Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du lundi 26 juin 2023 à 16h00
Partage de la valeur au sein de l'entreprise — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Cela a déjà été indiqué, si nous ne devions retenir qu'une donnée, ce serait celle tirée du rapport Oxfam : en dix ans, dans les cent plus grandes entreprises françaises cotées, la dépense par salarié a augmenté de 22 % et les versements aux actionnaires de 57 %. C'est la preuve d'un écueil majeur de notre système de répartition des richesses au sein des entreprises, et plus largement au sein de la société : en dépit de la volonté de développer des outils de partage de la valeur ces dernières années, nous touchons du doigt leurs limites. Nous ne pouvons demeurer indifférents, d'une part, à l'accroissement démesuré des rémunérations sous forme de dividendes et d'actions ; d'autre part, aux difficultés croissantes des salariés pour vivre des fruits de leur travail. Cette impasse doit au minimum nous pousser à nous interroger sur notre capacité à lutter réellement contre les injustices sociales.

Le présent projet de loi ne supprimera pas cet écueil. Néanmoins, notre groupe se satisfait de voir advenir un accord national interprofessionnel. Le dialogue social fonctionne bien lorsque nous laissons les partenaires sociaux négocier, d'autant que le partage de la valeur est essentiel pour accroître le pouvoir d'achat, préoccupation majeure de nos concitoyens, mais aussi pour tenir compte de l'évolution du rapport au travail et de la demande d'engagement au sein des entreprises.

Toutefois le présent projet de loi ne reprend pas toujours intégralement le contenu de l'accord national interprofessionnel, ce qui remet en cause son équilibre. Nous proposerons donc quelques ajustements. Si le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires soutient le développement du partage de la valeur, nous vous alertons sur deux points.

Tout d'abord, ces outils ne peuvent pas ni ne doivent se substituer aux salaires. Considérer que les problèmes de rémunération se régleront par ce biais serait erroné. Les primes ne constituent pas une politique salariale satisfaisante. Il conviendrait donc au moins de décorréler les négociations portant sur les salaires de celles relatives au partage de la valeur ; nous défendrons un amendement en ce sens. Il conviendra d'être très vigilants sur les effets d'aubaine : les effets de substitution de la prime Macron aux salaires sont par exemple importants ; ils ont empêché entre 15 et 40 euros d'augmentation salariale.

Autre problème, ces outils ne profitent pas à tous les salariés ni à toutes les entreprises, et le texte ne rendra pas ces primes automatiques. Enfin, le calcul des primes avantage parfois le haut de l'échelle des salaires plutôt que les plus petites rémunérations. Sur ce point, l'ANI propose toutefois des évolutions intéressantes. À l'inverse, alors que la prise en compte des résultats exceptionnels devrait constituer un point important du texte, elle ne donne lieu qu'à des dispositions timides ; rien ne garantit qu'elle aboutira.

Nos réserves s'expliquent également par la complexité de ces outils. Une réflexion sur les règles en matière de régime fiscal et social nous paraît nécessaire, pour les rendre plus accessibles, compréhensibles, mais aussi pour mesurer leur impact sur la sécurité sociale. En effet, la Dares – la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques – estime que les dépenses fiscales et sociales liées aux dispositifs de partage de la valeur ont réduit les recettes de la sécurité sociale de 8 milliards d'euros entre 2018 et 2022. C'est loin d'être anodin alors que les recettes manquent cruellement pour pérenniser notre modèle de protection sociale. Par ailleurs, la prorogation de régimes sociaux et fiscaux qui devaient être exceptionnels risque de poser quelques problèmes en matière d'égalité devant les charges publiques. Nous y reviendrons.

Notre groupe estime qu'une discussion sur le partage de la valeur dans les entreprises doit permettre d'envisager une plus grande conditionnalité des aides. Nous défendrons un amendement ayant pour objectif d'inscrire dans la loi la possibilité d'intégrer des critères RSE – responsabilité sociale des entreprises –, les critères financiers ne devant pas être les seuls à figurer dans les accords. Dans le même esprit, la prise en compte des résultats exceptionnels dans le texte nous paraît encore timide et gagnerait à être plus encadrée, de même que la définition de ces résultats, qui demeure assez élastique.

Ces remarques faites, notre groupe soutiendra le projet de loi.

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