Intervention de Dominique Potier

Réunion du mercredi 14 juin 2023 à 9h35
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur :

Je suis heureux de vous présenter, avec Mélanie Thomin, cette proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, qui sera bientôt constituée de trente membres, comme le règlement de notre Assemblée le prévoit. Trois faits récents, qui ont rappelé les effets toxiques des produits phytosanitaires pour la santé humaine et environnementale, expliquent que l'opposition ait décidé d'utiliser son droit de tirage.

Tout d'abord, le collectif de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a à nouveau souligné dans son rapport actualisé de 2021 la forte présomption d'un lien entre l'exposition aux pesticides et la survenue de maladies neurodégénératives.

Ensuite, une étude publiée en mai dernier a révélé l'effondrement de la biodiversité.

Enfin, diverses publications ont alerté quant à la dégradation de la qualité des eaux superficielles et des nappes phréatiques. Si cette dégradation est aussi le fait des polluants éternels, elle est surtout due à une pollution d'origine agricole par les pesticides et les biocides. Dans ces conditions, les méthodes d'épuration fondées sur la dilution seront complexes à appliquer en cas de stress hydrique.

Depuis 2009, la France, dans la dynamique des règlements européens, a mis en œuvre un plan Écophyto. La Première ministre en a annoncé la quatrième version au salon de l'agriculture. Les bienfaits sont multiples. Ainsi, le programme Certiphyto a permis de former les agriculteurs et de mener une campagne de prévention massive. Le fonds Phyto-Victimes a été créé en 2019 et son bilan a été unanimement salué par la commission des affaires sociales, lors de sa présentation par la Mutualité sociale agricole.

Surtout, la grande majorité des molécules les plus nocives, dites CMR –cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction – ont été retirées grâce à la mission dévolue à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) par une décision politique majeure prévue dans la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt de 2014.

Le réseau des 3 000 fermes Déphy est une réussite. Ce laboratoire vivant a démontré que l'on pouvait réduire la pression pesticide de 26 % sans altérer le revenu des agriculteurs.

Enfin, des solutions dites de biocontrôle et de programme de recherche inédits sont développées.

Ces résultats restent cependant très insuffisants et éloignés des objectifs fixés. Non seulement nous sommes en retard mais surtout, nous continuons à utiliser massivement des produits chimiques. Pire, la révolution culturelle qui semblait acquise quant à la nécessité de s'affranchir de notre dépendance aux produits phytosanitaires est remise en cause dans le contexte des tensions consécutives à la guerre en Ukraine et à la concurrence déloyale sur le marché mondial. La logique productiviste est de retour dans les discours publics et privés.

D'autre part, l'expérimentation des certificats d'économie des produits phytosanitaires, inspirée par une proposition du rapport que j'avais remis au Premier ministre en 2014, a été remise en cause par la décision de séparer la vente du conseil en matière de produits phytosanitaires, prise dans la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Egalim. Cette mesure, sans doute prise de bonne foi, n'est pas jugée efficace par la majorité des parties prenantes. Je serai chargé, avec Stéphane Travert, de l'évaluer dans le cadre d'une mission d'information.

Pire, les missions de l'Anses, chargée de protéger les populations et l'environnement, prévues à l'article L. 1313-1 du code de la santé publique sont remises en cause. Il en est de même du règlement européen relatif à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.

Ces dérives justifient que nous demandions la constitution d'une commission d'enquête pour rétablir la vérité et éclairer l'avenir.

La commission d'enquête visera à identifier les causes structurelles et conjoncturelles de l'incapacité à atteindre les objectifs du plan de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale, en particulier depuis une décennie et le rapport de l'Inserm. Elle s'attachera notamment à mesurer la pertinence du pilotage interministériel des priorités d'actions dans les filières et les territoires. Elle visera à rendre visible le jeu des acteurs incarnant la puissance publique et des représentants des intérêts privés dans la définition des objectifs opérationnels et la mise en œuvre des moyens afférents. Elle portera un regard singulier sur les enjeux propres au statut et à la mission des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire et de la recherche. Elle évaluera la performance de l'allocation des crédits publics affectés et la cohérence budgétaire et réglementaire avec l'ensemble des politiques publiques incidentes (politique agricole commune et plan stratégique national, alimentation, santé, commerce extérieur, droit foncier, eau, industrie…). Elle dressera un tableau des coopérations opérationnelles qui sont engagées à l'échelle européenne. Elle observera comment est intégrée l'approche One Health afin de permettre un déverrouillage systémique de ce qui fait encore aujourd'hui obstacle à la réussite du plan Écophyto.

Enfin, la commission d'enquête sera attentive à la capacité de la France à relever le triple défi de la garantie de la souveraineté alimentaire et du revenu des agriculteurs, de l'impact du dérèglement climatique sur le plan phytosanitaire et de l'adéquation à l'ambition du règlement européen dit SUR.

Depuis que vous m'avez nommé rapporteur, la semaine dernière, il a fallu procéder à quelques vérifications. Le garde des Sceaux, par un courrier du 13 juin, a indiqué qu'aucune procédure judiciaire en cours ne serait de nature à entraver ou limiter les travaux de cette commission d'enquête. Nous nous sommes également assurés qu'aucun travail parlementaire récent n'avait été réalisé sur le sujet, qui aurait rendu superfétatoire cette commission. La dernière commission d'enquête sur ces questions, qui remonte à 2019, concernait le chlordécone, utilisé en Martinique et en Guadeloupe.

La commission d'enquête devra rendre ses travaux dans six mois

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