Intervention de Marc-Olivier Fogiel

Réunion du jeudi 23 mars 2023 à 9h30
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Marc-Olivier Fogiel, directeur général de BFM TV :

Au risque de vous décevoir, je ne pourrai malheureusement rien vous apprendre sur les soupçons de manipulation de journalistes au profit d'intérêts étrangers, en particulier sur l'affaire dite M'Barki ou BFM TV, car je ne dispose d'aucune information à ce sujet. La raison pour laquelle nous avons écarté de l'antenne et de l'entreprise Rachid M'Barki n'a rien à voir avec une éventuelle ingérence étrangère dans les journaux de la nuit : nous ne sommes pas la justice et nous n'avons pas les moyens d'apprécier un tel fait, et c'est pourquoi, d'ailleurs, nous avons déposé plainte. Si nous avons écarté M. M'Barki de l'antenne, c'est parce qu'il n'a pas respecté la procédure de validation de l'information.

Permettez-moi tout d'abord de vous rappeler la chronologie des faits. Le 7 janvier 2023, Frédéric Métézeau, journaliste à Radio France, que vous avez auditionné, m'a appelé pour m'informer qu'il menait une enquête sur une société basée en Israël qui propose, entre autres services, de faire passer des informations dans les médias. Ayant infiltré cette société, il a appris qu'elle essayait de faire diffuser des informations sur BFM TV. Aussi m'a-t-il contacté. Vous imaginez ma stupéfaction ! Il n'a pas pu m'en dire beaucoup plus car il poursuivait son enquête sous le sceau de la plus stricte confidentialité ; il voulait simplement savoir si la chaîne était au courant de ces agissements et si des complicités avaient été découvertes. Afin de l'aider et de lui fournir les informations dont il avait besoin, je lui ai demandé de me donner quelques éléments. Il m'a communiqué trois extraits de vidéos qui, selon lui, posaient difficulté, d'autant que, dans le cadre de son enquête, la société qu'il infiltrait les lui avait montrées, arguant que leur diffusion sur BFM TV prouvait qu'elle était capable de faire passer des messages sur une chaîne d'information en continu en France. Force est de constater que ces trois vidéos n'avaient pas leur place à l'antenne. Certaines, du reste, étaient incompréhensibles pour le commun des mortels – du moins pour moi, qui ai pourtant la prétention de connaître l'information. En tout cas elles n'avaient rien à voir avec notre ligne éditoriale. Sur les vingt heures trente d'informations en continu diffusées sur la chaîne, ces vidéos ne l'ont été que dans le créneau du journal de la nuit : aucun autre rédacteur en chef, journaliste, présentateur de tranche, n'a jugé utile de les relayer. Seul le présentateur du journal de la nuit, Rachid M'Barki, l'a fait.

J'ai demandé à Rachid M'Barki de venir me voir, ce qu'il a fait le 11 janvier, soit quatre jours après les faits. Je lui ai présenté les vidéos et lui ai demandé comment ces informations étaient parvenues à l'antenne. Il m'a expliqué qu'elles lui avaient été proposées par un informateur, Jean-Pierre Duthion, et qu'il relevait de son libre arbitre de journaliste de les accepter ou de les refuser. En l'espèce, il aurait estimé qu'elles étaient importantes pour l'antenne et il a nié toute contrepartie financière. Je l'ai écouté attentivement avant de lui demander qui, dans la chaîne hiérarchique, était au courant – je vous décrirai bientôt le processus robuste qui conduit à diffuser une information sur notre chaîne. Tout en restant très évasif, il m'a indiqué que la rédactrice en chef n'avait pas été informée de la diffusion de ces images, lesquelles n'ont été ni tournées par BFM TV ni achetées par notre cellule dédiée. Toutes les images diffusées sur BFM TV sont en effet, soit issues de notre banque d'images, soit filmées par les journalistes, soit achetées. En l'espèce, les images ont été fournies par Jean-Pierre Duthion. Compte tenu de la gravité des faits et du flou qui entourait les réponses de Rachid M'Barki, nous l'avons suspendu de l'antenne tout en lui conservant son salaire, afin de nous donner le temps de vérifier la véracité des faits et de prendre une décision. Loin de nous l'idée de l'accabler : nous voulions, tout au contraire, apaiser la situation et agir sereinement. En tout cas, en tant que directeur général de la chaîne, mon objectif n'était pas d'identifier une ingérence étrangère mais de comprendre comment des informations avaient pu être diffusées sans que personne ne soit au courant en dehors du présentateur.

