Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du mercredi 1er mars 2023 à 21h30
Commission des affaires économiques

Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique :

Après l'adoption du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, voici venu le temps pour le Parlement de se prononcer sur le deuxième pilier de la stratégie de transition énergétique conduite par le Gouvernement : la relance de notre filière nucléaire. C'est dans ce cadre que j'ai l'honneur de vous présenter ce projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires.

L'examen de ce texte intervient, vous le savez, dans le contexte particulier d'une crise climatique qui menace la survie de nombreuses espèces mais aussi l'avenir de nos enfants, et d'une crise énergétique générée par la guerre qui se déroule aux portes de notre continent, en Ukraine. Ces deux crises nous rappellent combien il est urgent de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, qu'il s'agisse du gaz, du charbon ou du pétrole. C'est un impératif, tant pour des questions climatiques et d'émission de gaz à effet de serre que pour des questions d'indépendance économique, donc politique.

C'est la raison pour laquelle l'ambition du Président de la République et du Gouvernement est de faire de la France le premier grand pays industriel à sortir de cette dépendance aux énergies fossiles. La stratégie annoncée à Belfort par le Président de la République repose donc sur trois indissociables piliers.

Tout d'abord, la réduction de la consommation d'énergie, qui passe par la sobriété et l'efficacité énergétiques. Si nous voulons atteindre la neutralité carbone, les experts de Réseau de transport d'électricité (RTE) affirment que nous devrons réduire de 40 % notre consommation d'énergie finale à l'horizon 2050. Le plan de sobriété que j'ai présenté en octobre dernier constitue la première brique de cette trajectoire de long terme. Grâce à la mobilisation des grandes entreprises, des grandes collectivités locales et des grandes administrations, et plus largement des Françaises et des Français, ce plan a permis à notre pays de réduire de 10 % sa consommation de gaz et d'électricité combinés cet hiver, c'est-à-dire de faire en trois mois ce que notre pays n'a pas su faire en trente ans. Ainsi, lors du pic de consommation du 12 décembre dernier, nous avons économisé l'équivalent de la production de sept centrales nucléaires.

Ensuite, notre stratégie énergétique repose sur l'augmentation massive et durable de notre production d'énergie décarbonée. Sur ce point, nous n'avons pas le luxe de l'idéologie. Nous devons accélérer la production de toutes les énergies décarbonées disponibles, dès lors qu'elles sont compatibles avec notre indépendance énergétique et qu'elles contribuent à fournir à nos concitoyens une énergie abondante et compétitive en prix. J'insiste sur ce point : l'enjeu n'est pas celui du nucléaire contre les énergies renouvelables, c'est celui des énergies décarbonées contre les énergies fossiles.

Notre stratégie implique d'abord de développer massivement les énergies renouvelables : c'est tout l'objet du projet de loi d'accélération qui a été voté définitivement le 7 février et sur lequel nous avons travaillé ensemble durant de longues semaines.

Notre stratégie implique ensuite l'énergie nucléaire. Assumons de le dire sans détour : oui, notre pays a un lien historique avec la technologie nucléaire ; oui, ce lien est le fruit d'une volonté politique assumée et orientée, celle du général de Gaulle et de ses successeurs. C'est bien dans cet héritage politique que s'inscrit le programme de construction souhaité par le Président de la République.

Sur ce sujet, je me permets un aparté. Des activistes comme Zion Lights, ancienne figure d'Extinction Rebellion, ou Greta Thunberg, reconnaissent l'importance du nucléaire pour sortir des énergies fossiles. Des personnalités politiques comme Alexandria Ocasio-Cortez vantent la filière de recyclage nucléaire française. Des partenaires européens affichent désormais une stratégie similaire à la nôtre : la Suède, les Pays-Bas, la Belgique, la République tchèque ou encore la Roumanie, pour ne citer que ceux-là, ont manifesté leur souhait de se doter de nouvelles capacités de production nucléaire ou de prolonger l'utilisation des centrales existantes. J'ai d'ailleurs lancé hier, avec onze de mes homologues européens, une alliance européenne du nucléaire. Cette alliance vise à défendre la contribution du nucléaire à nos objectifs climatiques et à la sécurité énergétique de notre continent. C'est absolument stratégique : l'avenir du nucléaire se joue aussi au niveau européen.

