Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du jeudi 16 février 2023 à 9h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Nicole Belloubet, ancienne garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Y a-t-il eu des interventions, ai-je reçu des instructions « non dites » ? La réponse est clairement : non. En revanche, il y a eu des réunions au sujet des détenus corses et des détenus basques, auxquelles ma directrice adjointe de cabinet assistait. Mais je n'ai jamais reçu d'instructions m'indiquant ce qu'il convenait de faire.

En revanche, j'étais interpellée et questionnée par les députés, les autorités politiques corses, notamment M. Simeoni qui insistait beaucoup sur la levée du statut de DPS. Par ailleurs, comme je vous l'indiquais, j'ai reçu la famille Érignac. En 2017 il me semble, certaines rumeurs circulaient en effet sur une libération anticipée, et la famille Érignac voulait connaître ma position et s'assurer que le meurtre du préfet restait bien présent dans mon esprit. Il y avait donc un contexte politique, des entretiens et des réunions ont eu lieu mais je le répète : je n'ai pas reçu d'instructions particulières, ni formellement ni informellement.

Ensuite, je considère que toute situation doit évoluer. Par exemple, nous avons beaucoup travaillé avec les associations représentant les familles espagnoles et françaises des personnes assassinées par l'ETA. Peu à peu la résilience s'est construite, et nous avons pu faire accepter des rapprochements de détenus basques. Sans rien oublier de ce que la famille Érignac et la France ont enduré avec l'assassinat du préfet, un travail a été effectué, notamment avec la famille Érignac, et il méritait d'être conduit.

Yvan Colonna était-il traité comme un simple détenu de droit commun ? Je vous répondrai à la fois oui et non. Oui, dans le sens où il n'y a pas de prisonniers politiques en France, mais uniquement des détenus de droit commun. Pour autant, Yvan Colonna était un détenu de droit commun soumis à un régime spécifique, comme le sont les 225 autres DPS. Il a donc été traité comme les autres sur certains aspects, mais dans le cadre du régime spécifique des DPS. Les circulaires de 2012 et 2022 précisent ainsi les mesures de surveillance particulières dont font l'objet les DPS.

J'estime que la France a besoin d'un régime DPS, car il est protecteur de la société, ce qui est la première fonction de la prison. À mon époque, les DPS étaient un peu plus de 200, chiffre à comparer avec les 70 000 autres détenus. Faut-il faire évoluer ce régime ? Lorsque M. le président Acquaviva a évoqué un peu plus tôt les six critères relatifs au répertoire des DPS – il n'y en avait que cinq lorsque j'étais ministre –, il semblait étonné que certains d'entre eux ne soient pas strictement liés à l'appréciation de la situation pénitentiaire. Pour ma part, je suis moins choquée, dans la mesure où, si un DPS doit être protégé des autres détenus – ce qui manifestement n'a pas été le cas en l'espèce –, la société doit également l'être de lui. Or comment apprécier la nécessité de protéger la société si l'on n'apprécie pas l'éventualité d'un trouble à l'ordre public qui pourrait résulter d'une évasion ou d'un lien avec l'extérieur, par exemple ? C'est évidemment exogène au strict comportement au sein de l'administration pénitentiaire, mais ce n'est pas sans lien avec l'autorité judiciaire. Les magistrats chargés des peines ont connaissance de ces éléments. Je ne suis donc pas certaine que le régime doive faire l'objet d'une évolution.

Je me souviens parfaitement que la question du maintien de M. Colonna sous le régime de DPS m'a été posée et que j'ai maintenu ce statut. Lorsque j'étais ministre, Yvan Colonna était toujours en période de sûreté, et pour cette raison-là il me semblait donc difficile de lever ce statut. Par ailleurs, à tort ou à raison peut-être, il m'avait semblé que tout un faisceau d'indices militait pour son maintien sous le statut de DPS – je pense notamment à la manière dont il avait été interpellé et à la période ayant précédé son incarcération, qui faisaient craindre d'éventuels liens avec l'extérieur.

J'ignore s'il faut faire évoluer le statut lui-même ou plutôt la prise en charge des détenus placés sous ce statut. Si défaillance il y a eu, elle me semble moins résider dans la décision du maintien sous statut de DPS que dans la mise en œuvre des conditions de détention des personnes classées sous ce statut. Entre une personne qui ne cesse de provoquer des incidents en détention et une autre dont la vie carcérale est calme, l'attention et le suivi ne doivent pas être les mêmes. Ce que je dis là relève du monde idéal de la détention, mais pour arriver à ce monde idéal, il faut des moyens humains et matériels, de la formation, etc.

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