Intervention de Éric Besson

Réunion du jeudi 9 février 2023 à 9h40
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Éric Besson, ancien Ministre chargé de l'Industrie, de l'Énergie et de l'Économie numérique :

Cela s'est passé autrement. J'ai préparé une réponse sur l'ARENH, que je me propose de vous exposer. Je pourrai apporter plus de précisions par la suite, en fonction de vos demandes.

J'ai compris que votre commission avait abondamment débattu de ce mécanisme et que vous lui avez prêté une importance et une responsabilité qu'il ne mérite probablement pas. Il a, il est vrai, l'avantage de constituer un bouc émissaire tout désigné. J'entends certains affirmer que l'État oblige EDF à vendre à ses concurrents 25 % de son électricité à un prix bradé. Mais pour quiconque veut bien regarder objectivement les faits et prendre le temps de relire la loi NOME, cela n'est pas si simple, d'abord d'un point de vue politique.

Ainsi, critiquer l'ARENH revient à critiquer le dernier wagon d'un train, dont la locomotive et les premiers wagons sont les politiques de libéralisation et d'ouverture des marchés mises en œuvre par tous les gouvernements successifs. Je pense notamment à la directive de 1996, à la loi de 2000 sur le service public de l'électricité et à la directive de 2003 qui rend la totalité des consommateurs éligibles aux offres de marché au 1er juillet 2007.

Cette continuité peut évidemment être discutée ou réévaluée. Elle a abouti à la séparation en France des activités de production, de transport et de distribution qui étaient au cœur du monopole d'EDF. Il peut aussi y avoir débat, comme chaque fois qu'il s'agit d'une commodité essentielle, sur le bien-fondé de la mesure. Les économistes débattent et débattront encore longtemps, pour ce type de bien, des avantages et inconvénients du monopole, du marché ouvert et des oligopoles régulés.

En 2007, Jean-Louis Borloo, héritant de ce dossier, a été confronté à une situation compliquée. La Commission européenne avait en effet ouvert deux procédures contentieuses contre la France, la première pour défaut de transposition de la directive et la seconde pour « aides d'État » avec à la clé un risque lourd – on parlait de milliards d'euros – pour l'industrie française. Enfin, il existait un dispositif provisoire, le tarif réglementé et provisoire d'ajustement au marché (Tartam), dispositif protecteur dont nous étions obligés de sortir.

Avec l'aide de la commission Champsaur et des services de l'État, M. Jean-Louis Borloo a imaginé ce dispositif transitoire et je pense qu'il a bien agi. Il a porté la loi NOME devant le Parlement et, en arrivant à Bercy en novembre 2010, j'en ai assuré immédiatement la deuxième lecture, que j'assume.

Evaluant ce dispositif en 2017, la Cour des comptes le qualifie de « dispositif de compromis ». Il s'agissait en effet d'un compromis entre des exigences contradictoires, mais aussi avec nos partenaires européens et la Commission. Au fond, nous avons agi de la même manière que tous les gouvernements français lorsqu'ils souscrivent à un engagement européen qui ouvre un marché à la concurrence ; d'une part en procédant à une libéralisation contrôlée, par étapes, en maintenant le monopole de fait d'EDF sur la production électrique nucléaire ; et d'autre part en instaurant des instruments de protection et de régulation. Il convient en outre d'ajouter que de nombreux experts pensaient qu'EDF, grâce à sa puissance nucléaire installée et au prix marginal très compétitif du parc nucléaire, pouvait être l'un des grands gagnants du duo libéralisation-interconnexion qui s'installait. Je crois que sur une dizaine d'années, globalement, EDF en a tiré parti.

Le débat public, en 2010, s'était cristallisé sur le prix de l'ARENH. Nous avions demandé, à nouveau, à une commission Champsaur de nous faire des propositions, qui ont de fait porté sur une fourchette de prix, de 38 à 40 euros. À l'époque, la demande des alternatifs nouveaux entrants, était de 32 à 35 euros le mégawattheure, quand le Président d'EDF nous disait simultanément que le prix ne pouvait être inférieur à 40 euros. J'ai finalement signé un arrêté à 42 euros, après évidemment arbitrage du Président de la République et du Premier ministre. Je me souviens aussi des réactions de l'époque, bien éloignées de ce qu'on entend aujourd'hui. Le prix était supposé être un « cadeau » fait à EDF et les nouveaux entrants se disaient déçus, comme l'avait explicitement exprimé GDF Suez.

Apprenant que votre commission portait une attention particulière à la loi NOME, je me suis consacré à sa relecture. Cette loi précise dans son premier article qu'il « est mis en place à titre transitoire un accès régulé et limité à l'électricité nucléaire historique » et que ce dispositif s'achève au 21 décembre 2025. Ce même article stipule que ce dispositif peut être suspendu « en cas de circonstances exceptionnelles affectant les centrales ».