Ce projet de loi est donc le deuxième texte énergétique soumis au Parlement en trois mois, ce qui témoigne de ma détermination à préparer, ensemble, l'avenir énergétique de notre pays, à mettre fin à notre dépendance aux énergies fossiles, à répondre aux enjeux de pouvoir d'achat des Français et de compétitivité de nos entreprises, et à faire de notre pays un grand pays énergétique, souverain dans le domaine des technologies et capable de les exporter. Avec ce texte, notre objectif est d'anticiper et d'être prêt si nous décidions, après les concertations, débats publics et discussions parlementaires qui s'imposent, d'avancer sur le programme de nouveau nucléaire français.

Cette orientation s'inscrit dans la droite ligne de notre action depuis le début du premier quinquennat : commande du Président de la République à EDF, dès 2018, d'une étude sur un nouveau programme nucléaire ; commande du Président de la République à RTE en 2019 d'une étude sur notre futur énergétique ; mobilisation des filières de l'amont à l'aval avec le plan de relance et le plan France 2030 ; concertation sur notre avenir énergétique ; débat public sur les nouveaux réacteurs sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP) ; et examen de ce projet de loi. Tout est fait, avec ordre, pour que la décision que nous prendrons soit la plus éclairée, la plus concertée et la plus préparée possible. Anticiper ne signifie cependant pas que nous préjugions de quoi ce soit en termes de programmation. Ce texte, je tiens à le répéter, ne vise pas à décider de la place de l'énergie nucléaire dans le mix énergétique français, ni des détails d'un nouveau programme nucléaire.

J'ai entendu de nombreuses approximations ces derniers jours sur lesquelles je veux éclairer l'Assemblée nationale. Il est d'abord inexact et malhonnête de prétendre que le Gouvernement enjamberait le débat avec ce projet de loi. Les deux débats publics, celui sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et celui sur la construction de nouveaux réacteurs EPR2, sont maintenant achevés. Des questions ont été posées par les participants sur la technologie nucléaire la plus pertinente, les coûts du programme, la gestion des déchets et la disponibilité des compétences. Nous devons leur apporter des réponses et nous y travaillons. C'est pourquoi j'ai lancé une revue du nouveau programme nucléaire qui nous fournira, d'ici à la fin de l'été, les coûts actualisés, une évaluation des choix technologiques, un état des lieux industriel de la filière et un point sur les besoins en compétences. On ne peut pas nous reprocher d'avoir un projet de relance du nucléaire, car la raison d'être d'un débat public est justement de se pencher sur un projet clairement identifié.

Par ailleurs, le projet de loi ne réduit ni la sûreté nucléaire, ni la protection de la biodiversité, ni la participation du public. Il ne modifie ni le processus d'autorisation environnementale, ni celui de l'autorisation de création, qui traite des enjeux de sûreté nucléaire. Ces deux autorisations subsistent, tout comme les deux enquêtes publiques préalables. Le texte ne modifie pas non plus le processus de débat public, organisé sous l'égide de la CNDP avant tout projet. Enfin, et c'est important, le cadre d'accélération que j'ai proposé ne s'applique qu'aux projets de construction de réacteurs nucléaires qui produisent de l'électricité, quelle que soit la technologie employée, qui se situent à proximité du périmètre de sites nucléaires existants, et dont la demande d'autorisation de création sera déposée dans un délai qu'il vous reviendra de déterminer. L'objectif est d'éviter la création de nouveaux sites nucléaires isolés dans le territoire et de rendre notre action compatible avec la relance de notre politique électronucléaire, sans verrouiller les orientations en matière de technologie de réacteur. C'est donc un texte qui nous donne les moyens de transcrire notre volonté politique.

Ce projet de loi permet tout d'abord d'accroître notre efficacité. Il commence par rendre compatibles les documents locaux d'urbanisme avec la complexité d'un projet de réacteur électronucléaire Il permet aussi de mener en parallèle l'instruction de l'autorisation de création et les activités relatives aux constructions et aménagements liés aux projets de réacteurs nucléaires. Cela ne concerne bien évidemment pas les activités liées à la spécificité du nucléaire, par exemple la construction de bâtiments destinés à recevoir des combustibles, qui ne pourront débuter qu'à l'issue de l'autorisation de création. Le texte exempte également les projets de construction de certains réacteurs à proximité des réacteurs existants de certaines dispositions de la loi « Littoral ». Compte tenu de l'intérêt particulier pour la nation de ces projets nucléaires, ce texte prévoit aussi des mesures d'expropriation pour les projets de réacteurs reconnus d'utilité publique. Ce sont des dispositions auxquelles nous avons déjà eu recours, par exemple pour les Jeux olympiques de 2024 ou pour le projet du réacteur thermonucléaire expérimental international Iter.

