Intervention de Général Jérôme Bellanger

Réunion du mercredi 25 janvier 2023 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Jérôme Bellanger, commandant des forces aériennes stratégiques :

Je me réjouis de présenter les FAS, forces permanentes de la dissuasion aéroportée, et de rendre ainsi hommage aux femmes et aux hommes que j'ai l'honneur de commander.

Créées par décret présidentiel le 14 janvier 1964, les FAS sont stratégiques dans tous les sens du terme, qu'il s'agisse de la place de leur mission dans notre stratégie de défense, des effets des armes qu'elles utilisent ou de l'allonge de leurs vecteurs. Et comme certains d'entre vous l'ont mesuré en se rendant dans nos bases aériennes, les aviateurs des FAS sont pénétrés de la conscience de servir une mission d'exception, qui les mobilise 7 jours par semaine et 365 jours par an.

Afin d'en témoigner devant vous, je commencerai par exposer mes responsabilités avant d'aborder l'organisation des FAS. J'évoquerai ensuite le degré élevé de polyvalence qu'elles ont atteint, mais aussi la manière dont elles ont su maintenir le niveau le plus élevé dans leur mission première de dissuasion. Je terminerai en évoquant les enjeux de l'année 2023.

Le code de la défense fixe mes attributions, définies par le ministre des armées. Chargé de la mise en condition des forces qui me sont affectées, je suis responsable devant le chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace de la formation et de l'entraînement du personnel des FAS, comme de la maintenance des moyens dont elles disposent.

De plus, chargé du suivi et de l'exécution des missions, je suis commandant de forces nucléaires, responsable devant le CEMA de la tenue du contrat de posture nucléaire de la CNA, c'est-à-dire de l'aptitude des FAS à monter en puissance dans les délais prescrits et à conduire le raid ordonné par le Président de la République.

Depuis leur création il y a bientôt soixante ans, la raison d'être des FAS n'a pas varié : il s'agit toujours de garantir au Président de la République, en toute circonstance, notre capacité à infliger des dommages inacceptables en frappant les cibles qu'il a désignées, dans les délais qu'il a fixés. Lorsque je dis « en toute circonstance », je repense notamment au 31 mars 2020, quand, dans une France confinée, une quarantaine d'aéronefs ont mené à bien l'opération Poker.

Pour garantir notre capacité à produire ces dommages inacceptables, il faut être en mesure de monter en puissance, de percer la cuirasse adverse et de rejoindre le point de tir de nos armes, en déjouant la menace. Cette garantie repose sur la permanence du commandement, sur la redondance de nos transmissions, sur la résilience de nos infrastructures, sur la réactivité de nos bases comme de nos unités et sur l'aguerrissement du personnel. Elle repose aussi sur un missile très véloce et manœuvrant, ainsi que sur l'agilité du raid nucléaire, qui met en œuvre des tactiques taillées sur mesure en fonction de la situation du moment.

Un raid nucléaire, c'est une fusée à trois étages. Le premier comporte les ravitailleurs et les avions radar Awacs ( Airborne Warning And Control System ), qui accompagnent les chasseurs au plus près des frontières ennemies. Le deuxième étage est composé par les Rafale, qui percent les défenses ennemies pour atteindre leur point de tir. Le dernier étage est constitué par l'arme, qui parcourt la distance restante jusqu'à l'objectif désigné.

Pour rendre notre capacité crédible, il faut tirer parti de la visibilité de l'arme aérienne, qui opère à partir de nos bases pour démontrer, jour après jour et dès le temps de paix, notre savoir-faire et notre niveau de préparation, au travers d'exercices, de manœuvres et d'opérations.

La visibilité constitue l'un des atouts majeurs de la CNA dans la conduite du dialogue dissuasif. Cet élément n'échappe ni à nos compétiteurs ni à nos partenaires, dont les satellites nous survolent déjà lorsque nous conduisons nos opérations en temps de paix. L'élongation de nos transmissions permet de tirer parti de cette visibilité bien après le décollage du raid, en offrant la possibilité de rappeler celui-ci si l'ennemi accepte de revenir à une position plus « raisonnable ».

