Intervention de Dominique Le Guludec

Réunion du mardi 4 avril 2023 à 18h10
Commission des affaires sociales

Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé :

Tout d'abord, s'agissant de l'OMS, un groupe d'experts sur la vaccination s'est réuni du 20 au 23 mars et a rendu un avis le 23 mars. Les professionnels de santé considèrent la primo-vaccination avec dose de rappel fortement recommandée comme une priorité élevée. Ils préconisent même le rappel en supplément. Leurs recommandations sont donc strictement superposables. Quelques semaines plus tard, nous avons produit des recommandations tout à fait similaires.

Nous n'avons jamais été saisis quant aux problèmes liés au protoxyde d'azote. Je ne sais donc pas répondre à cette question. Je suis désolée.

S'agissant de la déclaration des événements indésirables, en effet, en France, la culture du signalement d'événements indésirables est insuffisante. Nous ne cessons de tenter de l'améliorer. Les progrès sont lents et ils concernent surtout l'hôpital. Les médecins de ville déclarent encore très peu d'événements indésirables alors que nous savons qu'ils en détectent, comme tout le monde, la littérature internationale et les autres pays le démontrent. Certes, il est toujours possible d'améliorer un dispositif. Cependant, les cultures s'enseignent et il serait souhaitable que les études médicales soient renforcées sur le thème de la sécurité des soins et l'importance de déclarer des événements indésirables. Par ailleurs, en France, nous adoptons des attitudes très punitives vis-à-vis des accidents alors que nos collègues anglo-saxons ne se comportent pas ainsi. La déclaration d'un accident grave, d'un événement indésirable y est encouragée et félicitée parce que c'est la seule manière de faire progresser les équipes, d'identifier les points difficiles et de trouver des solutions systémiques. C'est ainsi que les professionnels progressent. Dans le système d'accréditation des professionnels à risques que nous mettons en œuvre, les médecins sont tenus de déclarer tous les ans un certain nombre d'événements indésirables et de travailler sur les causes, de se recycler en quelque sorte afin de progresser. Dès lors, peut-être serait-il souhaitable de combattre cette attitude punitive de sorte à encourager les professionnels à déclarer leurs événements.

L'impact de nos recommandations est une de nos constantes préoccupations. Pendant ce mandat, nous avons créé une commission spécifique afin de mesurer, d'évaluer et d'améliorer l'impact de nos recommandations. Cette commission a travaillé pendant toutes ces années sur différents exemples de recommandations afin d'identifier les déterminants et les freins potentiels à l'application d'une recommandation. Cela nous a permis de beaucoup progresser sur la façon de produire les recommandations, de les présenter, etc. Néanmoins, en France, il n'existe pas de véritable régulation de la non-pertinence. Il conviendrait de former davantage les jeunes médecins à lire les recommandations et à les suivre. Les médecins sont soumis à la formation continue, mais le nombre d'heures de formation est très limité en France par rapport aux autres pays. Il conviendrait d'insister sur la nécessité de ces formations.

De notre côté, à la suite des travaux de cette commission, nous avons mis en place un plan visant à améliorer l'impact des recommandations ; plan qui concerne non seulement la diffusion des recommandations, mais également les relations que nous entretenons avec les doyens de faculté afin de promouvoir les recommandations, une plus large utilisation des données en vie réelle, etc. Notre production sur l'épilepsie, qui sortira prochainement, contient des fiches pertinentes sur l'utilisation de l'IRM dans les pathologies du genou. Nous allons désormais chercher dans les données la photographie des pratiques, de sorte à identifier le décalage existant entre ce qui est souhaitable et ce qui est réalisé. Si nous constatons un décalage important, nous le suivrons dorénavant avec l'analyse des données.

Nous nous organisons en interne. Notre plan a déjà démarré et il s'intensifiera progressivement de sorte à améliorer non seulement l'impact, mais également la mesure. Néanmoins, en France, nous fournissons de nombreux outils aux professionnels pour la pertinence, mais la culture de la liberté de prescription exclut quasiment sa régulation. En Allemagne, lorsque les médecins prescrivent hors recommandations, ils sont obligés de justifier leur prescription pour que leurs patients soient remboursés. La liberté et la régulation de la prescription constituent un sujet épineux, complexe à résoudre.

