Intervention de Jean-Christophe Combe

Séance en hémicycle du jeudi 6 avril 2023 à 9h00
Accès à une alimentation saine — Présentation

Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées :

Plusieurs millions de nos concitoyens doivent restreindre leur consommation alimentaire par manque d'argent : personne ne saurait l'accepter dans un pays riche comme la France. Nous visons tous le même objectif : lutter contre le fléau de la précarité alimentaire. La discussion qui s'annonce sera l'occasion d'identifier les moyens les plus efficaces pour y parvenir. C'est une question compliquée, sur laquelle il faut se garder d'avoir des avis trop tranchés et définitifs.

J'ai passé douze ans à la Croix-Rouge française, à élaborer et à redéfinir des programmes d'aide alimentaire – l'ensemble des acteurs du secteur mènent une réflexion permanente sur le sujet. J'en ai tiré trois convictions. Premièrement, les solutions sur mesure sont bien plus efficaces que les mesures générales pensées pour répondre à des moyennes qui, sur le terrain, n'existent pas. Deuxièmement, on ne peut pas viser la quantité sans se soucier de la qualité. Troisièmement, le mieux qu'on puisse faire est d'accompagner, de renforcer et de soutenir la transformation de ceux qui sont les mieux placés : les acteurs de l'aide alimentaire eux-mêmes.

Fort de ces convictions éprouvées sur le terrain, je défends devant vous deux choix du Gouvernement : soutenir le pouvoir d'achat des plus modestes et garantir l'accès de tous à une alimentation de qualité.

Le soutien au pouvoir d'achat se traduit dans des mesures d'urgence, que nous avons prises dès l'été dernier : la remise carburant, puis l'indemnité carburant pour les ménages les plus modestes, visant à répondre à la flambée des prix de l'énergie ; le bouclier tarifaire énergie, qui a permis de lutter contre l'inflation à la racine au bénéfice de tous les Français ; le chèque exceptionnel destiné à 12 millions de foyers ayant des revenus modestes ou moyens ; la revalorisation exceptionnelle des pensions de retraite, des allocations familiales, des minima sociaux et du point d'indice de la fonction publique ; l'aide exceptionnelle de rentrée pour les familles bénéficiaires de minima sociaux ; le maintien du repas à 1 euro pour les étudiants modestes et la revalorisation des bourses – Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche s'est exprimée à ce sujet cette semaine ; enfin, le soutien renforcé aux familles monoparentales. J'ai une attention toute particulière pour ces dernières, car elles sont, plus que d'autres, confrontées à la précarité. Aussi avons-nous augmenté de 50 % l'allocation de soutien familial (ASF), et étendu les aides à la garde d'enfant jusqu'à l'âge de 11 ans.

Parallèlement à ces actions directes, nous avons agi pour soutenir fortement les acteurs de la solidarité. Je pense bien sûr aux associations – avec, par exemple, le renforcement des crédits en faveur de la domiciliation ou de l'accès aux droits –, mais aussi aux collectivités, sur lesquelles repose une large part de l'action sociale en France. C'est aussi pour protéger leurs marges d'action que nous avons créé l'amortisseur électricité et le bouclier tarifaire. Par ailleurs, la hausse des dotations – notamment de la dotation globale de financement (DGF) – dans la loi de finances pour 2023 a atteint des montants jamais vus depuis treize ans. Pour assurer le bon suivi de ces mesures, je maintiens un lien permanent avec toutes les associations du secteur. Je les ai encore réunies il y a quelques jours dans le cadre d'une cellule anti-inflation, qui doit aussi nous permettre, si nécessaire, de prendre de nouvelles mesures au plus près des besoins.

Ensuite, comme je l'évoquais, il y a la question de l'aide alimentaire. Le choix que nous avons fait est celui d'un soutien fort, puissant, ciblé, à l'aide alimentaire. Dès l'été, à l'initiative bienvenue de votre assemblée, nous avons débloqué des fonds d'urgence à hauteur de 55 millions d'euros, soit un doublement du budget de soutien à l'aide alimentaire. À l'automne, ce budget a de nouveau été abondé en loi de finances rectificative, à hauteur de 40 millions d'euros. Nous avons notamment fléché en urgence 10 millions d'euros vers des mesures spécifiques en faveur des étudiants. Ces mesures étaient nécessaires et efficaces. Elles permettent avant tout aux associations de faire face au contexte inflationniste. Nous avons souhaité les compléter avec une action structurelle en cours de déploiement : la création d'un fonds d'aide alimentaire durable, annoncé en novembre dernier par la Première ministre, qui permettra le déploiement du programme Mieux manger pour tous.

