Intervention de Sarah Legrain

Séance en hémicycle du lundi 27 février 2023 à 21h45
Hyperconcentration des dépenses du ministère de la culture en Île-de-france : une fatalité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSarah Legrain :

Jack Lang, ancien ministre de la culture, déclarait en 2019 que l'État finance à lui seul 80 % de la vie culturelle parisienne. De fait, dans le secteur de la culture, mieux vaut être implanté dans la capitale que partout ailleurs en France. Prenons un exemple classique, l'opéra : sur les 220 millions reçus par celui de Paris, 43 % proviennent de l'État, pas un centime de la ville ; sur les 26 millions alloués à l'opéra national de Bordeaux – sans surprise, son budget est moindre –, 65 % le sont par la ville, 19 % par le ministère. Tournons-nous à présent vers les musées : rien d'étonnant à ce que celui du Louvre, le plus grand du monde, visité chaque année par plus de 7 millions de personnes, bénéficie de l'un des budgets les plus importants dans le cadre du financement national des établissements publics culturels. En revanche, comment expliquer que l'État ne verse au Louvre-Lens, cette antenne censée concourir à la démocratisation culturelle, que 300 000 euros par an, soit 2 % de ses recettes de fonctionnement – quatre fois moins que ce que lui verse la communauté d'agglomération de Lens-Liévin, trente-trois fois moins que la région des Hauts-de-France ?

Ne nous méprenons pas sur le sens de la question qui nous est posée : il ne s'agit pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul et de croire remédier ainsi à l'inégale répartition des financements. Jamais la mise en concurrence ne résoudra les problèmes posés par une forme d'austérité budgétaire. Fragilisées par la crise sanitaire, les structures publiques sont loin de crouler sous les subventions : comme l'a montré un récent numéro de l'émission « Complément d'enquête », la culture, ce bien commun, dépend de plus en plus du bon vouloir des milliardaires et grandes entreprises qui, sous le couvert de généreux mécénats, mènent des affaires lucratives : déductions d'impôts à gogo, mais aussi avantages en nature tels qu'un droit de regard sur les programmations ou la jouissance d'espaces publics lors de soirées privées. Nous sommes ainsi sommés de remercier ce bon M. Bernard Arnault d'avoir créé la fondation d'entreprise Louis Vuitton ou acheté dernièrement, au prix de 43 millions d'euros, pour le musée d'Orsay, un tableau de Gustave Caillebotte. Au lieu d'entonner « Merci patron », il y aurait lieu de remercier le contribuable, qui a financé l'essentiel de cet achat, LVMH bénéficiant d'une réduction d'impôt égale à 90 % de la somme dépensée !

Le problème ne réside donc pas dans l'existence de ces financements en Île-de-France, mais dans leur insuffisance globale en vue d'un égal accès des Français à la culture. Or celui-ci ne peut être assuré tant que les enjeux culturels restent à la charge des collectivités territoriales, lesquelles, prises entre l'explosion des prix de l'énergie et la baisse continue des dotations, peinent de plus en plus à boucler leur budget.

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