Intervention de Charles de Courson

Séance en hémicycle du mercredi 7 juin 2023 à 15h00
Restitution des travaux des commissions des finances et des affaires sociales sur le printemps de l'évaluation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de Courson :

Le Printemps de l'évaluation est un exercice permettant aux membres de la commission des finances d'abord, puis à l'ensemble des membres de l'Assemblée nationale réunis en séance publique, d'exercer un véritable suivi de l'action du Gouvernement pendant l'année écoulée. L'audition des membres du Gouvernement et les rapports thématiques permettent d'interroger l'administration sur des aspects qui, sans leurs réponses, resteraient peu clairs. Tout cela s'inscrit dans le cadre du chaînage vertueux qui consiste à tenir compte de l'efficacité de la dépense publique lors des années passées avant de voter les crédits de l'année suivante.

S'agissant du contrôle de l'exercice budgétaire 2022, je reviendrai sur trois points. Le premier concerne les éléments transversaux que nous avons recueillis. D'abord, il est regrettable que les indicateurs de performance, censés mesurer l'efficacité des dépenses de l'État, soient parfois non pertinents et que, bien trop souvent, ils ne nous soient même pas transmis. Comment évaluer, par exemple, la politique de santé publique lorsque la représentation nationale ne connaît pas le taux de participation au dépistage du cancer colorectal ni la prévalence du tabagisme quotidien ?

Ensuite, l'importance des transferts, des annulations et des reports de crédits en cours d'exercice réduisent considérablement la lisibilité de l'exécution des crédits votés par le Parlement. Cette pratique contrevient, dans une certaine mesure, aux principes d'annualité et de spécialité budgétaires. Elle réduit par ailleurs de manière significative la marge de manœuvre des administrations et du Parlement. Je pense ici au montant des restes à payer, pour lesquels l'État s'est engagé financièrement et qu'il devra bien régler tôt ou tard.

Enfin, l'investissement reste un sujet particulièrement délicat. Les dépenses consenties dans le cadre du plan de relance et du plan France 2030 ont été inférieures à 20 milliards d'euros en 2022 et n'ont représenté que 4 % du budget général de l'État.

Deuxièmement, j'évoquerai pêle-mêle certains des grands motifs de préoccupation qui nous animent en vue de l'élaboration du projet de loi de finances (PLF) pour 2024 et des années à venir. La gestion immobilière du Quai d'Orsay est à parfaire : le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a cédé plus de 180 biens, d'un montant total de près de 800 millions d'euros, au cours des quinze dernières années, au point qu'on peut parler d'une dilapidation du patrimoine de l'État. L'efficacité des travaux du comité de programmation immobilière reste en outre à démontrer clairement.

Pour ce qui est de la mission "Administration générale et territoriale de l'État" , la diffusion de la propagande électorale reste perfectible : la numérisation espérée par certains pourrait constituer une avancée, à condition toutefois de ne laisser aucun public de côté – cette réserve vaut d'ailleurs pour la numérisation des autres services publics.

S'agissant du logement, la mobilité des locataires dans le parc social atteint un point bas particulièrement inquiétant de 5 % en zone A. Cet état de fait traduit la difficulté des ménages à intégrer le parc locatif privé et, plus encore, à accéder à la propriété. Pour mémoire, la hausse d'un point de mobilité dans le parc social réduirait le besoin de construction de près de 47 000 places. En ce qui concerne le second plan quinquennal pour le logement d'abord et la lutte contre le sans-abrisme, dit plan « logement d'abord », si l'annonce de 160 millions d'euros supplémentaires est à saluer, il faut également sanctuariser les places du parc d'hébergement d'urgence. Rappelons que la première édition du plan avait permis d'attribuer des logements sociaux à plus de 122 000 personnes entre 2017 et 2022.

Les résultats du soutien à l'apprentissage sont quant à eux inégaux : seuls deux apprentis sur trois occupent un emploi sept mois après la fin de leur formation, alors que l'aide à l'apprentissage a coûté plus 6 milliards d'euros en 2022.

Dans l'agriculture, les difficultés d'apurement des comptes dans le cadre des financements européens restent importantes et pèsent sur les finances publiques. Si l'enseignement agricole semble être en bonne voie, les résultats de l'éducation nationale sont par ailleurs très inquiétants : un élève sur quatre ne sait pas correctement écrire lors de son entrée au collège et le niveau en mathématiques en sixième se dégrade.

Alors que le Gouvernement promeut actuellement un plan de lutte contre la fraude fiscale et sociale, le coût du projet numérique Pilat pour le pilotage du contrôle fiscal, déployé par la direction générale des finances publiques (DGFIP) dans le but de faciliter les contrôles opérés par les vérificateurs, a vu son coût tripler et connaît un retard d'au moins quatre ans. Il n'est toujours pas opérationnel, alors que les effectifs de la DGFIP et de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) ont diminué de près de 4 000 équivalents temps plein depuis 2000.

