Intervention de Jean-François Carenco

Réunion du lundi 5 juin 2023 à 14h05
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-François Carenco, ministre délégué :

Les données récentes de l'exécution budgétaire sont encourageantes, mais le montant des restes à payer de la mission pose la question de la capacité à concrétiser les projets engagés – il s'agit de notre capacité collective, celle des collectivités locales comme de l'État, puisque nous définissons les projets ensemble. Le même problème se pose, au-delà de la mission Outre-mer, pour l'ensemble des dispositifs des autres ministères, mais aussi pour la gestion des fonds européens – le cas de Mayotte est tout à fait symbolique.

Face à cette situation, le diagnostic me semble partagé : il faut renforcer les moyens d'ingénierie mis à la disposition des territoires d'outre-mer, afin de permettre à ces derniers de mener à bien les opérations structurantes nécessaires à leur développement. Il s'agit d'une problématique d'ensemble, qui nécessite d'agir à plusieurs niveaux. La solution, in fine, ne viendra pas de l'État, mais du fait que chacun se prenne en main.

Premièrement, le déficit d'ingénierie est lié à des difficultés intrinsèques à beaucoup de collectivités ultramarines. Le faible taux d'encadrement limite la capacité de nombre d'entre elles à concevoir les projets et à les mettre en œuvre. Les difficultés financières de beaucoup de collectivités, liées à une masse salariale trop élevée par rapport à leurs recettes – pour des raisons dont nous pourrions discuter, mais qui ne soulèvent pas de désaccords – les empêchent de recruter les agents de catégorie A dont elles ont besoin. Les effectifs dans les hôpitaux de Pointe-à-Pitre et de Fort-de-France en fournissent une illustration parfaite – mais la réintégration et le départ volontaire se passent bien.

Une première solution à ce problème résultera de l'amélioration de la situation financière des collectivités. C'est le sens, en particulier, des Corom, qui incluent un volet d'assistance technique pour aider les communes signataires à améliorer leur gestion et à retrouver des marges. Cette année, grâce au vote de votre assemblée, nous augmenterons le nombre de bénéficiaires des Corom, au-delà du SMGEAG, d'une petite dizaine ; les négociations sont en cours.

Dégager des marges financières pour recruter des agents plus qualifiés est la première condition, mais elle n'est pas suffisante. Le vivier en matière d'ingénierie est aujourd'hui trop limité. Il faut à mon sens agir sur la formation des agents des collectivités. De beaux parcours de progression des catégories C à B, et B à A, sont possibles. Le CNFPT a un rôle essentiel à jouer dans la promotion et la formation des agents sur place ; je souhaite signer avec lui un contrat fort, quitte à y mettre un peu d'argent – que vous me donnerez lors de la discussion budgétaire…

Deuxièmement, l'offre privée d'ingénierie peine à émerger. Une partie de l'explication réside dans les difficultés financières du principal client, les collectivités, dont les délais de paiement fragilisent leurs prestataires. Nous essayons – c'est difficile, mais je pense y arriver au sein du comité interministériel des outre-mer – de créer un système d'affacturage inversé : tout titulaire d'une créance sur une collectivité locale pourrait se retourner vers un organisme ad hoc et celui-ci, dont les créances seraient garanties par le ministère, se retournerait vers le débiteur. Cela peut rassurer des sociétés privées et des fournisseurs des collectivités comme des hôpitaux.

Il est également nécessaire de recourir à des politiques d'attractivité pour faire venir dans les territoires d'outre-mer les cadres qualifiés du public comme du privé. Nous en discuterons dans le cadre de la proposition de loi visant à renforcer le principe de la continuité territoriale en outre-mer. Je travaille avec le nouveau directeur général de Ladom et les présidents de collectivités pour permettre le retour des compétences. J'espère doubler le financement de Ladom, je l'ai dit, en deux ou trois ans. Ce serait une sorte de Bumidom (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer) inversé ! En revanche, les dispositifs d'aide à l'installation devront émaner des collectivités, dont c'est la compétence.

L'État, quant à lui, intervient par le dispositif Cadres d'avenir, encore récent mais qui donne de premiers résultats prometteurs : des étudiants et des professionnels à fort potentiel sont sélectionnés et accompagnés financièrement pour effectuer une formation universitaire, à condition de revenir exercer ensuite dans leur territoire. Tous les territoires sauf deux sont couverts. Je souhaite par ailleurs, dans le cadre de la redéfinition des missions de Ladom, que l'agence se positionne concernant une aide à l'installation pour les porteurs de projets créateurs de valeur en outre-mer.

Enfin, l'État propose des outils d'assistance technique… qui sont à peu près incompréhensibles. Leur finalité est double : combler le déficit d'ingénierie pour mener à bien les projets d'aujourd'hui, mais aussi former les agents des collectivités pour qu'ils puissent conduire les projets de demain. L'assistance technique a permis d'atteindre des résultats encourageants, mais insuffisants, notamment dans le cadre du fonds outre-mer, l'outil de mon ministère en la matière, doté de 10 millions par an.

Ces dispositifs d'assistance technique sont nombreux et leur coordination pourrait être améliorée. Le renforcement des moyens d'ingénierie des collectivités est un axe de la politique que j'entends, avec Gérald Darmanin, mener sur l'ensemble du territoire. Elle prend de l'ampleur grâce à la création récente de l'ANCT, qui a vocation à jouer un rôle de chef de file, mais dont le positionnement ne me semble pas adapté aux problématiques d'outre-mer. Elle propose en effet une offre d'ingénierie pour l'amont des projets, sur des durées courtes. Or, en outre-mer, le besoin en ingénierie se situe aussi bien en amont, au stade de la conception des projets, qu'en aval, au stade de leur mise en œuvre et des financements, et concerne plutôt des prestations longues, tirant profit de l'inclusion des personnels sur place.

Les dispositifs existants se heurtent en outre à des problèmes de recrutement. J'essaye d'obtenir, et je pense l'emporter même si le ministère des affaires étrangères n'y est pas favorable, que l'on crée des centres d'Expertise France, dotés de moyens en personnel pérennes – trois ans au minimum – par l'AFD ou le Cerema, au moins en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, pour assurer une offre d'ingénierie sans appels d'offres, afin de ne pas perdre de temps. Ainsi, les dispositifs seraient sur place, mobilisables librement à la demande des collectivités. C'est une proposition forte du comité interministériel des outre-mer. Les réflexions et les arbitrages sont en cours. Je comprends assez mal les interrogations du ministère des affaires étrangères à ce sujet, puisque mon ministère paierait tout. Mais mes derniers échanges avec Matignon me laissent bon espoir d'y parvenir. Je pense que c'est la solution. Si on me suggère de la mettre en œuvre à titre expérimental quelque part pendant deux ans, je m'y opposerai : ce sera partout ou nulle part. C'est un vrai combat.

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