Les FAS et la force océanique stratégique (FOSTt) offrent une complémentarité stratégique, entre une composante discrète par nature et une autre qui agit de manière plus ou moins ostensible, les FAS sachant aussi œuvrer dans la discrétion. Cette complémentarité est opérationnelle et technique, avec des modes de pénétration distincts, balistique d'un côté et aérobie de l'autre, qui imposeraient des solutions de défense radicalement différentes aux adversaires potentiels. Ces derniers devraient disposer de systèmes de détection et d'interception capables de prendre en compte deux types de missiles aux performances incomparables et extrêmement difficiles à neutraliser. Très peu – voire aucun – seraient techniquement et financièrement capables d'un tel grand écart.

Les FAS comptent environ 2 200 militaires et personnels civils, répartis sur trois BAVN, outillées pour conduire notre montée en puissance. Ces bases, qui bénéficient d'une sécurité renforcée, sont équipées de postes de commandement, de zones d'alerte nucléaire, de dépôts d'armes et de transmissions spécialisées. D'autres bases, voire d'autres sites, sont aussi en mesure d'accueillir et de mettre en œuvre nos moyens lors des montées en puissance, afin de réduire leur vulnérabilité. Pour le dire de façon triviale : nous ne laissons pas tous nos œufs dans le même panier. Cette précaution représente un élément essentiel de la résilience du dispositif.

Si l'on doit distinguer la logique de stationnement de nos moyens de celle de leur déploiement lors des exercices et des opérations nucléaires, l'organisation du temps de paix correspond à un simple objectif de cohérence organique. La cinquantaine de Rafale biplaces dont disposent les FAS sont stationnés sur la base aérienne 113 de Saint-Dizier, en Haute-Marne. La base aérienne 125 d'Istres, dans les Bouches-du-Rhône, regroupe l'ensemble de nos appareils C-135 et MRTT, qui assurent le ravitaillement et le transport stratégiques. Enfin, la base aérienne 702 d'Avord, dans le Cher, accueille nos moyens spécialisés, de transmissions notamment, au profit de la CNA mais aussi de la composante nucléaire océanique (CNO).

L'activité des BAVN et de leur escadre est commandée depuis l'état-major, réparti entre la base aérienne de Villacoublay et celle de Taverny, où se trouve également le centre d'opérations des forces aériennes stratégiques (COFAS), épaulé au besoin par un centre de dévolution, situé à Lyon. Le COFAS suit en permanence l'état et la disponibilité de nos moyens, à l'unité près, afin que notre capacité à monter en puissance ne puisse jamais être mise en défaut ou menacée. Il constitue l'armature de notre aptitude à réaliser la mission de bout en bout. Il s'agit d'assurer la veille de la situation stratégique et de l'évolution de la menace, mais aussi de planifier une mission et d'en suivre l'exécution. J'assume la plénitude de mes attributions de commandant de forces nucléaires à partir du COFAS.

Comme l'a rappelé le général Mille et à rebours d'une image qui leur colle encore trop souvent à la peau, les FAS n'ont cessé de se moderniser, d'améliorer leurs équipements et de remettre en question leur manière de les utiliser. Elles ont atteint un niveau de performance inédit dans leur histoire.

Ainsi, le missile ASMP-A, en cours de rénovation, offre des performances remarquables. Sur vingt-quatre tirs d'évaluation, vingt-quatre ont constitué des succès.

De plus, notre chasseur omnirôle Rafale, éprouvé sur tous nos théâtres d'opérations, est l'un des meilleurs du monde. Dans son standard F3-R, il permet de pénétrer en sécurité et avec précision, tout en assurant sa protection et celle du raid, y compris face à des menaces lointaines.

Quant au MRTT Phénix, il prend progressivement la relève du C-135 et représente un saut capacitaire significatif dans sa vocation première, le ravitaillement en vol, tout en offrant une capacité de transport à très longue distance et un potentiel de croissance qui ne demande qu'à être exploité, notamment en matière de commandement aéroporté des opérations. Il permet déjà, comme l'ont expérimenté ses équipages lors de projections, de visualiser une situation tactique et de donner des ordres à très longue distance.