De plus, le paragraphe 7 de ce même article 1 précise que le prix de l'ARENH est fixé transitoirement pour trois ans. Il ajoute qu'« afin d'assurer une juste rémunération à Électricité de France, le prix, réexaminé chaque année » (…) « tient compte de l'addition d'une rémunération des capitaux prenant en compte la nature de l'activité ; des coûts d'exploitation ; des coûts des investissements de maintenance ou nécessaires à l'extension de la durée de l'autorisation d'exploitation ; des coûts prévisionnels liés (…) à la gestion durable des matières et déchets radioactifs ».

Le paragraphe 8 de l'article 1 indique qu'avant le 31 décembre 2015 puis tous les cinq ans, le gouvernement doit présenter au Parlement un rapport d'évaluation du dispositif qui porte -je résume-les éléments suivants : sa mise en œuvre ; son impact sur la concurrence ; son impact sur le fonctionnement du marché de gros ; « son impact sur la conclusion de contrats gré à gré » et, le cas échéant, « propose » (…) « des modalités de fin du dispositif » ; « des adaptations du dispositif ».

Ce paragraphe propose également « d'associer des acteurs intéressés » (…) aux investissements de la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires » et, le cas échéant, de « mettre en place un dispositif spécifique permettant de garantir la constitution de moyens financiers, appropriés pour engager le renouvellement du parc nucléaire ». Le paragraphe 10 indique quant à lui que les conditions d'application de cet article doivent être précisées par un décret en Conseil d'État.

L'article 6 précise de son côté que « chaque fournisseur d'électricité » (donc tout nouvel entrant) doit « disposer » (…) de « garanties » (…) de capacités d'effacement de consommation et de production d'électricité » visant à assurer « la sécurité d'approvisionnement ». Ce même article ajoute qu'un fournisseur qui ne justifie pas qu'il détient « la garantie de capacité » encourt, dans un premier temps, « une sanction pécuniaire ». Dans un second temps, le ministre chargé de l'énergie peut, je cite, « suspendre sans délai l'autorisation d'exercice de l'activité d'achat par revente ».

Enfin, l'article 16 définit ce que peut être « un abus du droit d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ». Cet article est essentiel. Il vise « le détournement » des principes de l'ARENH.

Il me paraissait nécessaire de rétablir les faits et je me suis parfois demandé si tous les commentateurs qui mettent en cause la loi NOME et lui prêtent tous les maux avaient pris le temps de la lire. Lorsque j'ai quitté le ministère, les décrets cités en Conseil d'État étaient en préparation et les avis requis demandés. Au début du mois mai 2012, le Conseil d'Etat avait transmis son avis sur les obligations de capacité. Ces décrets ont-ils été pris ? Je ne les ai pas trouvés. Mais vous avez de meilleurs outils d'investigation que moi. Par ailleurs, le gouvernement devait remettre des rapports d'évaluation et proposer des améliorations du dispositif. Existent-ils ? Que disaient-ils ? Que préconisaient-ils ? Quelles adaptations proposaient-ils ?

Le rappel de certains articles de la loi NOME montre aussi clairement que la loi donnait au gouvernement la possibilité d'ajuster en permanence le prix de l'ARENH en tenant compte de tous les éléments possibles : le marché, l'évolution du coût d'exploitation, les investissements de maintenance et de renouvellement du parc. Pourquoi cela n'a-t-il pas été fait ? Pourquoi le prix de l'ARENH est-il en 2023 au même niveau que celui de 2011 alors qu'il devait être revu chaque année ?

Ensuite, les nouveaux entrants devaient contribuer à la sécurité d'approvisionnement et aux capacités de production. L'ont-ils fait ? Ceux qui ne l'auraient pas fait y ont-ils été contraints ? S'ils n'ont pas respecté ces obligations, ont-ils été mis en demeure ou sanctionnés?

Enfin, les ministres chargés de l'énergie et de l'économie avaient, et ont toujours, le droit de suspendre le dispositif. Comme je l'ai indiqué, la loi NOME prévoit cette suspension en cas de circonstances exceptionnelles affectant les centrales. Or l'arrêt d'une partie du parc du fait du phénomène dit de corrosion sous contrainte le justifiait allégrement.

Telles sont, je crois, quelques questions que vous pourriez aborder avec les ministres de l'énergie qui m'ont succédé. Ma conviction personnelle est que l'ARENH n'est qu'un prétexte. Certes, l'Union européenne ne pense pas toujours comme nous et il existe un tropisme libéral orthodoxe en matière de concurrence qui doit être parfois corrigé, parfois combattu. Mais il est trop facile et vain de mettre sur le dos de Bruxelles nos propres carences et nos propres erreurs de politique énergétique.

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