S'agissant des soins esthétiques et médicaux, notre mission est limitée parce que nous sommes sollicités quand il existe des risques particuliers. Dans ces cas-là, l'acte est soumis à des règles édictées par décret après un avis de la HAS relatif à la formation, à la qualification, à la déclaration des activités exercées et aux conditions de réalisation. Nous sommes parfois saisis pour encadrer une pratique. Les saisines sont peu nombreuses, mais nous avons étudié tous les cas qui nous ont été soumis. Cela avait d'ailleurs abouti à des recommandations concernant notamment la cryolipolyse, par exemple, ou encore les cabines d'ultra-violets. Nous sommes donc intervenus régulièrement.

Est-ce que nous différencions les populations en contact avec les patients de celles qui ne le sont pas ? C'est une évidence dans le cadre d'une recommandation forte. Je rappelle que l'objectif de la vaccination des soignants est double. Elle vise d'abord à les protéger eux-mêmes, pour eux-mêmes et parce qu'ils représentent une force de travail dont nous avons besoin. Nous comptions en effet quelques personnels qui ne travaillaient pas parce qu'ils n'étaient pas vaccinés, mais ils étaient encore plus nombreux à ne pas travailler parce qu'ils avaient contracté le covid, voire des formes sévères ou des formes prolongées du covid. Il est donc essentiel de les protéger. D'autre part, l'éthique du métier de soignant comprend le soin et la protection qu'il apporte aux patients qu'il prend en charge, à savoir des personnes âgées, des personnes malades, des patients immunodéprimés, des patients en dialyse, etc. Les patients à risque de formes sévères de maladie, à risque de décès, ne comprendraient pas que les personnels qui les soignent et les prennent en charge ne se fassent pas vacciner pour les protéger. Bien sûr, nous comprenons parfaitement la difficulté que représente pour un soignant de ne pas pouvoir travailler, mais il convient de prendre également en considération la difficulté pour les patients qui risquent de mourir d'une maladie d'être accompagnés par des personnels qui ne veulent pas se faire vacciner pour les protéger.

Les difficultés de notre système de santé sont une réalité. D'ailleurs, pour la première fois de son histoire, le collège de la HAS a récemment rédigé une lettre ouverte visant à attirer l'attention sur les difficultés rencontrées par notre système de santé et à proposer des solutions. En général, la HAS n'exprime pas d'opinion ; elle réalise un travail scientifique afin d'émettre des recommandations. Toutefois, dans cette lettre ouverte, le collège prenait position à la suite du grand nombre d'alertes qui lui étaient adressées quant à la diminution de la qualité des soins dans notre pays. Plusieurs causes sont identifiées, notamment le défaut de professionnels de santé, mais ce n'est pas l'unique raison. Je vous encourage à lire ce papier de position.

L'attractivité des métiers de santé nous paraît un élément qu'il était absolument indispensable de prendre en compte, notamment pour ce qui concerne leurs conditions de travail, leur qualité de vie au travail et, plus largement, leurs conditions de vie parce que force est de constater que, dans les grandes métropoles, ils résident souvent loin de leur travail et effectuent trois heures de transport chaque jour sans avoir la possibilité de mettre leurs enfants dans les crèches, etc. Nous nous inquiétons quant aux difficultés actuelles de l'accès aux soins, aux difficultés de recrutement des professionnels dans nos hôpitaux, en particulier les hôpitaux publics, mais également quant au manque de professionnels en ville, le nombre des médecins traitants n'étant plus suffisant et certaines spécialités n'étant également pas assez pourvues. Ce constat constitue une véritable préoccupation sur laquelle tout n'est pas dit et c'est un sujet sur lequel il convient de continuer à travailler. Je ne suis pas certaine que la levée de l'obligation vaccinale pour les soignants résolve le problème. Il importera de mener une réflexion très approfondie de sorte à rendre ces métiers d'autant plus attractifs qu'ils sont extraordinaires.