Chacun le sait, la question du chèque alimentaire unique à la main de l'État a été posée. Je le redis : ce n'est pas le choix que nous avons fait, pour des raisons non seulement d'efficacité opérationnelle, mais aussi de volonté de transformation durable du secteur. À ces deux titres, je sais que nous avons fait le bon choix, et ce d'autant plus que j'ai été, comme vous le savez, de l'autre côté de la barrière. Ce programme doté de 60 millions d'euros en amorçage a vocation à se déployer et à se développer tout au long du quinquennat, en fonction des retours d'expérience et des besoins observés. Il permettra de soutenir les acteurs, associations et collectivités territoriales, en proposant des paniers, des chèques et des ateliers verts et solidaires. Il se déploiera dans le cadre de deux volets.

Le premier permettra, au plan national, dans le cadre de conventions qui seront signées avec les associations d'aide alimentaire agréées, de soutenir des approvisionnements conformes aux recommandations du programme national nutrition santé (PNNS) en augmentant la part des fruits, légumes, légumineuses et produits sous label de qualité distribués aux 4 millions de bénéficiaires de l'aide alimentaire.

Le second volet, territorial, permettra de créer ce que j'appelle des alliances locales de solidarité alimentaire entre producteurs, associations, collectivités et bénéficiaires. C'est donc au plan local qu'il sera pertinent de soutenir – et que nous soutiendrons – des expériences de chèque comme il en existe déjà dans plusieurs villes, menées par des collectivités et des CCAS – centres communaux d'action sociale – ou par des associations. Je pense aux expériences pilotes menées à Montreuil et Dijon et, demain, à Rennes. Elles permettent souvent de faire le lien avec les AMAP – association pour le maintien de l'agriculture paysanne –, dans une logique de circuits courts : c'était d'ailleurs très précisément la logique soutenue par la Convention citoyenne pour le climat (CCC). C'est aussi au plan local que nous pourrons soutenir les projets alimentaires territoriaux.

Cette approche, à la fois globale et locale, permet d'assurer un soutien homogène et de laisser toute sa place à l'expérimentation et à l'innovation. Elle permet aussi de soutenir des modèles d'avenir. Je suis convaincu que l'avenir de l'aide alimentaire, c'est avant tout l'accompagnement : il faut évidemment distribuer de l'aide – et nous faisons en sorte qu'il y en ait davantage –, mais il faut aussi soutenir les ateliers verts et solidaires qui permettent un accompagnement plus structurel et global de la personne et de sa famille. Il s'agit, très concrètement, de réapprendre à cuisiner des produits frais et sains auxquels certains ont trop rarement accès. Les acteurs de l'aide alimentaire sont nombreux à partager cette vision.

C'est d'ailleurs celle-ci qui irriguera le pacte des solidarités que je présenterai dans quelques semaines. Il s'inscrira en cohérence et en continuité avec la stratégie de lutte contre la pauvreté des dernières années, avec une ambition réaffirmée et des limites corrigées. Ce pacte s'appuiera sur quatre axes qui sont au cœur des grands enjeux, actuels et à venir, de la solidarité : d'abord, la prévention de la pauvreté et la lutte contre les inégalités à la racine, dès l'enfance ; ensuite, l'amplification de la politique d'accès à l'emploi pour tous ; le troisième axe sera la prévention de la bascule dans la pauvreté et de la lutte contre la grande exclusion ; enfin, le quatrième axe, qui est au cœur de nos échanges du jour, correspond à l'accompagnement des plus précaires dans la transition écologique, en agissant pour faire baisser les dépenses contraintes des ménages les plus modestes non seulement en matière d'alimentation, mais aussi de logement ou de mobilité. L'accès à l'alimentation de qualité pour tous y tiendra une place prépondérante avec, au-delà du programme Mieux manger pour tous, la volonté de déployer largement des mesures qui ont fait leurs preuves comme les repas à 1 euro dans les cantines des communes rurales ou les petits-déjeuners à l'école dans les territoires les plus fragiles.

Ce que je souhaite, et ce que je vous proposerai par un amendement à l'article 1er , c'est, en somme, de laisser se déployer l'initiative prise par le Gouvernement il y a quelques semaines lorsque j'ai lancé le programme Mieux manger pour tous. Nous souhaitons pouvoir expérimenter et évaluer l'approche souple et volontaire que je vous ai présentée, laquelle doit permettre un meilleur ciblage des besoins, puis mesurer les effets de cette approche et en évaluer ensemble la pertinence. C'est ainsi que nous pourrons véritablement lutter contre la précarité alimentaire, aux côtés des associations et des collectivités qui sont en première ligne au quotidien et dont nous reconnaissons l'action.

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