Intervention de Jean-Noël Barrot

Séance en hémicycle du mercredi 8 mars 2023 à 15h00
Régime juridique des actions de groupe — Discussion d'une proposition de loi

Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications :

Si la France est un des pays qui protège le mieux les consommateurs, c'est parce que nous savons que l'économie comme la justice reposent sur la confiance : confiance dans la qualité et la sécurité des biens et services que nous achetons, confiance, aussi, dans notre capacité à détecter et sanctionner rapidement les pratiques qui ne respecteraient pas ces obligations essentielles.

Il faut ici saluer le rôle central de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour détecter et sanctionner les pratiques susceptibles de léser les consommateurs, ainsi que celui joué par les associations de défense, qui participent également à cette politique de protection.

La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dont l'article 1er introduit l'action de groupe à la française, a marqué une étape importante dans ce combat essentiel. Je précise « à la française » car, lorsqu'on évoque l'action de groupe, on ne peut s'empêcher de penser aux class actions américaines, que nous connaissons bien puisque les procédures et les enjeux financiers colossaux qu'elles impliquent ont nourri de nombreuses productions hollywoodiennes. Mais les tragédies vécues par nos concitoyens ne devant pas risquer de se transformer en farces, la loi française a été construite à rebours du modèle américain.

Les différentes réformes dont l'action de groupe a fait l'objet depuis sa création, en 2014, ont toutes préservé son équilibre initial. Son champ d'application a ainsi progressivement été étendu à d'autres secteurs que la consommation, qui présentent chacun des spécificités propres. En 2016, la loi de modernisation de notre système de santé a ouvert aux associations agréées d'usagers du système de santé la possibilité d'intenter des actions de groupe au nom des dommages causés par des produits de santé. La même année, la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle a étendu l'action de groupe à la lutte contre les discriminations, à la protection des données personnelles et aux dommages environnementaux. Enfin, en 2018, l'action de groupe a été étendue aux litiges relatifs à la location d'un bien immobilier.

Comme vous pouvez le constater, le régime juridique des actions de groupe est complexe : sans entrer dans le détail, il repose sur sept fondements juridiques différents, cinq codes et deux lois, chacun prévoyant des règles procédurales et de fond, un champ du préjudice indemnisable et des modalités de réparation qui lui sont propres. Le système peut donc être amélioré.

En effet, depuis 2014, seules vingt et une actions de groupe ont été intentées, dont quatorze en matière de droit de la consommation. Trois procédures ont donné lieu à des accords de médiation – toutes en matière de consommation –, et six jugements de rejet ont été rendus en premier ressort sur des moyens de procédure ou de fond. Il ne reste donc que douze procédures en cours, certaines remontant déjà à 2014 ou 2015. Le bilan est décevant, et les causes de cet échec relatif ont été longuement analysées par la mission parlementaire menée par les rapporteurs – je tiens d'ailleurs à saluer la qualité de leur travail.

Comme eux, je pense que l'action de groupe doit avant tout faciliter l'accès des justiciables à la justice : elle trouve donc pleinement son sens lorsque l'action est complexe à mener, que les forces en présence sont profondément déséquilibrées ou que les enjeux financiers individuels sont trop faibles pour justifier la saisie de la justice. Elle doit trouver sa place dans notre arsenal juridique, aux côtés d'autres actions qui visent à défendre les victimes d'un même comportement, comme les actions en défense de l'intérêt collectif, dans lesquelles les acteurs traditionnels, comme les organisations syndicales, occupent un rôle central qu'il faut préserver. Je pense aussi aux actions conjointes de plusieurs victimes – notamment lorsqu'elles sont peu nombreuses ou facilement identifiables –, qui donnent des résultats satisfaisants.

Le Gouvernement partage le constat des rapporteurs : il est nécessaire de lever les obstacles aux actions de groupe, essentiellement liés à leur complexité. C'est d'ailleurs sur la base de ce constat que le précédent gouvernement avait soutenu la directive « actions représentatives », adoptée le 25 novembre 2020 par l'Union européenne. C'est également à ce titre que le Gouvernement soutient pleinement la démarche défendue dans la proposition de loi. En effet, le texte permet non seulement de transposer la directive européenne, mais aussi d'aller plus loin : rendre l'action de groupe plus accessible, et donc plus utile – un objectif que nous partageons tous ici. Au nom du Gouvernement, je tiens donc à remercier les rapporteurs d'avoir dès le départ intégré dans leur texte de nombreux points de la transposition ; d'autres indispensables compléments pour achever la transposition font l'objet de plusieurs amendements. J'en profite pour saluer l'ensemble des groupes présents, qui, en commission, ont adopté à l'unanimité ce texte qui améliore le régime de l'action de groupe.

À travers plusieurs amendements allant dans ce sens, que j'aurai le plaisir de vous présenter, le Gouvernement proposera d'apporter quelques précisions et modifications qui visent toutes le même objectif : faire de l'action de groupe une procédure efficace. Au nom du Gouvernement, je veux d'ailleurs saluer la saisine du Conseil d'État, dont l'avis a permis de renforcer la proposition initiale des rapporteurs. En effet, il convient de s'assurer que de bonnes intentions ne produisent pas d'effets négatifs : nous ne voulons pas de class actions à l'américaine, mais bien des actions de groupe à la française.