Mme Parmentier-Lecocq, votre propos relatif à l'accès aux médicaments innovants est très pertinent. Les avis concernant l'accès au remboursement et le SMR sont rendus en même temps. En revanche, les conséquences de ces deux éléments peuvent être différentes. L'avis relatif au SMR autorise ou non la prise en charge un produit de santé. L'ASMR quantifie la plus-value de ce produit. À l'hôpital – et exclusivement à l'hôpital –, ce critère est indispensable pour entrer dans un mécanisme dérogatoire de financement, appelé la « liste en sus ». Les médicaments onéreux sont financés par ce biais. Lorsque je suis arrivée à la HAS, je me suis battue parce qu'un décret ministériel imposait qu'un médicament ait obtenu un SMR 1, 2, 3 ou 4 pour figurer sur cette liste en sus. Ce n'était pas une solution pertinente. L'accès aux soins ne constitue pas un objectif de l'ASMR. Un hôpital doit pouvoir payer un médicament, même s'il est onéreux, dès lors que nous avons déclaré un service médical rendu. Il conviendrait éventuellement de revoir les conditions de figuration sur cette liste en sus à l'hôpital. En effet, en ville, s'il est ambulatoire, le même médicament avec un SMR 5 sera pris en charge sans aucun problème et remboursé par la sécurité sociale. S'il est administré à l'hôpital, il ne sera pas remboursé à cause de cette fameuse liste en sus. C'est un vrai problème dont la résolution ne dépend pas de la HAS, mais d'un décret ministériel. Je crois néanmoins qu'il serait souhaitable de revisiter les conditions d'accès à la liste en sus.

La question de l'évaluation de l'intelligence artificielle en santé et du numérique en santé est extrêmement importante. Elle est déjà largement traitée à la HAS, mais elle devra l'être de plus en plus dans les années à venir. L'intelligence artificielle et les outils numériques qui sont considérés comme des dispositifs médicaux sont très peu évalués. Ils sont évalués uniquement quand un industriel dépose un dossier à la HAS à des fins commerciales et de prise en charge par le remboursement de la sécurité sociale. Donc, en réalité, nous n'évaluons les dispositifs médicaux que lorsqu'ils sont remboursés pour un patient donné. En revanche, il n'existe aucun processus d'évaluation des dispositifs médicaux qui aident les professionnels dans leur diagnostic et dans leurs décisions thérapeutiques. Ces outils se développent énormément, y compris avec l'intelligence artificielle. Nous réfléchissons actuellement à des modalités d'évaluation de ces dispositifs. Il n'est pas envisageable d'évaluer l'ensemble de ces dispositifs, car ils sont trop nombreux. Nous avons donc travaillé avec les conseils nationaux professionnels pour savoir comment ils appréhendaient la question et ce qu'ils attendaient de la HAS. 70 % ont exprimé un important besoin d'aide de la part de la HAS. Il importe donc de sécuriser les professionnels, de construire leur confiance. Parmi ces outils, certains seront efficaces et d'autres ne le seront pas. Pour autant, il convient de donner toutes leurs chances aux malades et c'est pourquoi il est essentiel d'aider les professionnels à identifier les dispositifs qu'ils peuvent utiliser en toute confiance et ceux qu'il est préférable de ne pas utiliser. Nous avons rédigé un premier document, le « guide au choix », qui indique aux professionnels et aux établissements les questions qu'ils doivent se poser avant d'acheter un tel dispositif et selon quels critères ils peuvent faire leur choix. Ce ne sera pas suffisant et je pense qu'il importera d'établir un classement par risque. Certains de ces dispositifs ne présentent aucun risque et il n'est donc pas nécessaire de les évaluer. D'autres présentent des risques modérés et il conviendra peut-être de construire des référentiels. Enfin, d'autres dispositifs présentent des risques importants pour les patients et il faudra peut-être envisager de procéder à une évaluation analogue à celle qui est réalisée pour un dispositif médical. Tout ceci reste à construire. L'ouvrage est sur le métier et certaines de nos équipes s'y sont attelées. Ce sont les nouvelles missions pour lesquelles nous avons dû redéployer les effectifs, mais elles représentent de véritables enjeux parce qu'à l'avenir, les professionnels utiliseront ces outils et il est indispensable de garantir la qualité des décisions qui seront prises avec ces outils.

