Intervention de Jérôme Bonnafont

Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Jérôme Bonnafont, rapporteur général des états-généraux de la diplomatie :

Je vous remercie pour votre présentation et cet éloge qui s'adresse tout autant aux collègues qui m'ont assisté dans l'animation de ces états-généraux de la diplomatie. Je vous remercie également de cette occasion qui m'est donnée d'évoquer devant vous le rapport général qui en a résulté. Je salue enfin les nombreux membres de la représentation nationale que j'ai eu l'occasion de croiser au fil des années.

La genèse de ce processus est issue de la réforme de la haute fonction publique, dont les modalités d'application au ministère de l'Europe et des affaires étrangères ont provoqué un trouble profond, qui est allé jusqu'à une grève inédite des diplomates, le 6 juin 2022. À l'issue de cette grève, le président de la République et la ministre de l'Europe et des affaires étrangères ont décidé d'engager une consultation par laquelle l'ensemble des agents seraient entendus, un peu sur le modèle des états-généraux de la justice ou du Ségur de la santé.

La réforme de la haute fonction publique et sa déclinaison sur les corps diplomatiques ont été particulièrement mal perçues pour une raison profonde : elles sont intervenues après une génération de coupes claires dans les effectifs et les budgets de la diplomatie française. Elles se sont inscrites dans le hiatus entre la mondialisation et l'européanisation de la vie française, qui confère aux affaires internationales une place toujours croissante, et la diminution simultanée des moyens budgétaires et humains consacrés à ces mêmes affaires. Il y avait également un contraste important entre d'une part l'engagement très fort de l'exécutif en France sur les affaires européennes et internationales et la diminution des moyens. Cet effet de hiatus a provoqué ce résultat.

Les grandes dates de ces états-généraux de la diplomatie sont les suivantes :

– l'annonce de leur tenue par les discours des 1er et 2 septembre 2022 du président de la République et de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;

– le message de Mme la ministre Colonna précisant leurs contours le 10 octobre 2022 ;

– leur inauguration, lors d'une séance plénière consacrée au dialogue entre le comité et les agents présents le 28 octobre 2022 ;

– enfin, un premier échange de vues avec l'Assemblée nationale et le Sénat sur le rapport alors en cours de préparation le 2 novembre dernier.

Nous formions une équipe d'une quinzaine de personnes et structurée autour de trois groupes de travail présidés chacun par une personnalité de rang d'ambassadeur : M. Briens, Mme Nguyen et un conseiller maître de la Cour des comptes, M. Cyril Pierre.

Trois sujets étaient approfondis : l'évolution du métier diplomatique compte tenu de l'évolution du monde ; la place de l'appareil diplomatique et plus précisément du ministère de l'Europe et des affaires étrangères dans l'État ; enfin, la définition de ce que doit être la politique de ressources humaines du ministère.

Pendant trois mois, nous avons procédé à des consultations, après l'adoption d'une charte de déontologie et la mise en place d'un déontologue en la personne de notre collègue Didier Le Bret, pour garantir aux agents la neutralité de fonctionnement des équipes en charge de ces états-généraux. Nous avions besoin de savoir comment, du point de vue déontologique, assurer l'indépendance d'un groupe de rapporteurs, eux-mêmes fonctionnaires nommés par la ministre. Nous avons donc adopté un mode de fonctionnement permettant aux agents de se sentir totalement libres de leur expression, afin de les assurer que les préoccupations qu'ils feraient valoir seraient fidèlement transmises.

Environ 5 000 agents ont participé à la consultation. Nous avons obtenu 800 réponses à un questionnaire très extensif adressé à tous nos collègues. Nous avons également largement pris appui sur les syndicats, qui ont eux-mêmes lancé leurs propres consultations auprès de leurs adhérents. Nous avons enfin reçu de nombreux témoignages individuels.

Nous avons également veillé à regarder ce qui s'était passé dans le reste du monde et à consulter les parlementaires, les milieux économiques et culturels, la société civile pour savoir ce que le public attend de la diplomatie. En effet, notre mission ne se limitait pas à la réforme de la haute fonction publique mais consistait aussi en une réflexion sur l'avenir du métier diplomatique et l'organisation de la fonction diplomatique, compte tenu des évolutions de l'Europe et du monde. Il était donc important pour nous, fonctionnaires, de mettre au cœur de nos préoccupations le fait que nous sommes au service des Français.

En effet, la fonction diplomatique n'est pas une espèce de monde à part qui aurait pour mission de traiter d'affaires ésotériques dans un environnement extérieur mais un service public comme les autres, au service de la France et des Français, et qui doit donc se sentir investi d'une obligation de redevabilité.

