Intervention de Jean-Christophe Combe

Séance en hémicycle du lundi 3 avril 2023 à 21h30
Pour une politique ambitieuse du grand âge

Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées :

Je veux tout d'abord remercier le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires d'avoir pris l'initiative d'organiser ce débat sur un thème ô combien important.

Demain, vous le savez sans doute, je conclurai, au ministère des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées, avec plusieurs centaines de personnes, le volet « bien vieillir » du Conseil national de la refondation. Par ailleurs, la commission des affaires sociales a commencé l'examen d'une proposition de loi, soutenue par les groupes de la majorité présidentielle, relative à la même thématique. C'est dire combien l'attente est forte dans ce domaine.

Cette attente s'explique notamment par le fait que nous partageons tous, ici, des constats et des objectifs.

Les constats sont les suivants. Nous avons affaire à un secteur fragilisé par les crises successives et déstabilisé par des difficultés de recrutement et d'organisation du travail ; les Français n'ont plus confiance dans les Ehpad et l'attente est forte, dans la population, de pouvoir vieillir chez soi jusqu'à la fin de sa vie.

Les objectifs sont avant tout de préparer la société au vieillissement, de diversifier, de rendre attractif, d'innover, de reconnaître que l'avancée en âge est un formidable levier de richesse humaine et de croissance partagée. Pour cela, la question essentielle est bien sûr celle de savoir comment faire en sorte que les professionnels soient heureux, épanouis et qu'ils vivent le sens de leur engagement.

Tous ces enjeux, je les percevais en prenant mes fonctions. Je connaissais l'expérience des gestionnaires d'établissement, qui voyaient les personnes et les familles exprimer chaque jour davantage leurs inquiétudes et les équipes peiner à exercer pleinement leurs missions. Je sentais monter les incertitudes, tout en percevant la formidable énergie que nous avons vue à l'œuvre pendant la crise de la covid, lorsque des liens de proximité se sont créés hors de tout réseau établi, du simple fait des initiatives citoyennes.

Je n'ai donc pas attendu pour agir ; j'ai voulu apaiser les inquiétudes et amplifier cette énergie.

Le Gouvernement, je le rappelle, a agi avec force, ces derniers mois.

D'abord, dans un contexte économique difficile pour les structures, face à l'inflation, l'État a procédé à une majoration des dotations soins des Ehpad fin 2022 en effectuant des versements complémentaires, à hauteur de 440 millions, délégués aux établissements par les ARS pour leur permettre de remédier aux difficultés budgétaires. Nous avons également défendu l'intégration des Ehpad au bouclier tarifaire applicable aux dépenses d'électricité et de gaz, avec effet rétroactif en juillet 2022.

Surtout, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a permis d'afficher un objectif global de dépenses en hausse de 5,1 % pour le champ du grand âge et du handicap, soit un niveau historiquement élevé. Ont également été budgétés 300 millions supplémentaires pour renforcer les moyens des Ehpad et leur permettre d'accomplir leurs missions d'accompagnement dans de meilleures conditions, par exemple en entamant les recrutements correspondant à la trajectoire de 50 000 professionnels soignants supplémentaires sur les prochaines années ou en développant le modèle de l'Ehpad centre de ressource territorial.

En ce qui concerne le domicile, une enveloppe de 64 millions a été prévue pour la création de 4 000 places supplémentaires en Ssiad. Au total, ce sont 25 000 places qu'il est prévu d'ouvrir d'ici à 2030 pour répondre aux besoins démographiques.

Une réforme de la tarification, à laquelle on travaillait depuis plusieurs années, a par ailleurs été votée et entrera en vigueur en 2023, sachant que sont prévus, d'une part, des moyens supplémentaires pour les prises en charge plus complexes, d'autre part, des dotations visant à améliorer la coordination avec les Saad, dans la logique de la mise en place des futurs services autonomie. J'ajoute que le tarif plancher créé en 2022 a été revalorisé et indexé sur un indicateur proche de l'inflation, là encore pour tenir compte des difficultés financières des structures.

En tout, nous réalisons un investissement massif, de plus de 10 milliards, dans la branche autonomie entre 2021 et 2026, puisque les financements qui lui sont dédiés vont passer de 32 milliards à 42 milliards au cours de cette période.

Au-delà des enjeux financiers, nous avons bien sûr agi pour les personnes âgées elles-mêmes. Je ne souhaite pas être trop long dans ce propos introductif et concentrerai mon propos sur les questions de confiance. Les difficultés et les scandales ont malheureusement miné la confiance que les Français doivent avoir dans notre politique globale du grand âge et dans ses relais.

C'est bien pour cela que la loi de financement de la sécurité sociale que vous avez votée comporte un certain nombre de mesures renforçant la transparence financière des établissements et des groupes d'Ehpad, participant ainsi à l'indispensable choc de confiance et de transparence. C'est aussi pour cela que j'ai moi-même lancé des états généraux de la maltraitance qui, en plus de plusieurs saisines effectuées auprès de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) ou encore de la Conférence nationale de santé (CNS), doivent nous permettre de renforcer notre arsenal contre ces violences qui nous indignent tous. Enfin, nous avons fixé le cap de l'amélioration de notre système d'accompagnement des personnes à domicile, afin de conforter le virage domiciliaire, que l'immense majorité des Français appelle de ses vœux. L'ajout de deux heures de vie sociale à tous les plans d'aide, inscrites là encore dans la loi de financement de la sécurité sociale, y contribuera pleinement.

Bien sûr, au-delà de ces premières mesures, j'ai toujours eu conscience de l'importance d'aller encore plus loin. C'est pour cela que tous ces sujets ont irrigué les discussions qui se sont tenues dans le cadre du Conseil national de la refondation, qui m'a conduit aux quatre coins de la France, en métropole comme en outre-mer, au contact des personnes âgées, des professionnels mais aussi des experts.

