Intervention de Emmanuelle Anthoine

Séance en hémicycle du lundi 27 février 2023 à 21h45
Hyperconcentration des dépenses du ministère de la culture en Île-de-france : une fatalité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Anthoine :

Le thème de ce débat est particulièrement bienvenu : à l'automne dernier, en effet, j'avais choisi de m'intéresser au problème, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, en vue de mon rapport pour avis portant sur les crédits de la mission "Culture" . J'avais signalé à cette occasion le fait que la répartition des crédits continue de s'opérer au profit des monuments franciliens : en 2021, la région a ainsi bénéficié de 67 % des crédits exécutés dans le cadre du programme 175, Patrimoines. C'est dans le domaine patrimonial, du reste, que la concentration en région parisienne des crédits du ministère de la culture est la plus importante : 90 % des fonds consacrés au patrimoine des musées de France et 85 % de ceux prévus en faveur des acquisitions et de l'enrichissement des collections publiques y sont condensés – on a affaire à une hyperconcentration, pour reprendre l'intitulé du débat. Treize opérateurs franciliens de l'État doivent recevoir en 2023 36 % des crédits de paiement de ce programme, alors même qu'ils disposent de ressources importantes : en 2019, quand le taux de ressources propres des institutions patrimoniales et architecturales était en moyenne de 43,3 %, il atteignait 58 % pour le musée du Louvre – ce qui n'empêchera pas celui-ci de percevoir en 2023 plus de 96 millions de crédits de paiement, soit 8,74 % du programme 175.

Afin de répondre aux critiques concernant cette concentration des moyens, le ministère de la culture, à l'occasion du plan de relance, affichait pour objectif d'irriguer les territoires : en réalité, seuls 34 % des crédits culturels découlant du plan ont été destinés à ces derniers. Dès lors, madame la ministre, ne pourrions-nous envisager un redéploiement partiel des crédits dévolus aux grands opérateurs parisiens, qui sont en mesure d'accroître encore leurs ressources propres ? Les montants dont ils bénéficient sont tels que le simple fait d'en rogner les marges permettrait de financer plusieurs sites dans les territoires. Ainsi du musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (Mucem), dernier-né des opérateurs de l'État intervenant dans le périmètre de l'architecture et des musées de France : sa création a suivi celles de la Cité de l'architecture et du patrimoine, du musée du quai Branly et du Palais de la porte Dorée, tous implantés à Paris.

Dans mon rapport, je suggérais de privilégier à l'avenir la création d'opérateurs culturels hors de la région francilienne. Ne pensez-vous pas, madame la ministre, que le principe de l'implantation dans les territoires des futurs grands musées nationaux devrait devenir la règle ? Si l'on s'intéresse aux grands projets, on constate que 72 % des crédits sont destinés à la région Île-de-France. Cette tendance devrait se poursuivre avec la perspective de l'entrée en travaux en 2024 du centre Pompidou, dans le cadre de son schéma directeur. La politique patrimoniale de l'État dans les territoires ne peut pas se réduire au projet de Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts. D'autres grands projets doivent irriguer les différentes régions ; leur impact nourrira, notamment, l'économie locale.

Vous pourriez arguer, madame la ministre, que le patrimoine monumental appartenant à l'État est davantage implanté en Île-de-France. Outre qu'une telle affirmation doit être fortement relativisée, elle ne serait de toute façon pas valide. À périmètre constant, l'enveloppe allouée aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés pour les travaux d'entretien des monuments historiques n'appartenant pas à l'État n'a pas évolué depuis 2018, en dépit de l'inflation importante ; c'est donc, à prix constants, une baisse de moyens que l'on observe. Pire, les dépenses du ministère en faveur de la restauration de ces mêmes monuments ont baissé de 9 % en onze ans ! Cette enveloppe concerne pourtant essentiellement le patrimoine vernaculaire qui fait la richesse de nos territoires. La situation est même plus grave puisque, d'année en année, 30 % des crédits qui nous intéressent ne sont pas consommés. Dans mon rapport, j'avais d'ailleurs appelé à une attention particulière pour mettre fin à cette sous-consommation qui pénalise les territoires.

Nous le voyons bien : des leviers existent pour rééquilibrer le budget en faveur des territoires et mettre fin à l'hyperconcentration des crédits en Île-de-France. Madame la ministre, cela nécessite une politique résolue de votre part. Si le fonds incitatif et partenarial représente une avancée, il demeure largement insuffisant pour répondre à l'enjeu.

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