Nous avons, à la fin janvier, conclu nos auditions avant de passer un mois à rédiger le rapport intitulé : « Pour un plan de réarmement de la diplomatie française ». Nous avons délibérément choisi ce terme de réarmement car le moment correspondait à l'adoption en conseil des ministres du projet de loi de programmation militaire, dont les montants sont considérables.

Ces dernières années, nous avons observé un mouvement de prise de conscience ayant conduit au constat suivant : l'affaiblissement des institutions régaliennes de l'État devait être corrigé. Un certain nombre de décisions ont ainsi été prises pour réarmer les fonctions régaliennes, dont la justice. Il nous semblait donc qu'il fallait adopter la même logique pour la diplomatie. Nous avons d'ailleurs été heureux de constater que, dans son discours au Quai d'Orsay, le lendemain de la remise de notre rapport, le président de la République avait lui-même employé le terme de « réarmement ».

Ce rapport a été construit autour de deux grands axes : les constats et les propositions.

L'axe de constat s'est voulu aussi transparent que possible, entre les expressions des partenaires extérieurs et celles des agents. Il nous a semblé en effet que si nous voulions être fidèles à l'esprit des états-généraux, nous devions exprimer la parole telle qu'elle était transmise. J'utilise souvent trois termes pour décrire l'état d'esprit que nous avons pu constater : l'inquiétude, l'attachement au métier et l'espoir.

L'inquiétude était indiscutable. Il s'agit d'une inquiétude des agents vis-à-vis de leurs statuts mais aussi, en tant que fonctionnaires investis de missions, à l'égard des moyens attribués à ces missions et, enfin, d'une inquiétude générale sur la capacité de notre pays à continuer de s'exprimer dans le monde avec les moyens appropriés.

Le deuxième constat porte sur l'attachement au métier. Quels que soient les statuts, les grades, les positions hiérarchiques et les lieux d'affectation, ce métier attire des gens passionnés par ce qu'ils font. Ils ont la conviction chevillée au corps que leur mission a un sens et que la notion de service public reste une notion forte, qui structure une vie. Ceci est important dans un métier qui conduit à se déplacer constamment, entraînant parfois des situations familiales compliquées.

Enfin, le troisième constat porte sur l'espoir, né d'abord de l'arrêt de la dégradation obtenue par M. Le Drian, puis, peu avant la tenue des états-généraux, du fait que la ministre Catherine Colonna avait obtenu une première augmentation en personnels et en moyens budgétaires, inversant ainsi une tendance multi-décennale. Ceci donnait espoir aux agents que la convocation des états-généraux de la diplomatie n'était pas seulement un acte politique destiné à apaiser une corporation se sentant malmenée mais bien un acte politique visant à réexaminer les fondements d'un métier et d'une fonction dans l'État.

Les comparaisons avec l'étranger montrent que nous ne sommes pas les seuls à avoir vécu une telle période pour l'appareil diplomatique : nous avons découvert que nombre de nos partenaires occidentaux ont subi le même traitement. En quelque sorte, les diplomaties occidentales désarmaient au moment où les diplomaties émergentes armaient. De fait, nous constatons que la démarche entreprise en France intéresse nos collègues européens, mais aussi canadiens et australiens, qui ont réalisé eux-aussi qu'il leur fallait se remettre à l'ouvrage.

Les propositions sont organisées autour de deux grands axes.

Le premier concerne les missions et l'organisation du ministère. Il nous a semblé cohérent de commencer par là, dans une logique de redevabilité dont je vous parlais au préalable. Nous avons identifié, en la matière, quatre grands thèmes.

La première question que nous nous sommes posés en l'espèce est : comment rendre à notre diplomatie la capacité d'agilité et d'innovation qui s'impose dans un monde où les crises arrivent très soudainement et où les changements démographiques et technologiques imposent de transformer considérablement la manière dont nous faisons la diplomatie aujourd'hui ?

Le deuxième thème a tourné autour du « chef de filat ». Il est commun de dire que le Quai d'Orsay doit être le chef de file de l'action internationale. Concrètement, l'argument d'autorité n'en est pas un et l'argument juridique ne suffit pas : il faut une structure qui permette aux directions du ministère de mener ce rôle d'impulsion et de coordination, sous l'autorité du président de la République, de la première ministre et du Gouvernement. Pour y parvenir, il a semblé nécessaire d'examiner la manière dont nous traitons les enjeux globaux, c'est-à-dire les questions de santé mondiale, de changement climatique, d'économie internationale ou de numérique sur lesquelles les diplomates ne peuvent pas agir seuls. Il faut organiser un mariage entre, d'une part, les cultures spécialisées des ministères et des secteurs de la société en charge de ces domaines et, d'autre part, les diplomates qui sont les spécialistes de l'action internationale et de la négociation.

