Intervention de Caroline Abadie

Séance en hémicycle du jeudi 2 mars 2023 à 9h00
Lutte contre la récidive — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Abadie :

La récidive n'est pas un fait, c'est une qualification juridique. Plus les juges reconnaissent la récidive, pour la punir plus durement, plus la récidive augmente, en conséquence de quoi le nombre de réitérants diminue. Cette statistique est totalement contre-intuitive, mais les vases communiquent bel et bien entre réitérants non punis de récidive et réitérants punis de récidive. Nous constatons d'ailleurs que le total de ces deux indicateurs s'est stabilisé en 2021.

Pour lutter contre la récidive, il faut dissuader par la répression. Tel est justement le sens de l'action que nous menons ensemble depuis 2017, madame la rapporteure, notamment en matière d'agressions visant l'autorité publique : peines plus sévères pour les violences commises contre les forces de sécurité et lors des refus d'obtempérer, limitation des réductions de peine pour les violences graves contre les élus, etc. En même temps, nous nous sommes efforcés de donner à la réinsertion les moyens qu'elle mérite : nous avons recruté 1 500 agents des Spip en cinq ans, créé 2 000 places en structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), augmenté la formation professionnelle en détention, favorisé le travail en détention, avec notamment la création d'un statut du détenu salarié. Considérez que je ne cite là que les principaux leviers de désistance mis en lumière par de nombreuses recherches internationales ou nationales ; je pense en particulier aux travaux de l'Observatoire de la récidive et de la désistance.

Les moyens de la lutte contre la récidive que vous nous proposez aujourd'hui doivent être appréciés à la seule lumière de leur efficacité. Comment évalue-t-on une politique pénale ? A-t-elle réussi à dissuader ? Dans le cas des peines planchers, nous avons la réponse. En effet, le mécanisme des peines planchers a été en vigueur de 2007 à 2014, avec un champ d'application plus large, bien sûr, mais selon le même régime. L'évaluation montre clairement que le dispositif ne fonctionnait pas : d'abord, parce que les juges ont fini par le bouder ; ensuite, parce qu'il n'a pas eu d'impact sur les peines d'emprisonnement prononcées, proches de 94 %, avant comme après cette période ; enfin et surtout, parce que la part des récidivistes n'a pas diminué de 2007 à 2014 – au contraire, elle n'a fait qu'augmenter, tout comme le taux de réitérants. Robert Badinter avait raison : les délinquants ne se baladent pas avec un code pénal sous le bras !

L'article 1er nous pose d'autant plus question qu'aujourd'hui les délits visés par le texte, ceux qui sont passibles de cinq ans d'emprisonnement en récidive, sont déjà punis d'une peine moyenne d'emprisonnement de 14,2 mois, au-delà des 12 mois proposés ici. À la lumière de ce bilan défavorable, notre groupe ne soutiendra pas l'article 1er .

Le groupe Renaissance aura pour autre ligne directrice de ne pas vider le texte de sa substance contre la volonté de son auteur – je m'en suis entretenu avec la rapporteure –, au-delà même des réserves qu'appellent les autres dispositions. Par exemple, le retour des Spip au sein des juridictions, prévu à l'article 3, serait considéré par les professionnels comme une vraie remise en cause de la réforme de ces services – c'est ce qu'affirme la Conférence nationale des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (CNDPIP). S'agissant de l'article 5, il convient de rappeler qu'une conférence de consensus de prévention de la récidive a déjà eu lieu en 2013, laquelle avait justement préconisé de mettre fin aux peines planchers.

Dans la continuité de nos débats en commission, nous adopterons donc une position globalement défavorable. Mais j'aimerais rappeler un dernier point, car je sais que nos collègues du Rassemblement national ne manqueront pas de se saisir de ce débat pour défendre un fantasme frontiste selon lequel la justice de notre pays serait laxiste.

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