'ici à 2030.

Nous nous posons, en vous recevant et sur la base de votre œuvre, des questions assez fondamentales auxquelles vous pourrez apporter des réponses. La première concerne le passé. Je vous ai ainsi entendu récemment souligner les succès relatifs que nous avons obtenu dans la lutte contre la pauvreté depuis une trentaine d'années, tout en pointant que la situation était désormais dégradée. Les choix qui ont été fait, notamment celui de la globalisation et d'une économie relativement ouverte ont-ils plutôt bien fonctionné ? Les échecs que nous rencontrons y sont-ils liés ? Sont-ils liés à d'autres éléments ? Pour paraphraser une formule célèbre, « Is it globalization, stupid ? ».

Ensuite nous rencontrons des difficultés particulières. Sommes-nous principalement incapables de nous extirper de l'esprit de de domination, la libido dominandi, qui se pose évidemment à travers la guerre en Ukraine ? Sommes-nous incapables de nous organiser politiquement ? On peut noter le déséquilibre entre l'intensification des échanges mondiaux et la fragmentation extrêmement préoccupante de l'autorité politique. Le multilatéralisme est aujourd'hui très profondément obéré par une souveraineté générale de tous les acteurs et une très grande difficulté à dégager des solutions publiques communes. Comment percevez-vous les leviers de mobilisation financière qui nous permettraient d'y faire face ?

Au-delà de ces analyses et interrogations assez générales que je viens d'évoquer, comment peut-on considérer qu'il existe des choses plus empiriques à réaliser ? Quels conseils donneriez-vous aux acteurs du développement pour essayer de rentabiliser un effort qui est politiquement difficile à mettre en œuvre, financièrement insuffisant et qui de surcroît n'est pas pleinement valorisé ?

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