S'agissant des délais, je m'inscris en faux contre les propos tenus à ce sujet. Je vous encourage à consulter notre site, car tous nos délais sont publics. Les industriels affirment que nos délais sont de cinq cent vingt-sept jours, mais il importe de savoir ce que comprennent ces cinq cent vingt-sept jours. D'abord, c'est le délai compris entre une AMM, une autorisation de mise sur le marché, et la détermination du prix de remboursement payé dans l'ensemble des pharmacies par la sécurité sociale. Il existe plusieurs étapes. La première réside dans le dépôt de dossier des industriels à la HAS à réception de l'AMM. Le délai moyen est de cent dix jours, mais il relève des industriels. Nous ne cessons de leur proposer des dispositions de dépôt précoce, des outils, etc., de sorte à faciliter leur dépôt. Malgré cela, le délai moyen s'élève à cent dix jours. Ensuite, la HAS travaille sur le dossier. Les délais de la HAS figurent sur notre site ; ils sont évalués en permanence et ils fluctuent entre quatre-vingt-dix et cent dix jours, selon la charge de travail. En effet, le nombre des dossiers ne cesse d'augmenter, mais nos ressources sont stables. Nos délais s'élèvent donc à cent dix jours, pour les droits communs, délais identiques à ceux des dépôts de dossiers par les industriels. Ensuite, lorsque nous avons rendu nos avis, la négociation du prix s'ouvre alors avec le ministère et c'est l'étape la plus longue. Un décret est en cours de discussion – je crois qu'il est actuellement examiné par le Conseil d'État – visant à instaurer, pour les médicaments indispensables, un accès direct après l'avis de la HAS de sorte que la sécurité sociale prenne en charge le médicament pendant la phase de négociation du prix, au prix fixé par l'industriel, dans un premier temps, en attendant l'issue de la négociation. Ce décret concernera certains médicaments identifiés sur des critères précis. Les médicaments moins urgents doivent attendre l'issue de la négociation entre le Ceps et l'industriel ; négociation dans laquelle la HAS n'étant pas partie prenante, elle n'est pas comptable des délais. Les délais de la HAS sont transparents et ils sont publiés. Ils fluctuent, mais n'atteignent jamais les cinq cent vingt-sept jours évoqués et nous n'avons pas à rougir par rapport à nos collègues allemands. Il relève de notre responsabilité de réduire au maximum nos délais, mais la charge de travail et le nombre de dossiers sont ce qu'ils sont et nous ne disposons pas de ressources équivalentes à celles des agences allemandes, par exemple, ou d'autres pays. Le nombre de dossiers que doit traiter un chef de projet à la HAS est beaucoup plus important.

J'ajoute qu'une partie de cette évaluation sera prochainement réalisée à l'échelon européen et actuellement, nous construisons cette évaluation commune européenne, ce qui occupe également fortement nos équipes au-delà du traitement, dans les délais requis en France, des dossiers qu'elles ont en charge. Cela requiert beaucoup d'investissement et de travail pour de nombreuses ressources.

S'agissant de la Guadeloupe, j'entends les difficultés auxquelles les hôpitaux guadeloupéens font face, mais j'entends aussi les difficultés qui existent en métropole. Des patients sur des brancards dans les services d'urgences, nous en rencontrons dans beaucoup d'hôpitaux. Toutefois, les moyens alloués au système de santé ne sont pas du ressort de la Haute Autorité de santé. Il convient de vous adresser au ministre de la santé.

J'ai répondu quant aux inquiétudes que nous nourrissions face aux pénuries de personnel et je vous encourage à nouveau à consulter la lettre ouverte rédigée par le collège qui non seulement énumère de nombreux problèmes importants de notre système de santé, mais propose également d'éventuelles pistes qu'il conviendrait d'explorer. Le Ségur de la santé a malgré tout amélioré les conditions salariales des professionnels de santé. Néanmoins, il importe d'améliorer également les conditions de travail.

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