Intervention de Olivier Dussopt

Séance en hémicycle du lundi 26 juin 2023 à 16h00
Partage de la valeur au sein de l'entreprise — Présentation

Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion :

Au mois de septembre dernier, j'ai saisi les partenaires sociaux en leur demandant d'ouvrir une négociation interprofessionnelle sur le partage de la valeur au sein de l'entreprise. Cette discussion a abouti à un accord national interprofessionnel (ANI) majoritaire, signé le 10 février 2023, relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise. Lors de l'ouverture de la négociation entre les partenaires sociaux, le Gouvernement s'était engagé à transcrire fidèlement l'accord, si les discussions aboutissaient. C'est ce que propose ce projet de loi.

Nous sommes fiers de vous présenter des mesures concrètes pour revaloriser le travail et mieux associer les salariés aux résultats de l'entreprise. Les dispositions du projet de loi s'inscrivent dans la continuité de l'action que nous menons depuis 2017 pour revaloriser le travail, au bénéfice du pouvoir d'achat des ménages. La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises – loi Pacte – a simplifié la conclusion d'accords d'intéressement et de participation dans les PME. Plus récemment, la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat a facilité le recours à l'intéressement dans les PME et a créé une nouvelle prime de partage de la valeur – PPV.

Le présent projet de loi de transposition permet d'aller plus loin. À trois égards, il fait évoluer les obligations de partage de la valeur au sein des entreprises, au profit des salariés.

D'abord, les signataires de l'accord ont voulu faire de la classification une question importante. Au sein des branches, les organisations doivent en effet se réunir tous les cinq ans pour examiner la nécessité de renégocier les classifications dans le cadre des conventions collectives. En pratique, en 2021, l'ancienneté moyenne des grilles était d'environ douze ans. C'était donc un frein à la dynamique des salaires et à la lisibilité des progressions de carrière au sein des branches, qu'il fallait lever. C'est pourquoi, à l'initiative des partenaires sociaux, le premier axe du projet de loi prévoit, d'ici le 31 décembre 2023, l'ouverture d'une négociation en vue d'examiner la nécessité de réviser les classifications, au sein des branches n'ayant pas procédé à cet examen depuis plus de cinq ans. Cette mesure concrète améliorera les rémunérations et valorisera davantage les parcours professionnels des salariés dans un contexte d'inflation.

Ensuite, le projet de loi développe les dispositifs existants de partage de la valeur dans les petites et moyennes entreprises. En effet, l'application des dispositifs de partage de la valeur est trop inégale et à l'avantage des plus grandes entreprises. Ainsi, en 2020, 70 % des salariés des entreprises de plus de cent salariés disposaient d'un accès à un dispositif de participation, contre 3 % des salariés des entreprises de moins de neuf salariés, et 6 % des salariés de celles comptant entre dix et quarante-neuf salariés. De fait, les entreprises de moins de cinquante salariés ne sont pas soumises à l'obligation de disposer d'un dispositif de participation. Par cet accord, il s'agit d'aller plus loin pour développer le partage de la valeur dans les petites entreprises, grâce à quatre dispositifs essentiels.

D'abord, le projet de loi donne la possibilité aux entreprises de moins de cinquante salariés de négocier par accord de branche ou d'entreprise des formules dérogatoires à la formule légale de participation. La formule légale peut constituer un frein au développement du partage de la valeur dans les petites entreprises. Le projet de loi introduit une souplesse pour les plus petites entreprises, ce qui facilitera la conclusion d'accords de participation.

Par ailleurs, en vue de généraliser le dispositif de partage de la valeur dans les petites entreprises, celles de onze à cinquante salariés devront instaurer un tel dispositif, dès lors qu'elles auront réalisé un bénéfice net fiscal positif supérieur à 1 % de leur chiffre d'affaires pendant trois années consécutives. En effet, pourquoi les entreprises de plus de cinquante salariés devraient-elles absolument mettre en ?uvre un tel dispositif de partage de la valeur, et pas celles de moins de cinquante salariés, qui le peuvent ? Il y avait là un manque, que cet accord et le projet de loi proposent de combler.

Le troisième dispositif prévoit que les entreprises de plus de cinquante salariés auront jusqu'au 30 juin 2024 pour négocier des conséquences en matière de partage de la valeur en cas de bénéfice exceptionnel.

Enfin, l'accord prévoit que le dispositif d'exonération fiscale sur la prime de partage de la valeur, applicable aux salariés dont la rémunération est inférieure à trois Smic, sera prolongé jusqu'au 31 décembre 2026 dans les entreprises de moins de cinquante salariés.

Ce sont des mesures concrètes qui visent à étendre les dispositifs de partage de la valeur aux PME, afin qu'ils s'appliquent dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, et à remédier à l'inégalité entre les salariés des petites et des grandes entreprises.

Au-delà de cet aspect, le projet de loi crée de nouveaux outils pour rénover certains dispositifs. Il s'agit d'abord du plan de partage de la valorisation de l'entreprise d'une durée de trois ans, instauré par accord et s'appliquant à l'ensemble des salariés ayant au moins un an d'ancienneté. Les salariés pourront bénéficier d'une prime dans le cas où la valeur de l'entreprise a augmenté sur les trois années de la durée du plan. Cet outil innovant intéresse financièrement les salariés à la croissance de la valeur de l'entreprise, et les fidélise.