S'agissant de la culture au sens large, la situation financière de la Bibliothèque nationale de France pourrait rapidement déraper en raison du poids des dépenses de personnel et des surcoûts liés aux grands travaux. Quant au pass culture, s'il constitue plutôt un succès, il ne permet pas de soutenir suffisamment le spectacle vivant.

En matière de sécurité, on peut s'inquiéter de l'ancienneté du parc des avions de la sécurité civile, qui engendre des indisponibilités et des surcoûts de maintenance, alors que les feux de forêts sont toujours plus nombreux et destructeurs. Le Président de la République a d'ailleurs annoncé la livraison de quatre nouveaux Canadair, d'un avion Dash et d'hélicoptères, mais leur positionnement géographique doit encore être précisé.

Pour ce qui est des Jeux olympiques et paralympiques, la crédibilité de l'indicateur de respect de l'équilibre budgétaire des ouvrages sportifs est faible, tant sa construction est biaisée. Savez-vous, chers collègues, qu'un ouvrage sur quatre n'entre pas dans son périmètre et que des dépassements de 10 % du budget initial sont considérés comme respectant la trajectoire de financement ?

Troisième – et, rassurez-vous, dernière – remarque : je tiens à m'attarder sur la situation de nos territoires insulaires, dont l'importance est si grande, à l'image des défis auxquels ils font face.

Tout d'abord, on peut saluer les différents plans d'investissements dans les infrastructures. Je pense à la nouvelle route du littoral à La Réunion, à la construction d'une piste et de bâtiments scolaires ainsi qu'au regroupement des services de la préfecture à Mayotte, ou encore à la construction d'un hôtel de police et d'une base hélicoptère en Guadeloupe.

Nous espérons la poursuite du soutien de l'État pour les communes en difficulté financière, par exemple en Corse, en Guadeloupe, à La Réunion et à Mayotte. Bien souvent, une aide annuelle ne suffit pas à retrouver un équilibre. En ce qui concerne la Guadeloupe, nous restons vigilants sur les actions de l'ARS, l'agence régionale de santé, pour la lutte contre le chlordécone. Nous suivons également avec attention les crédits et actions des agences des cinquante pas géométriques.

Par ailleurs, il n'est pas normal que les indicateurs de la mission "Enseignement scolaire" ne soient jamais renseignés pour Mayotte. Nous suivons de près les conséquences de l'ouverture d'une antenne de l'Ofpra, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, à Mayotte en octobre 2022 et le déploiement du contrat d'intégration républicain. Par ailleurs, la police nationale constate la forte augmentation des violences intrafamiliales et des cambriolages. Enfin, s'agissant de l'immigration, l'acquisition de nouveaux véhicules et d'un intercepteur ne permet pas de lutter contre les trafics des passeurs.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, l'État s'engage dans le financement du second degré – deux collèges et un lycée sont concernés, un soutien matériel étant apporté à l'externat.

À La Réunion, la stratégie de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes permet une expérimentation du repérage précoce et de l'accompagnement des personnes en difficulté. D'autre part, l'île est redevenue la principale zone de mobilisation de l'aide à la continuité à la suite de la réforme du dispositif proposé par le conseil régional. Enfin, il faut saluer la mobilisation du fonds de secours après le passage du cyclone Batsirai.

En Corse, l'offre de soins hospitaliers est à parfaire et il n'est vraiment pas normal que l'État refuse de contractualiser avec les écoles immersives alors qu'il le fait en Bretagne et au Pays basque. Par ailleurs, il est étonnant que l'objectif de remise à niveau des équipements structurants de la Corse ne soit mesuré qu'à l'aune du raccordement à la fibre optique. Enfin, on peut se féliciter de la dotation exceptionnelle ouverte dans le cadre de la loi de finances rectificative afin de contribuer au financement des délégations de service public maritime et aérien dans un contexte inflationniste.

Un mot, pour conclure, sur l'exercice même auquel nous nous livrons. Les débats et les votes sur les finances publiques sont encore trop cloisonnés. Si la méthode actuelle du Printemps de l'évaluation est perfectible, c'est surtout son périmètre qui pose désormais question.

L'État continue de vouloir faire reposer le redressement des finances publiques sur l'ensemble des administrations plutôt que de se confronter à ses propres dérives budgétaires. Or, parmi toutes les administrations publiques, seul l'État creuse le déficit des finances publiques en 2022, à hauteur de 150 milliards.

Dans ce contexte, le Printemps de l'évaluation porte sur les crédits effectivement consommés, mais presque jamais sur les relations entre l'État et les collectivités d'une part, ni entre l'État et les organismes de protection sociale d'autre part. Le programme de stabilité se concentre sur les grands agrégats tandis que le débat d'orientation – auquel nous aurions dû associer une loi de programmation – est expédié et n'a même pas encore donné lieu à un document qui aurait pu servir de support.

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