Ce texte accroît également la sûreté. Je veux être très ferme sur ce point : l'accélération ne se fera pas au détriment de la sûreté de nos installations présentes et futures. La sûreté sera accrue d'abord grâce à un travail construit destiné à conforter l'indépendance et les moyens de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), en réunissant ses compétences avec celles de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Je parle de travail construit car ce projet de loi n'est que le point de départ d'une réorganisation qui pourrait s'étaler sur quinze mois. Nous souhaitons prendre le temps, en associant les présidents de l'ASN et de l'IRSN, que j'ai missionnés, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), mais aussi les organisations syndicales, que j'ai longuement reçues, et le Parlement, au travers de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), pour définir la nouvelle organisation la plus sûre et la plus efficace. Il y va de la confiance des Français dans cette technologie.

Contrairement à ce que j'ai entendu, il ne s'agit pas d'un démantèlement de I'IRSN. L'amendement qui vous sera soumis prévoit l'élargissement des missions de l'ASN à des missions d'expertise et de recherche dans les domaines de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, ainsi que des actions de sécurité civile en cas d'accident radiologique. Il étend ainsi les prérogatives d'une autorité administrative indépendante, l'ASN, aux activités de l'IRSN, établissement public placé directement sous la tutelle de l'État. Par ailleurs, on ne sépare pas recherche et expertise : il faut maintenir la fluidité des relations actuelles entre l'expertise, la recherche et le contrôle en sûreté nucléaire, indispensables dans la préparation de la décision.

Nous souhaitons aussi donner toutes les garanties aux agents de l'IRSN en prévoyant dans la loi le transfert à l'ASN des contrats de travail des agents de l'Institut qui exercent actuellement ces missions. Nous prévoyons d'ouvrir, pour les agents de l'IRSN affectés à I'ASN à la date du transfert, un droit d'option entre le maintien de leur contrat de droit privé ou la conclusion d'un contrat de droit public que leur proposera I'ASN. J'insiste sur ce point : cette évolution sera une source d'opportunités nouvelles pour les salariés de l'IRSN. Non seulement ils ont la garantie de ne rien perdre en termes de conditions contractuelles, bien au contraire, mais ils pourront suivre plus facilement des parcours croisés dans le domaine de la sûreté et profiter de davantage de mobilité géographique : ce sont de nouvelles portes qui s'ouvrent dans ce nouvel ensemble qui sera co-construit. Enfin, grâce à ce travail de rapprochement, l'ASN pourra disposer de manière pérenne d'agents contractuels de droit privé, ce qui lui donnera de la souplesse dans les recrutements au moment où la concurrence pour attirer les compétences nucléaires fait rage. Je souhaite que cette réforme nous permette d'aborder la question de l'attractivité des métiers et des parcours des collaborateurs de la structure renforcée, y compris les enjeux de rémunération, ainsi que les moyens dont ils disposent pour mener à bien leurs missions.

J'ai pris connaissance du rapport de l'Opecst, voté à l'unanimité de ses membres présents hier. Le Gouvernement soutiendra les deux sous-amendements déposés au nom de ses membres par son président Pierre Henriet et par Jean-Luc Fugit, afin de garantir au sein de sa future organisation la séparation du processus d'expertise des avis des décisions délibérées par son collège, mais aussi l'association étroite du Parlement tout au long du processus.

Le texte sécurise enfin les procédures administratives concernant les réacteurs électronucléaires existants. Il clarifie aussi la procédure de réexamen périodique de ces équipements, qui a lieu tous les dix ans, en garantissant une meilleure articulation entre la participation du public et le processus d'intégration par l'ASN des actions d'amélioration de la sûreté.

Vous l'avez compris, nous renforçons l'ensemble des maillons de la chaîne nucléaire pour réussir notre transition énergétique. Si ce projet de loi ne garantit pas à lui seul la bonne exécution du nouveau programme nucléaire, il occupe une place essentielle dans l'ensemble des mesures juridiques, organisationnelles, industrielles et procédurales qui permettront de relancer avec succès une politique ambitieuse en matière de nucléaire civil. J'espère que nous pourrons nous retrouver dans l'ensemble de ces combats.

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