Le troisième sujet a porté sur la question de l'influence dans une Europe et un monde qui se développent. L'influence concerne la communication à l'ère de la désinformation et des réseaux sociaux mais aussi notre réseau de coopération culturelle et universitaire. De fait, des coupes minimes au regard de l'ensemble du budget de l'État aboutissent à la mutilation de fonctions extérieures de l'État.

La dernière thématique a concerné le service aux Français, en abordant deux aspects : l'avenir du réseau consulaire et les ressources humaines. Pendant un temps, certains ont prétexté réduire le réseau consulaire au motif que le numérique permettait de réaliser des économies d'échelle. Il faut certes numériser tout ce qui peut l'être mais aussi se souvenir que, dès qu'il y a une crise, les Français ont besoin à l'étranger d'une représentation diplomatique qui puisse venir à leur aide. Le rapatriement de 400 000 Français lors de la crise de la Covid-19 l'a aisément rappelé.

Le deuxième axe du volet du rapport consacré aux propositions touche aux ressources humaines. Nous avons étudié l'ensemble des agents et des catégories, en France comme à l'étranger, pour regarder quelles avaient été les évolutions au cours des années et pour proposer un certain nombre de modifications, soit concernant l'application de la réforme de la haute fonction publique, soit concernant le recours aux autres formes de contrats et à l'avenir des concours.

Nous avons travaillé sur la question des compétences car il nous semble exister un déficit dans l'appareil de formation du Quai d'Orsay. Nous avons insisté sur l'idée que l'école pratique des métiers de la diplomatie doit prendre une place essentielle au service de la formation des diplomates, des compétences de savoir-faire, de savoir-être et des compétences spécialisées, tels les sujets européens et stratégiques.

Nous avons enfin abordé les questions d'adéquation entre le corps diplomatique et la société française. Nous avons estimé que l'accent devait être mis sur la parité encore plus qu'il ne l'est déjà, pour l'atteindre non seulement à la base du recrutement mais également au sommet de la pyramide. S'agissant de la diversité, l'objectif consiste, par exemple, à mieux organiser les parcours de carrières de celles et ceux qui entrent par des voies contractuelles ou de catégorie B ou C, afin de mieux refléter la diversité de la société française, qu'elle soit géographique, d'origine ou de culture.

Le ministère a eu l'honneur d'accueillir le président de la République le lendemain même de la remise du rapport à la ministre. Celui-ci a formulé des annonces extrêmement importantes concernant les moyens budgétaires et humains. Il nous a demandé de travailler sur quatre sujets : un métier rénové ; une fonction d'influence ; une capacité à mieux aborder les enjeux globaux ; une capacité à mieux répondre aux besoins des Françaises et des Français dans notre action.

S'agissant du suivi, je laisse à votre commission le soin d'accueillir Mme la ministre et mes collègues chargés de directions. La ministre a annoncé vouloir préparer, pour le mois de septembre, un premier rapport d'exécution à l'intention du président de la République sur la mise en œuvre d'un ensemble de réformes relatives à ces quatre thèmes. L'objectif consiste à démontrer que les annonces concernant les moyens humains et budgétaires seront suivies d'effets et qu'elles sont mises en application sur la base d'une conception raisonnée du point d'application de ces progrès : en effet, il ne suffit pas de dire que des ETP supplémentaires sont budgétés, il faut également dire où ceux-ci sont affectés et comment effectuer les arbitrages, en fonction d'ordres de priorité également établis.

Il existe actuellement quinze chantiers de ressources humaines conduits sous l'égide de la secrétaire générale du ministère et du cabinet de la ministre. Certains ont déjà été mis en œuvre, comme la création d'une nouvelle sous-direction à la direction de la communication et de la presse, chargée plus spécialement de la question de la lutte contre la désinformation. Un grand chantier sur les méthodes de travail a également été engagé.

En conclusion de cette introduction, je tiens à dire que cette expérience a été très intéressante sur le plan personnel et humain. Mais elle est surtout, alors que j'approche de la fin de ma carrière de fonctionnaire, un formidable moment d'espoir. C'est la première fois en trente-cinq ans de carrière que je vois l'autorité publique engager sur le sujet de la diplomatie un effort de cette nature, dans lequel sont consultés l'ensemble des agents dans une logique de « citoyens-fonctionnaires », afin de réfléchir collectivement sur le cœur du métier, son adaptation au monde et aux besoins de la France par rapport à ses priorités.

Il ne s'agissait pas, à travers la conclusion de ces états-généraux de la diplomatie, de prétendre définir à la place du Gouvernement les priorités de l'action diplomatique de la France, mais plutôt d'un exercice dans lequel nous réfléchissions à la cohérence entre l'ambition de puissance mondiale de notre pays, qui demeure fondamentale pour nous tous, et l'organisation du service diplomatique de la République.

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