J'ai averti le président du groupe Altice Média, le directeur de l'information et le directeur de la gestion des risques et obligations légales. Nous avons décidé de lancer nos propres investigations, à travers un audit interne et une enquête interne ; le premier a été mené du 20 au 30 janvier par la direction de l'audit interne du groupe pour déterminer si Rachid M'Barki était passé outre le protocole de validation de la ligne éditoriale. De nombreuses personnes ont été auditionnées. Contrairement à ce que Rachid M'Barki a pu vous raconter hier, il a été entendu, non dans le cadre de cet audit, mais lors d'un rendez-vous durant lequel il avait tout le loisir de s'expliquer, ce qu'il a refusé de faire.

L'audit a révélé que, de 2021 à 2022, une douzaine de séquences avaient été diffusées sans que la chaîne de production en soit informée. Rachid M'Barki a formulé ses demandes oralement, les modifications ou ajouts ayant toujours été apportés au dernier moment, sans être validés par le rédacteur en chef. Selon les conclusions de l'audit, Rachid M'Barki aurait sciemment contourné la procédure interne.

Par ailleurs, une enquête interne a été menée en toute indépendance par la direction de la conformité pour identifier des éléments de corruption passive. Elle est soumise au secret et je n'y ai pas participé.

La direction a décidé de mettre fin au contrat de Rachid M'Barki le 21 février, après lui avoir donné la possibilité de s'expliquer durant près d'une heure, ce à quoi, je le répète, il s'est refusé. Les conclusions de l'enquête nous ont conduits à saisir la justice le 22 février 2023 pour savoir si les faits étaient constitutifs du délit de corruption passive.

Le respect du protocole de validation est essentiel pour s'assurer que ne soient pas diffusées à l'antenne des informations dont l'origine ne serait ni connue, ni vérifiée. Le dispositif est solide et les règles sont précises. La ligne éditoriale et les journaux dans leur intégralité sont validés, en amont, par un rédacteur en chef. Le journaliste est libre de ses textes mais le contenu du journal doit être intégralement validé par le rédacteur en chef. Les journalistes n'étant pas que de simples présentateurs, ils peuvent en modifier le contenu à condition d'avoir obtenu l'aval du rédacteur en chef, qui décide d'autoriser ou non de nouvelles séquences. Ce ne fut pas le cas pour les douze séquences en question. Rachid M'Barki a donc contourné le processus de validation éditoriale. Pour ce qui est de la validation technique, nous avons pu reconstituer le parcours des séquences jusqu'à l'antenne. Rachid M'Barki aurait profité de l'absence du rédacteur en chef pour demander leur validation technique.

De tels manquements relèvent de sa seule responsabilité : ce cas isolé ne reflète pas le travail exceptionnel des 250 journalistes de BFM TV, auxquels je réaffirme mon soutien et ma confiance. Les journalistes engagés par BFM TV reçoivent, dès leur arrivée, une charte de déontologie très précise ; elle leur a été renvoyée en 2020 et elle est consultable sur notre site internet. Aucun journaliste ne peut l'ignorer.

Je suis à la tête de BFM TV depuis trois ans et demi et je puis attester la rigueur avec laquelle les journalistes respectent les règles déontologiques pour garantir la fiabilité de l'information et assurer notre crédibilité.

La recherche et le recueil d'informations sont au cœur de notre métier, qui implique recoupements et vérifications : c'est même là que réside la différence entre le journalisme et la communication. La matière première dont nous traitons, ce sont des faits. Quelle que soit l'interprétation qu'en donnent les sources, nous devons veiller à ne pas nous plier à une quelconque influence, à ne pas leur donner une signification qu'ils n'auraient pas. Surtout, nous devons prendre garde à ne laisser personne s'immiscer dans le travail du journaliste, à quelque niveau que ce soit. L'ingérence est la négation du journalisme.

Je dirai un dernier mot des outils qui nous permettent de faire notre travail le mieux possible et de lutter contre la manipulation de l'information. Nous suivons une procédure pour soumettre à une double, voire une triple vérification, les sources des informations que nous diffusons. BFM TV dispose d'une cellule de fact-checking, autrement dit de vérification des faits. Il nous arrive d'ailleurs d'activer une cellule de fact-checking vidéo, qui s'assure par exemple que certaines images venues d'Ukraine ne sont pas manipulées. Une formation consacrée aux procédures de vérification est aussi régulièrement proposée à tous les journalistes de la rédaction. Ce dispositif est robuste et efficace, dès lors qu'on ne cherche pas sciemment à le contourner.

Dans cette affaire, BFM TV est une victime, aussi avons-nous décidé de réagir rapidement, avec sévérité, en déposant plainte.

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