L'objectif n'était pas de reproduire à l'identique ce qui avait déjà été fait mais, pour la première fois, d'aller à la rencontre des citoyens engagés sur l'ensemble de ces questions, parce que j'ai la conviction que c'est d'abord un enjeu de société, au-delà des questions techniques qui occupent déjà notre quotidien.

En 2030, un tiers de la population française sera âgé de plus de 60 ans, et les plus de 65 ans seront alors plus nombreux que les moins de 15 ans. Nous devons donc anticiper collectivement cette transition démographique, et c'était bien l'objet du Conseil national de la refondation. Collectivement, parce que ça nous concerne toutes et tous. Ce n'est pas que l'affaire des aînés ou des professionnels du grand âge. C'est une question de solidarité intergénérationnelle, de création d'emplois pour les jeunes, d'espaces publics inclusifs qui profitent autant aux parents avec leurs poussettes qu'à nos compatriotes qui utilisent un fauteuil roulant.

Voilà, mesdames, et messieurs les députés, le cadre dans lequel j'ai inscrit ma réflexion sur cette grande transformation de notre politique du grand âge, que nous appelons de nos vœux. Dans le détail, il m'avait semblé indispensable de retenir trois thématiques pour le CNR, et c'est sur ces trois thématiques que j'aurai l'occasion de revenir demain ; vous comprendrez que je réserve l'essentiel de mes annonces aux participants à cette séquence.

Trois thématiques pour donner corps à trois grandes priorités, et d'abord à la promotion du lien social et de la citoyenneté. Nous constatons que les personnes âgées souffrent aujourd'hui d'un défaut de représentation. Bien vieillir dans la cité requiert peut-être avant tout de redonner leur pleine citoyenneté à nos aînés, de prévoir des dispositions qui permettent de s'assurer que leur voix soit entendue dans toutes les décisions de politique publique qui les concernent, de reconnaître et de valoriser leur engagement et leur contribution propre, de mieux prévenir enfin toutes les formes de maltraitance qui les touchent. J'en suis convaincu, à 20 ans comme à 70 ans, personne ne doit décider de notre destin à notre place.

Nous devons donc faire progresser notre démocratie et nous assurer que la participation des plus âgés est facilitée et reconnue, avec, à mon sens, deux grands enjeux : d'abord la lutte contre l'âgisme, qui passe par l'encouragement et la valorisation de l'engagement des aînés ; ensuite, l'amélioration de la lutte contre les maltraitances et les violences.

La deuxième thématique abordée dans le cadre du CNR concerne la valorisation des professionnels qui entourent les aînés. Il est urgent de travailler à l'amélioration de l'attractivité des métiers de l'autonomie, ces métiers qui représentent le quatrième pourvoyeur d'activité en France. Les femmes et les hommes engagés auprès de nos aînés constituent un véritable vivier de talents. Nous devons aujourd'hui leur donner les moyens d'agir et faciliter, par nos modes d'organisation et de formation, leur accomplissement et leur épanouissement professionnels. Pouvoir s'appuyer sur des professionnels qualifiés engagés, épanouis, est une condition majeure pour rendre effective la société du bien vieillir, tout en répondant à la logique du plein emploi.

Les nombreux professionnels que j'ai rencontrés ces derniers mois m'ont toujours dit la fierté qui était la leur de travailler dans ce secteur. Je m'en suis encore rendu compte, le 17 mars dernier, lorsque j'ai organisé, avec l'ensemble du secteur, la première journée nationale dédiée aux aides à domicile, qui a été un véritable succès.

Enfin la troisième thématique s'articule autour de la mise en place d'une politique globale d'adaptation de la société. Car oui, prévenir la perte d'autonomie est un enjeu sociétal majeur. Il s'agit, bien sûr, d'investir dans la prévention et d'adapter le comportement individuel des personnes âgées pour maintenir leur autonomie le plus longtemps possible, en repérant les fragilités le plus en amont possible, en facilitant l'accès au sport ou encore en prévenant les chutes, première cause de mortalité des personnes de plus de 65 ans. Il s'agit tout autant d'adapter le logement que de faciliter pour les personnes âgées le recours aux aides techniques leur permettant de rester le plus longtemps possible chez elles. C'est enfin, plus globalement, l'adaptation des territoires, notamment des villes et des villages, au vieillissement, en termes de mobilité, de mobilier urbain, de services de proximité. Cet aménagement de l'espace collectif est sans doute ce qui montre le mieux l'enjeu sociétal qui est devant nous.

Maintenant, bien sûr, le ministre que je suis doit relever un défi, celui de porter la parole de tous les citoyens, tous les professionnels, tous les experts et tous les élus locaux qui ont participé au Conseil national de la refondation, et de la traduire en actes. Il y a une première étape, demain, avec la restitution ; il en aura une seconde, la semaine prochaine, avec l'examen de la proposition de loi de la majorité présidentielle en séance publique. Fin mai, je présenterai le plan d'action concret et opérationnel, qui replacera dans une vision globale des mesures relevant de la loi et d'autres qui n'en relèvent pas. Enfin, à la fin de l'année, nous aurons rendez-vous avec les mesures de financement, dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

C'est l'ensemble de ces mesures qui constituent la réforme du grand âge dont je donne le coup d'envoi aujourd'hui. Cette réforme est attendue par tout un secteur, mais surtout par les Français. Je me tiens donc à votre disposition, pour répondre à vos questions sur cette perspective qui est bien celle qui nous permettra collectivement d'apporter une réponse aux enjeux dont nous discutons ce soir.

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