Intervention de Victorin Lurel

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 12h00
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des outre-mer :

Il faudrait transformer nos territoires en espaces de consommation libre. Faire venir des produits des économies à grande l'échelle serait moins coûteux et donc plus rentable ; la consommation serait importante. On choisirait alors le moins coûteux. Un de mes amis en Guadeloupe théorise ce principe. J'avais demandé un big-bang économique et fiscal. J'ai récemment demandé à M. le président Macron d'exonérer les entreprises et les salaires de toute charge pendant 20 ans. Une expérimentation porterait ainsi sur 20 ans et sur une exonération de tout ce qui pèse sur la production. Cependant, il n'est pas possible d'agir de la sorte pour grossir les marges et les patrimoines.

Nous retrouvons dans la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique des éléments que personne ne veut évoquer. Les cas entre les riches et les pauvres en Martinique, en Guadeloupe, ou à La Réunion sont plus importants qu'ici. Je souligne que cette obligation d'efforts internes de réduction des inégalités après un certain temps figurait dans les plans de convergence. Il ne s'agit pas de la vie chère en l'occurrence, mais de l'égalité : certes, on demande de réduire les écarts entre l'hexagone et nous, mais parmi nous, entre les fortunes et les revenus modestes, des efforts sont également à faire. Le coefficient de Gini devait être amélioré. Cette mesure a été intégrée au texte. De nombreux décrets d'application n'ont pas été pris cependant. Le texte a été enterré, il constituait pourtant une véritable boîte à outils. Il en est de même concernant la régulation économique qui représente également une boîte à outils. Si je devais agir aujourd'hui, j'énoncerais des mesures par filière, tout d'abord concernant les pièces détachées automobiles. Il est anormal que la France soit le seul pays européen au sein duquel le prix fort doit être payé si vous voulez acheter des pièces détachées, si vous achetez une voiture neuve, au motif que les Chinois feront dans la falsification.

Les Allemands ont restructuré ce segment. Aux États-Unis et en Angleterre, il est tout à fait possible d'acheter librement des pièces de remplacement et des pièces visibles à la notion de propriété intellectuelle. J'ai fait un amendement que M. Édouard Philippe a refusé, mais qu'il a repris dans un autre texte. Je n'ai plus en mémoire ce qu'il s'est alors passé avec le Conseil constitutionnel. En outre, il est nécessaire d'attendre dix ans avant d'être libres d'acheter. Nous ne détenons pas de système de transport collectif, la voiture est donc très importante dans nos territoires. Pour lutter contre la vie chère, il faut lutter contre l'hybridation du secteur automobile, si j'ose dire.

La défenseure des lois vient de publier un document où elle reconnaît, malgré le travail que nous avons mené sur les tarifs du roaming à l'étranger, que le service public universel de télécommunications n'a pas été désigné. L'opérateur le plus important est Orange Caraïbe et c'est d'ailleurs une astuce : Orange France a créé Orange Caraïbe pour faire payer de l'itinérance téléphonique en modifiant le code postal. Concernant l'Union internationale postale, nous avons face à nous toute une affaire que nous, législateurs, n'approfondissons pas. De telles filialisations permettent des multiplications de marge et font que vous êtes traités comme un étranger. Je ne parle pas avec colère, il est toutefois important d'avoir connaissance de ces astuces de gestion. En télécommunication, il est impératif d'imposer à Orange le service public universel. Ils ont tout fait pour contourner l'absence de roaming, pour pratiquer ce que l'on appelle vulgairement le triple play – la commercialisation d'une offre téléphonie, internet et télévision. Cette pratique est bien plus coûteuse là-bas et est utilisée par des personnes qui laissent faire, alors que la défenseure des droits vient de remettre un rapport sur l'accès aux droits en Guadeloupe et en Martinique. C'est un service public. À mon sens, il y a matière à revoir le transport des signaux, notamment satellitaires. Un contrôle est indispensable en cas de monopole. Je ne comprends pas les prix pratiqués par Canalsat dans cette optique. Deux ou trois mises à disposition leur ont été imposées pour les télévisions locales. Le ministère des outre-mer versait des indemnités qui ne sont plus versées désormais. Des télévisions ferment. Le modèle économique est à repenser. Manifestement, le législateur doit étudier la question et faire la transparence.