Le projet facilite également l'utilisation de la PPV, créée par la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat. Par exemple, les entreprises pourront désormais verser jusqu'à deux primes par an au lieu d'une seule, et la prime pourra être versée sur un plan d'épargne salariale afin que les salariés bénéficient d'une exonération fiscale pour les sommes bloquées.

De manière plus générale, le projet de loi prévoit une série de simplifications et d'assouplissements, comme la sécurisation du versement d'avance par trimestre pour la participation et l'intéressement.

Enfin, le projet de loi développe l'actionnariat salarié, puisqu'il prévoit de rehausser les plafonds de versement d'actions gratuites de 10 à 15 % du capital social pour les grandes entreprises et les ETI – entreprises de taille intermédiaire –, et de 15 à 20 % du capital social pour les PME.

Pour conclure, je souhaite souligner que les avancées du présent projet de loi sont issues d'une méthode claire, voulue par le Gouvernement, consistant à confier cette discussion aux partenaires sociaux. Je le disais en introduction, au mois de septembre dernier, j'ai invité les partenaires sociaux à engager une négociation nationale interprofessionnelle pour améliorer les dispositifs de partage de la valeur, sur la base d'un document d'orientation. Celui-ci les invitait à négocier, d'une part, pour renforcer le partage de la valeur entre travail et capital au sein des entreprises, d'autre part, pour améliorer l'association des salariés aux performances de l'entreprise.

Le présent projet de loi est la traduction d'un exercice de démocratie sociale. Lorsque cette discussion était seulement envisagée, on nous avait prédit qu'elle échouerait de manière certaine, au moment même où d'autres négociations importantes étaient menées en parallèle. Pourtant, le dialogue social a eu lieu, ne s'est pas interrompu et a permis d'aboutir à la conclusion de l'ANI le 10 février, signé par les trois organisations patronales représentatives – le Medef, la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) et l'U2P (Union des entreprises de proximité) – et par quatre des cinq organisations syndicales représentatives – la CFDT, la CFTC, FO et la CFE-CGC. Je souhaite saluer leur travail et leur esprit de consensus. C'est la preuve que le dialogue social permet de construire des solutions concrètes, consensuelles, au bénéfice direct des Français, sur des sujets qui font l'objet d'une forte attente.

Cette méthode se poursuit au Parlement. J'espère que la démocratie parlementaire saura conserver les équilibres du présent texte, issu de la démocratie sociale. Je salue les travaux menés par le rapporteur Louis Margueritte, mais également par d'autres députés, comme Eva Sas, dans le cadre de la mission d'information sur l'évaluation des outils fiscaux et sociaux de partage de la valeur dans l'entreprise, dont ils étaient corapporteurs.

Le texte, tel qu'il a été voté par la commission des affaires sociales, démontre l'attachement des députés à l'équilibre du texte et donc au respect de l'accord. Par souci de cohérence, le Gouvernement souhaite que cet équilibre soit préservé à l'issue de l'examen en séance. Cela ne signifie pas qu'il est impossible de l'améliorer, mais, comme je l'ai dit en commission, nous souhaitons que les signataires de l'accord soient favorables aux améliorations proposées. Telle est notre méthode, qui vise à garantir le respect du résultat du dialogue social, mais aussi de l'engagement à réaliser une transposition intégrale et fidèle.

Par ailleurs, certaines stipulations de l'accord n'apparaissent pas en tant que telles dans le projet de loi ; cela a été justifié par certains partenaires sociaux signataires. Nous avons considéré qu'il s'agissait de mesures qui ne nécessitaient pas de transposition législative car elles pouvaient être d'ordre réglementaire, relever de la pratique ou bien être satisfaites par le droit – je pense notamment au principe de substitution. Je salue le dépôt par votre rapporteur d'amendements visant à rétablir l'équilibre du texte, sans remettre en cause l'article L. 3312-4 du code du travail, prévoyant le principe de non-substitution.

Je pense également à la question de la définition des bénéfices exceptionnels. Sur ce point, l'ANI stipulait qu'elle relevait de l'employeur. En accord avec les partenaires sociaux signataires, nous avons proposé une nouvelle rédaction, qui propose de renvoyer la définition des résultats exceptionnels à une négociation et à un accord d'entreprise. Le travail doit se poursuivre sur cette proposition, étant donné qu'un risque juridique a été soulevé. Des amendements ont ainsi été déposés en ce sens, visant à apporter des précisions, conformément à l'avis du Conseil d'État et dans le respect de l'accord signé.

La commission des affaires sociales, à l'initiative du rapporteur et du groupe Écologiste – NUPES, a souhaité avancer à 2024 l'obligation de mise en place d'un dispositif de partage de la valeur pour les entreprises de onze à cinquante salariés. Le Gouvernement ne proposera pas de revenir sur cette disposition à l'occasion de l'examen du texte en séance.

En conclusion, la volonté de partager la valeur créée par les entreprises répond à deux demandes importantes des Français. Il s'agit d'œuvrer davantage pour le pouvoir d'achat des salariés, afin de faire face à l'inflation, mais aussi de répondre à une forte demande de participation des salariés dans la marche de leur entreprise, aspiration qui rejoint le désir de démocratie au travail. Par ce projet de loi et grâce à cet accord, nous nous donnons les moyens d'atteindre ces objectifs. C'est un projet de loi équilibré, issu d'une concertation, qui crée une solidarité accrue entre le capital et le travail. Je vous invite donc à adopter le présent projet de loi et, ainsi, à transposer fidèlement l'accord national interprofessionnel du 10 février 2023 relatif au partage de la valeur.

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