Intervention de Valérie Rabault

Séance en hémicycle du lundi 27 février 2023 à 21h45
Hyperconcentration des dépenses du ministère de la culture en Île-de-france : une fatalité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Rabault :

Le groupe LIOT invite le Gouvernement, et nous invite, à réfléchir à la question de l'hyperconcentration en Île-de-France des dépenses du ministère de la culture – tout en se demandant s'il s'agit d'une fatalité. Pour ma part, je ne le crois pas et je pense que cette question est très pertinente. Elle rejoint en effet le souhait d'André Malraux qui, dès 1959, au moment de créer le ministère de la culture, avait voulu que les Drac nouvellement installées fassent vivre la culture dans tous les territoires de notre pays. Lors de l'examen de la loi de finances pour 1968, il avait encore souligné : « Il faut poursuivre le développement des services régionaux, notamment dans le domaine de l'architecture, mais ne pas éparpiller les crédits. Cette implantation régionale est indispensable, elle est amorcée, elle se poursuivra et permettra d'accentuer la déconcentration. » André Malraux avançait en fait sur deux jambes : déconcentrer, mais aussi ne pas éparpiller les crédits. On sait en effet qu'en matière de création, des choix doivent être assumés.

Jack Lang, un autre de vos illustres prédécesseurs, madame la ministre, évoquait l'hyperconcentration à cette tribune le 17 novembre 1981, lors d'un discours sur la culture : « [La] culture n'est pas la propriété d'une ville, fût-elle la capitale. Le phénomène est connu : des siècles de centralisation ont trop souvent dépossédé les provinces de leurs richesses et de leur dignité. Aujourd'hui encore, telle une pompe aspirante, la capitale draine vers elle artistes, intellectuels et créateurs. On rêve d'un dialogue à mille voix, et retentit seulement un soliloque. Le pays a tout à gagner à la résurrection des mémoires enfouies et au réveil des imaginations bridées. Finie la culture octroyée d'en haut, même d'une tribune, comme ici ce soir, telles ces miettes de profit que Mme Boucicaut, la dame du Bon Marché, distribuait jadis au bon peuple. Chaque homme de culture doit aujourd'hui savoir que, quel que soit l'endroit où il est né, quel que soit l'endroit où il vit, il a un plein droit à poursuivre son œuvre sur place. » Je crois, madame la ministre, que tout est dit. Deux de vos illustres prédécesseurs qui ne partageaient pas les mêmes opinions politiques – l'un de droite, l'autre de gauche – se sont pleinement rejoints sur la question de décentralisation de la culture.

Vous savez que j'aime les chiffres et, puisque le groupe LIOT nous y invite, j'ai consulté ceux qui sont présentés de manière très claire dans l'Atlas Culture publié par votre ministère. Ils montrent que, sur les 3,8 milliards d'euros de crédits de votre ministère, 2,3 sont destinés à l'Île-de-France. Cela représente tout de même une moyenne de 195 euros par habitant dans cette région, quand chaque habitant d'Occitanie reçoit quant à lui 24 euros du ministère de la culture – et je ne parle pas de la Corse, où la moyenne tombe à 13 euros par habitant, ni des territoires d'outre-mer pour lesquels toutes les données ne sont pas renseignées. Je crois, madame la ministre, que personne sur ces bancs ne peut se satisfaire de cette situation. En effet, l'hyperconcentration est en contradiction avec les objectifs de la culture, avec son essence et avec ce que vous-même et l'ensemble de vos prédécesseurs avez défendu.

La Cour des comptes a publié en mai 2022 un rapport très intéressant sur le soutien du ministère de la culture au spectacle vivant, dans lequel elle relève deux écueils. Elle indique que « l'administration centrale ne dispose pas des outils de collecte et d'exploitation des données permettant d'éclairer utilement l'action publique », mais aussi que « [le] rôle crucial des Drac dans l'animation de la politique du spectacle vivant au niveau régional devrait également être mieux valorisé par l'échelon central du ministère ». Il me semble que tout est dit : il faut que les Drac aient un véritable pouvoir de décision et il convient, pour ce faire, que l'allocation des crédits soit plus égalitaire. Personne ne niera qu'il y a de nombreuses scènes nationales en Île-de-France, en particulier à Paris. Mais l'écart est important, de 195 à 24 euros par habitant, et je ne crois pas qu'un habitant d'Occitanie vaille huit fois moins qu'un Francilien – en tout cas, je ne l'espère pas !

Je voudrais enfin, madame la ministre, évoquer un dernier exemple. Vous vous appuyez, à raison, sur la labellisation et sur les scènes conventionnées pour disposer de critères objectifs ; on sait en effet que tout ne se vaut pas et que la création n'est pas la même chose que l'animation. Le département du Tarn-et-Garonne, dont je suis élue, est le seul parmi les treize départements de la région Occitanie à ne pas avoir de scène conventionnée d'intérêt national (Scin) reconnue par votre ministère. Résultat des courses : nous sommes le département d'Occitanie – une région déjà moins dotée que d'autres – qui reçoit le moins de l'État ! Vous me répondrez, madame la ministre, qu'il ne tient qu'à nous de monter une Scin. C'est ce que nous sommes en train de faire avec Tarn et Garonne Arts & Culture – anciennement l'association départementale pour le développement des arts (Adda). Mais encore une fois, on demande beaucoup aux acteurs locaux et un petit coup de pouce de votre ministère serait le bienvenu.

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