J'ai beaucoup agi en ce sens pendant neuf ans en qualité de président de région. Je me bats contre ce qui me paraît difficile, malgré les textes, malgré la boîte à outils, afin de faire disparaître ces pratiques, le monopole des imports distributeurs qui distribuent à leurs propres grandes surfaces, mais aussi à leurs concurrents. C'est le cas de M. Bernard Hayot, avec qui j'ai de bons rapports. Je ne dis pas du mal de sa personne, il donne du travail et est bon gestionnaire. Il est cependant essentiel de comprendre une imbrication.

Malgré les textes, il sera difficile de faire disparaître ces pratiques dans une économie insulaire. Une réappropriation par d'autres est requise. Des formules existent pour ce faire, le droit français le permet. J'ai perdu l'élection et je sais comment je l'ai perdue : tous les lobbys que j'avais combattus ont financé des campagnes entre moi. Ce qui se passe en Guadeloupe est précisément le résultat de ce combat contre la vie chère. Une campagne électorale a été financée contre moi ; on m'a considéré comme dangereux arguant que je m'attaquais à des profits.

La seule réponse fut de créer des sociétés coopératives d'intérêt collectif, des SCIC, formules privées, mais d'intérêt général. C'est la loi. J'avais décidé d'agir en dispositif d'amorçage : les collectivités départementales peuvent mettre de l'argent  ; les consommateurs et les salariés sont actionnaires. Il s'agit d'un panel très large avec une démocratie à l'intérieur (un homme, une voix). En revanche, si vous, actionnaires, portez 1 million d'euros dans le capital, vous aurez le million en dividende, mais lorsqu'il s'agit de décider, il convient d'appliquer le principe « un homme, une voix ». Cette façon de procéder est coopérative et mutualiste. Nous l'avions décidée dans l'alimentaire, dans l'agro-transformation, dans les équipements artisanaux. Ainsi, il s'agissait de donner à chacun des secteurs une SCIC gérée par le privé, avec la construction de plateformes multiproduits à disposition. Forts de cette vision, à la région Guadeloupe, à l'époque, nous avons acheté deux grandes surfaces. La région Guadeloupe possède en effet deux grandes surfaces. En cas de dépôt de bilan, la région se portait acquéreuse. Les textes sont toutefois un peu difficiles.

À Bouillante, nous avons remis une grande surface aux salariés. Il était interdit de donner une aide aux entreprises en difficulté. Nous avons fait une aide sociale, ce qui, je le reconnais, était un peu juste. Nous avons donné 40 000 euros à chacun des salariés pour faire le rapport et racheter le fonds de commerce. Aujourd'hui, ils ont des filiales. Lorsque Carrefour a déposé le bilan à Basse-Terre à deux encablures de l'hôtel de région, nous avons acheté l'immobilier commercial. Nous n'avions pas le fonds de commerce cependant. Le groupe Nouy paie aujourd'hui 600 000 euros de loyer annuel à la région Guadeloupe.

Nous avons créé une société d'économie mixte de patrimoine en Guadeloupe. Des moyens locaux existent afin de mettre en œuvre une réappropriation locale du pouvoir économique, un instrument parmi beaucoup d'autres. Nous donnions, par exemple, 100 euros aux familles modestes, nous donnions des livres gratuits au lycée. Nous avons demandé le concours des communes pour ce faire, pour donner des ordinateurs également. Ce panel de mesures pourrait être repris, ce segment relève cependant du budgétaire. Il n'est pas forcément nécessaire de changer les lois pour le faire.

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