Intervention de Christiane Taubira

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 16h00
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Christiane Taubira, ancienne garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Je remercie Mme la députée de sa confiance et de cette évocation de la justice restaurative, que j'ai introduite dans la loi malgré beaucoup d'hostilité. Je sais quels résultats elle a donnés au Canada, au Danemark, en Norvège. Elle a permis de soutenir les victimes et d'accélérer leur processus de résilience, et beaucoup pesé dans la prise de conscience des auteurs. Je sais que c'est bon pour nous ; il faut donc le faire, même si ça hurle dans bien des endroits.

Pour le reste, en effet, on n'est sûr de rien et on fait au mieux, même si la bonne foi n'est pas une excuse. Début 2015, je me suis exprimée devant le comité antiterroriste de l'Organisation des Nations unies ; les pays étaient très curieux de savoir ce que nous allions faire, car il n'existe pas de livre de recettes. Tous les pays sont plus ou moins désarçonnés. Nous pouvons donc mettre sur la table nos interrogations, nos doutes, nos hésitations afin de construire ensemble la meilleure réponse possible. Les précédentes n'ont pas fonctionné : aux États-Unis, le Patriot Act a donné les résultats que l'on sait, sans rien empêcher.

Je ne prends pas sur moi ce qui a été fait : j'ai eu à mes côtés des directeurs de cabinet, des conseillères et conseillers, des directeurs et directrices d'administrations de très grande qualité, extrêmement impliqués, à tous les niveaux – pénitentiaire, politique pénale, politiques publiques, protection judiciaire de la jeunesse –, tant physiquement que psychologiquement. Il y a eu des moments où c'est moi qui leur demandais de rentrer chez eux, notamment les jeunes pères et mères, entre dix-sept et dix-neuf heures : « dégagez de la Chancellerie, je ne veux pas vous voir ; allez chercher vos enfants, vous reviendrez après si vous voulez ». Lors des attentats, nous campions tous – le cabinet, les directrices et directeurs d'administration – à la Chancellerie. Chacun y a mis de l'ardeur : nous portions ensemble une tragédie pour le pays, les interrogations, la souffrance et notre impuissance face à elle.

Après les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo, j'étais en contact avec des veuves ; je les ai appelées et j'ai constaté des hiatus dans le suivi. J'ai donc décidé de revoir la circulaire de prise en charge des victimes. J'ai instauré un dispositif de travail en commun de plusieurs ministères – l'Intérieur, la Santé, les Finances, les Affaires étrangères. J'ai signé le décret – là où il n'existait auparavant qu'une circulaire – le 12 novembre 2015. La nuit du 13, il a été mis en application. J'ai fait ouvrir un centre aux Invalides ; pour les attentats de janvier, il s'agissait d'une cellule de crise, mais on était passé d'une vingtaine de personnes assassinées à 130. Je ne ferai de reproche à personne, mais je salue mes équipes, très mobilisées, très soucieuses d'efficacité et désireuses de tirer profit de l'expérience des uns comme de transmettre la leur aux autres.

La coopération entre nos magistrats a contribué à permettre qu'en quarante-huit heures je signe l'autorisation d'une équipe commune d'enquête. J'ai fait des bilatérales avec tous les ministres de la Justice – j'étais très assidue au Conseil des ministres de l'Union européenne et les magistrats se connaissaient du fait de ces rencontres internationales. En quarante-huit heures, nous avons pu avoir accès aux différents fichiers Ecris (European Criminal Records Information System), donc aux antécédents judiciaires de ceux qui étaient passés par la Belgique, l'Espagne, l'Italie, etc. Toutes ces relations ont amélioré notre efficacité face à cette tragédie.

Pardon si j'ai voulu donner trop de détails.

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