Intervention de François Pupponi

Réunion du jeudi 16 février 2023 à 9h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

François Pupponi :

Je vous remercie pour cette question, qui va me permettre d'expliquer les choses. J'ai toujours mis un point d'honneur à dire que je n'avais pas à m'occuper a priori des affaires de l'île, n'étant pas moi-même élu du territoire. Cependant, j'ai été obligé de le faire, avec une ligne de conduite simple : les Corses votent et désignent leurs élus ; si ces derniers ont besoin de moi, je suis à leur service. Ceci m'a amené à aider Camille de Rocca Serra, qui était de droite, la gauche, et, aujourd'hui, les élus nationalistes maintenant qu'il y a une majorité de cette tendance. Je n'ai aucun scrupule à cet égard : j'aide les élus de Corse désignés démocratiquement par les Corses. Je tiens à les aider parce que, déjà avant 1998 mais notamment depuis cette date, les différents gouvernements ne comprennent pas la Corse ; et parfois, les Corses, qui ne sont pas irréprochables, ont du mal à se faire comprendre. Il y a une espèce de dialogue de sourds, on ne se comprend pas, on n'arrive pas à parler des bons sujets, à s'entendre, ce qui nécessite parfois l'intervention de « facilitateurs ». Je ne suis pas un homme de l'ombre qui est là pour faire des sales coups. Je suis là pour aider et passer des messages.

En 1995, j'étais premier adjoint à la mairie de Sarcelles, dirigée par Dominique Strauss-Kahn. Lorsque Lionel Jospin a été nommé Premier ministre, j'ai dit à Dominique Strauss-Kahn, devenu ministre, moi-même devenant maire, que la gauche devait s'occuper de la Corse. Il m'a répondu que Lionel Jospin lui avait indiqué qu'il ne désignerait pas de « Monsieur Corse », la Corse étant un sujet comme un autre. Un an plus tard, le préfet Érignac était assassiné dans les conditions terribles que nous connaissons tous. C'est un drame humain, avec une famille détruite, et la Corse qui porte le poids de cet assassinat depuis 25 ans, lequel a hypothéqué l'avenir de l'île et les relations avec Paris depuis cette date.

Depuis 1998, la situation s'est dégradée. Après l'assassinat, une série d'événements – avec notamment un préfet pyromane – ont fait que la Corse avait sombré dans une situation catastrophique. Quand le Président Macron est arrivé au pouvoir, nous sommes quelques-uns à avoir essayé de l'aider. Depuis 1998, en tant que Corses, nous ne sommes pas considérés comme des citoyens normaux par la haute administration française. C'est peut-être inconscient de la part de ces hauts fonctionnaires, mais le fait que des Corses aient tué un préfet de la République a complètement modifié la façon dont la haute administration française perçoit la Corse. Nous le vivons quotidiennement, nous ne sommes pas considérés comme les autres. L'administration traite ce territoire différemment. Je le répète, les Corses ont également une grande part de responsabilité, tout n'est pas la faute de l'État. Les relations sont conflictuelles, difficiles, compliquées, surtout depuis 1998. Voilà pourquoi je suis intervenu, lorsque l'on m'a sollicité.

Il est toujours possible d'imaginer qu'Yvan Colonna risquait de s'évader s'il devait être transféré en Corse, même si, sincèrement, je n'y croyais pas. Mais concernant MM. Alessandri et Ferrandi, aller expliquer à des personnes qui ont passé vingt-cinq ans en prison – cela vous change un homme – et qui sont sur le point de bénéficier d'une libération conditionnelle qu'ils pourraient s'évader s'ils rentrent en Corse, au risque de retourner en prison…

Alain Ferrandi m'a tenu des propos qui m'ont fortement traumatisé : « En première instance, on nous dit que l'on va être libérés, mais le PNAT fait un appel suspensif immédiat. En appel, on ne nous libère pas. Si on doit mourir en prison, qu'ils nous le disent. Psychologiquement, on se préparera. Mais la torture, non. »

Il est évident qu'il y a eu une gestion politique de l'affaire. Pourquoi y a-t-il eu ces dérapages en 2021-2022 ? Mon sentiment est que l'on se retrouve dans une situation unique où le ministre de la Justice est empêché et ne peut s'occuper du dossier. Ancien avocat d'Yvan Colonna, il a dû se déporter, ce que l'on peut comprendre. Le dossier a donc été transféré à Matignon, qui ne dispose pas des compétences intrinsèques dans ce domaine et qui a d'autres sujets à gérer. Je pense d'ailleurs que l'absence de convocation des deux commissions DPS de MM. Ferrandi et Alessandri en 2021, qui constitue une faute juridique de la part de l'État, est liée au fait que Matignon n'a pas suivi le dossier. Quand on interrogeait les conseillers de Matignon, on voyait bien qu'ils ne maîtrisaient pas totalement le dossier.

Nous sommes intervenus de manière plus affirmée en 2021 car ne nous voulions pas que le dossier corse vienne perturber l'élection présidentielle. Nous avions averti le Président Macron que la pression politique montait au sujet du non-rapprochement des DPS, que des choses pourraient se passer pendant les élections et qu'il fallait donc régler le problème avant. D'où, je pense, la rencontre avec le président Simeoni pour régler le problème définitivement et trouver une solution satisfaisante pour tout le monde.

Voilà pourquoi je suis intervenu depuis 1995, et plus encore depuis 2021. En effet, entre 2017 et 2021, il y a eu des tensions, le discours prononcé à l'occasion du vingtième anniversaire de la mort du préfet Érignac, des rendez-vous manqués. Depuis 2020, nous étions quelques-uns à essayer de renouer le dialogue entre Paris et la Corse pour trouver des solutions pour la Corse. Je souhaite que le dialogue qui va reprendre permette à la Corse de sortir de la difficulté dans laquelle elle se trouve depuis tant d'années.

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