En ce qui concerne la polyvalence, les Rafale et ravitailleurs des FAS assument toute leur part dans les missions conventionnelles de l'armée de l'air et de l'espace. Ainsi, les Rafale ont pris leur tour d'opération au Sahel, puis au Levant. Ils ont aussi participé à l'opération Hamilton, lancée contre les installations chimiques syriennes en avril 2018. À l'heure où je vous parle, ils sont déployés en Jordanie, contribuent à notre PPS-A et patrouillent à l'est de l'Europe dans le cadre des missions de réassurance de l'Otan. En outre, ils se préparent à participer aux exercices nationaux et multinationaux – comme l'exercice interarmées Orion – qui jalonneront cette année 2023. Ils ne font pas tout, mais leur contribution est significative puisque les FAS rassemblent environ 50 % des équipages de Rafale.

Par ailleurs, étant les seuls dans leur catégorie, nos ravitailleurs et nos avions de transport stratégique participent à toutes les missions de l'armée de l'air et de l'espace, sur tous nos théâtres d'opérations. Au printemps 2020, ils ont contribué au transfert des malades du Covid vers les hôpitaux les mieux à même de les prendre en charge. À l'été 2021, ils ont été impliqués dans l'opération Apagan, qui consistait à évacuer nos ressortissants d'Afghanistan. Enfin, après avoir mené il y a deux ans l'opération Heifara, de projection lointaine et rapide d'un dispositif aérien en Polynésie, et l'opération Pegase (projection d'un dispositif aérien d'envergure en Asie du Sud-Est) l'été dernier, ils se préparent à renouveler l'exploit cet été.

La diversité de ces missions confère à notre personnel un niveau d'aguerrissement, un bagage opérationnel et une interopérabilité à peine imaginables il y a encore quelques années. Un capitaine de Saint-Dizier enchaîne une semaine d'alerte de défense aérienne, une montée en puissance nucléaire dans sa zone d'alerte et le vol Poker qui lui fait suite, puis deux mois de détachement en Jordanie, sans oublier les campagnes de tir et les exercices conventionnels ; telle est la vie d'un pilote ou d'un navigateur Rafale des FAS.

Cependant, pas un jour ne se passe sans que notre personnel ne répète ses gammes en vue de la mission nucléaire, sans que l'on teste le bon fonctionnement de l'un des segments nécessaires au raid du jour J. Les FAS réalisent ainsi en moyenne soixante-dix exercices dédiés par an.

Plusieurs fois dans l'année, elles montent en puissance, de manière discrète ou ostensible, pour valider dans des conditions particulièrement réalistes et en toute sécurité leur capacité à sortir les armes réelles des dépôts, à les accrocher sous les avions, à préparer les missions, à recevoir des ordres, à les exécuter et à rendre compte.

Une fois les armes décrochées et remises à l'abri – on ne vole jamais avec des têtes nucléaires –, les FAS valident la capacité du raid nucléaire à fendre la cuirasse adverse et à atteindre des cibles désignées par l'autorité politique. Il s'agit de la fameuse opération Poker, qui est sans équivalent tant son profil est comparable à celui de la mission, engageant le raid face à une opposition de très haute intensité.

Au cœur de la nuit, des dizaines de chasseurs et de ravitailleurs gagnent la pointe de la Bretagne pour s'y rassembler. Une fois constitué, le raid longe la façade atlantique puis les Pyrénées en direction de la Corse. Après avoir ravitaillé deux fois lors de cette première phase, les chasseurs descendent à très basse altitude et progressent à très grande vitesse vers le Massif central, où les attend une force d'opposition air-air et air-sol. S'ensuit une phase de manœuvres et de combats d'une extrême densité, qui doit aboutir au point de tir simulé des armes nucléaires. Puis les chasseurs ravitaillent une dernière fois, avant de rejoindre leur base.

J'ai participé à cette opération il y a un peu plus d'une quinzaine d'années, et je peux vous assurer qu'elle a beaucoup évolué. Poker n'est plus une opération restreinte aux FAS, puisqu'elle engage dorénavant l'armée de l'air et de l'espace dans son ensemble, y compris ses capacités spatiales. Les scénarios diffèrent à chaque édition, se raffinent et se complexifient dans leurs dimensions géostratégique et tactique, rapportant leur moisson d'enseignements pour notre personnel et pour tous ceux qui participent à cette opération majeure : Awacs et chasseurs d'accompagnement du raid, intercepteurs et systèmes sol-air qui tentent de s'imposer, forces spéciales qui contribuent à ouvrir la voie, sans oublier les centres de commandement et de contrôle, les bases aériennes et d'autres capacités encore, comme les hélicoptères de recherche et de sauvetage.