C'est d'ailleurs pour cette raison que nous souscrivons pleinement à votre proposition de renforcer la spécialisation des tribunaux en matière d'actions de groupe : comme vous, nous pensons préférable que ce type de contentieux soit traité par des juridictions préalablement désignées, certes moins nombreuses, mais dont les magistrats auront été mieux sensibilisés et formés aux spécificités de ces contentieux, et seront donc plus à même de les traiter. Cela permettra en outre à cette procédure de trouver enfin pleinement sa place dans le paysage juridique français. Si le Gouvernement a déposé quelques amendements techniques, tendant à assurer le respect des principes de notre organisation judiciaire, il souscrit pleinement à l'objectif du texte. Madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, notre démarche vient donc en appui de votre proposition de loi : nous avons à cœur de voir votre texte prospérer, et donc d'assurer sa conformité à la Constitution. À cette fin, les débats nous donneront l'occasion de préciser plusieurs points.

Les spécificités de l'action de groupe à la française concernent trois points essentiels : son champ d'application, les personnes concernées et les sanctions pouvant être prononcées.

Tout d'abord, vous avez souhaité que le champ d'application de l'action de groupe, jusqu'alors cantonnée à des domaines limitativement énumérés, soit très largement étendu. Si le Gouvernement en prend bonne note et partage votre volonté de créer un socle procédural commun à toutes les actions de groupe, afin de les simplifier et d'améliorer leur visibilité, il lui semble néanmoins que des règles spécifiques peuvent rester ponctuellement nécessaires. En effet, l'action de groupe a historiquement prospéré dans le domaine de la consommation : or, le travail et la santé ne sont pas des biens de consommation comme les autres, et peuvent justifier l'édiction de règles spécifiques. Je tiens en particulier à préserver le rôle spécifique joué par les syndicats en matière de droit du travail.

Ensuite, l'action de groupe doit être plus accessible qu'elle ne l'est aujourd'hui, et le Gouvernement partage donc votre objectif d'améliorer cette accessibilité en autorisant à agir des associations qui ne disposaient pas de l'agrément jusqu'à présent. Néanmoins, certains garde-fous sont nécessaires pour s'assurer que ceux qui se lancent dans une action de groupe auront les moyens de la poursuivre tout au long de procédures qui peuvent se révéler longues, et vérifier que la procédure n'est pas dévoyée au profit d'intérêts extérieurs à l'action pouvant déstabiliser les entreprises.

La directive européenne prévoit en outre des garanties pour les actions de groupe transfrontalières et des mécanismes de vérification de la transparence et de l'absence de conflits d'intérêts, corollaires de l'ouverture de la qualité pour agir et intenter une action de groupe.

Là encore, je présenterai au nom du Gouvernement des amendements allant dans le même sens : en effet, indépendamment de l'issue des procédures, l'ouverture de la qualité à agir renforce le risque réputationnel, et nous ne pouvons risquer que l'action de groupe soit instrumentalisée et utilisée à des fins de déstabilisation des entreprises françaises.

Nous devons également veiller à ce que la vérification de la qualité à agir ne donne pas lieu à des contentieux multiples, ce qui augmenterait la charge des juridictions et allongerait le délai de traitement des contentieux. Si l'obtention de la qualité à agir doit être facilitée, et donc simplifiée, elle doit néanmoins reposer sur des critères objectifs qui ne soient pas source de contentieux.

Enfin, s'il est évident qu'il faut sanctionner plus lourdement les entreprises qui auraient intentionnellement commis une faute – sur ce point, le Gouvernement rejoint pleinement les rapporteurs –, les sanctions doivent rester proportionnées. Le Gouvernement a donc déposé quatre amendements à l'article 2 undecies qui tendent à réviser les plafonds de sanction et à introduire un plafond spécifique pour les PME. Ces propositions traduisent d'ailleurs les recommandations formulées par le Conseil d'État.

Les rapporteurs, qui se sont saisis dès 2020 du sujet de l'action de groupe, connaissent ces préoccupations. Je sais leur conviction, leur travail et leur engagement sur cette question. Je sais aussi qu'ils partagent le constat fondamental que je rappelais en introduction : l'économie comme la justice reposent sur la confiance. L'action de groupe doit prendre la place qui lui revient légitimement dans notre droit positif, afin de protéger de manière adéquate les intérêts collectifs légitimes. Nos débats permettront de progresser ensemble en ce sens, et je m'en réjouis.

Je suis très satisfait que le texte discuté aujourd'hui intègre la transposition d'une directive européenne mais, surtout, qu'il soit issu d'un travail d'évaluation conduit par des parlementaires. Enfin, en sollicitant l'avis du Conseil d'État en amont de l'examen du texte, afin d'en avoir une évaluation, l'Assemblée nationale s'est pleinement saisie des outils qui lui sont offerts : je m'en réjouis. Par ailleurs, je suis heureux que le cabinet de la ministre déléguée Olivia Grégoire et les services du ministère de l'économie aient travaillé en si bonne intelligence avec les deux rapporteurs, que je remercie une nouvelle fois pour leur travail.

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