À chaque fois, malgré une situation tactique difficile qui retrace au mieux la menace de dernière génération, nos chasseurs passent et atteignent l'objectif assigné. C'est ainsi que se forge la confiance du personnel dans son système d'arme, dans les procédures et dans notre capacité collective à remplir notre mission. C'est ainsi que se bâtit la crédibilité opérationnelle des FAS, au vu et au su des centaines de satellites de grandes puissances compétitrices qui survolent notre territoire ces nuits-là et des bâtiments de leur marine qui déploient leurs oreilles. C'est ainsi que les FAS sont en mesure de garantir au Président de la République leur capacité de mener à bien la mission.

La crédibilité opérationnelle nécessite une modernisation régulière de nos capacités et une réévaluation permanente et sans concession de nos modes d'action. Aujourd'hui, l'avènement du commandement et du combat multimilieux et multichamps nous conduit à moderniser nos capacités de C2 pour les rendre plus à même d'intégrer les opportunités offertes par l'espace et le cyber.

Le besoin de renforcer notre agilité nous amène à diversifier nos tactiques, en intégrant toujours mieux les capacités conventionnelles. L'élargissement du spectre des menaces et le durcissement des confrontations nous conduisent à renforcer la protection de nos bases – face aux drones, par exemple – et à redoubler nos efforts dans les domaines du NRBC (nucléaire, bactériologique, radiologique et chimique) et de la guerre électronique.

En parallèle, deux défis guident nos actions au jour le jour. La maîtrise de nos activités constitue le premier d'entre eux. La manipulation des armes nucléaires par notre personnel est indispensable, afin de lui permettre de maîtriser les procédures, mais aussi de contribuer à son conditionnement psychologique vis-à-vis d'une mission qu'il risquerait sinon de percevoir comme virtuelle. Ces opérations sont très rigoureusement encadrées, conformément à l'adage « tout ce qui n'est pas écrit est interdit ». La sécurité nucléaire garantit ainsi l'acceptabilité de nos activités pour nos concitoyens comme pour l'autorité politique, donc leur pérennité. Elle représente, avec la bonne application du contrôle gouvernemental, l'un des socles de notre crédibilité. Elle est donc l'une de nos préoccupations permanentes.

Le second défi consiste à offrir au personnel une préparation opérationnelle qui soit à la hauteur à la fois du niveau d'exigence de sa mission principale et de la diversification de ses missions secondaires, tout aussi incontournables. L'acquisition et l'entretien de la polyvalence ont un coût. Il faut être en mesure de générer une activité d'entraînement suffisante, en qualité comme en quantité. Cette activité est particulièrement exigeante pour notre personnel navigant et nos mécaniciens.

Je voudrais enfin évoquer les enjeux pour l'année 2023, que je considère comme charnière. Trois rendez-vous capacitaires sont particulièrement attendus. D'abord, un tir d'évaluation permettra de valoriser la mise en service opérationnel de l'ASMP-A rénové, en octobre. La mise en service opérationnel du Rafale au standard F4, au mois d'octobre également, renforcera encore l'agilité du raid, c'est-à-dire le dialogue entre les avions qui le composent. Enfin, la livraison à Istres du douzième MRTT nous permettra de poursuivre la montée en gamme de notre capacité de ravitaillement et de transport stratégiques. Je rappelle que les valeureux C-135 ont été commandés par le général de Gaulle en 1962 ; il est grand temps de les remplacer.

En parallèle, le commandement des FAS bénéficiera de deux réorganisations. L'Esterel, escadron de transport stratégique, sera transféré à Istres au mois de juillet, ce qui matérialisera la naissance du hub des armées. Enfin, l'ensemble de l'état-major commencera à se regrouper à Taverny, ce qui renforcera encore sa cohérence. Ainsi, à la fin de l'année 2023, les FAS seront encore plus puissantes.

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