Intervention de Stanislas Guerini

Séance en hémicycle du lundi 27 février 2023 à 16h00
Retraites et protection sociale dans la fonction publique

Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques :

Je remercie le groupe GDR – NUPES d'avoir rendu possible ce moment d'échange sur une thématique qui m'est chère en tant que ministre de la transformation et de la fonction publiques. Je vous remercie notamment d'avoir lié la question des retraites et celle de la protection sociale des agents de la fonction publique. Lier ces deux sujets, c'est être dans l'esprit de la loi de 1946 relative au statut général des fonctionnaires. C'est précisément dans cet esprit que je m'inscris et que j'inscris l'action du Gouvernement.

Dans mon intervention liminaire, je reprendrai l'ordre que vous avez suggéré par l'intitulé de ce débat : mon point d'entrée portera sur les retraites ; j'élargirai ensuite mon propos à la question de la protection sociale complémentaire des agents de la fonction publique et, au-delà, à celles du parcours de carrière, de la rémunération et de l'attractivité de la fonction publique. Selon moi, les questions de retraite et de parcours professionnel au sein de la fonction publique sont intimement liées.

Pour cadrer le sujet des retraites, je commencerai par évoquer les trois principes qui ont guidé les mesures spécifiques à la fonction publique que le Gouvernement défend dans son projet de loi.

Le premier principe est l'évolution symétrique des paramètres pour les salariés du privé et pour les agents de la fonction publique. Les mesures d'effort sont demandées à tous les salariés du pays, qu'ils soient salariés du privé ou agents de la fonction publique. Ainsi, qu'ils relèvent d'une catégorie active ou sédentaire, les agents du public seront concernés au même titre que les salariés du privé à la fois par le décalage de l'âge d'ouverture des droits et par l'accélération de l'allongement de la durée de cotisation.

Au moment où nous abordons, dans le débat sur les retraites, les questions spécifiques à la fonction publique, il faut avoir en tête un deuxième élément : à la différence de ce qu'il avait prévu dans la réforme de 2019, le Gouvernement a fait le choix de ne pas proposer de convergence entre le système de retraite du privé et celui de la fonction publique. Autrement dit, il a fait le choix de conserver les caractéristiques fondamentales du système de retraite des agents de la fonction publique : le calcul de la pension restera fondé sur les six derniers mois, alors qu'il l'est sur les vingt-cinq meilleures années dans le privé ; l'assiette des cotisations demeurera constituée par la rémunération indiciaire, à l'exclusion de la part indemnitaire – c'est l'autre différence fondamentale avec le privé ; le principe des catégories dites actives sera maintenu. Dans les trois versants de la fonction publique, 700 000 agents relèvent de ces catégories, lesquelles autorisent la prise en compte la pénibilité dans la fonction publique.

Je me permets de préciser, comme je le fais systématiquement, que l'État consent chaque année un effort budgétaire important pour financer le système de retraite de la fonction publique. En 2022, 64,4 milliards d'euros ont ainsi été consacrés au versement des pensions relevant du périmètre de l'État. Cependant, j'entends parfois dans le débat un discours induit selon lequel l'État financerait de la sorte un système de privilégiés ; les agents de la fonction publique seraient en cela privilégiés par rapport aux salariés du privé. Je m'inscris en faux contre cette idée. Ce qu'il convient de comparer, c'est le taux de remplacement, autrement dit ce que l'on perçoit au moment de sa retraite par rapport à ce que l'on percevait pendant sa carrière professionnelle. Or le taux de remplacement est identique, à 0,6 % près, pour les salariés du privé et pour les agents de la fonction publique ; il tourne dans les deux cas autour de 74 %.

En réalité, l'effort budgétaire de l'État est bien davantage lié au fait que les déséquilibres démographiques sont très accentués dans la fonction publique d'État – rappelons que les déséquilibres démographiques justifient la réforme dans son ensemble. Au moment où nous nous parlons, on compte 0,86 fonctionnaire actif pour 1 fonctionnaire retraité. On voit bien quels enjeux de financement en découlent, d'où l'effort budgétaire consenti par l'État.

Troisième élément : la réforme présentée par le Gouvernement permettra un certain nombre de progrès ou d'avancées de nature à améliorer le système. Je voudrais en citer cinq qui me semblent importantes. Au préalable, je souligne que toutes les mesures spécifiques à la fonction publique concernent l'adaptation et l'aménagement des carrières ; selon moi, c'est là le cœur du débat que nous devrions avoir sur la question des retraites.

La première mesure est l'introduction, pour la fonction publique, d'un dispositif de retraite progressive. Il n'en existait plus depuis 2010, date de la suppression de la cessation progressive d'activité. Grâce à ce nouveau dispositif, l'agent pourra aménager son temps de travail à partir de 62 ans, soit deux ans avant l'âge d'ouverture des droits à la retraite : il pourra se mettre à temps partiel tout en préservant sa rémunération globale, puisqu'il touchera par anticipation une partie de sa pension de retraite. Cela offrira un outil tout à fait intéressant d'aménagement des carrières, qu'il conviendra de mettre en œuvre ; c'est là le véritable enjeu. Ce dispositif serait notamment tout à fait pertinent pour les professeurs de l'éducation nationale. Cela fait l'objet des discussions que je mène avec les organisations syndicales.

Je rappelle à ce sujet que, lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, plusieurs groupes parlementaires ont déposé un amendement qui permettrait aux professeurs du primaire de partir en retraite à la date de leur anniversaire. Je tiens à vous indiquer que le Gouvernement est favorable à cet amendement et souhaite le reprendre à l'occasion de la discussion au Sénat. Ce serait une mesure de justice pour les professeurs du primaire par rapport aux professeurs du secondaire.

La réforme des retraites permettra une deuxième amélioration : elle rendra totalement portables les droits associés aux catégories actives ou super-actives de la fonction publique, pour les 700 000 agents qui les composent. Dans le système en vigueur, un policier n'a aucun intérêt à devenir douanier, de même qu'un surveillant pénitentiaire n'a aucun intérêt à rejoindre la police, parce qu'il perd alors tout le bénéfice acquis des années de service antérieures. Le projet de loi prévoit désormais une portabilité complète des droits, tant des règles relatives à la durée de service que des différentes bonifications associées aux catégories actives. C'est une véritable avancée qui facilitera les mobilités de carrière. S'agissant des catégories actives, je précise que nous décalons de deux ans l'âge d'ouverture des droits – actuellement 52 ou 57 ans selon les cas – mais que nous laissons inchangée la durée de service donnant le droit de partir à la retraite – dix-sept ans ou vingt-sept ans selon les cas.

Troisième mesure spécifique : nous améliorons la situation des agents contractuels du public, en permettant, pour les agents titularisés, la prise en compte des années de service effectuées en tant que contractuel. Je pense notamment aux aides-soignants contractuels qui font le même travail que des agents titulaires de catégorie active, mais sans bénéficier du droit à un départ anticipé à la retraite associé à cette catégorie, ni du compte professionnel de prévention (C2P) qui existe dans le privé. Plus de 100 000 aides-soignants titulaires de la fonction publique ont exercé auparavant ce métier comme contractuels, parfois pendant cinq ou six ans. Désormais, ces cinq ou six années seront intégrées à leur durée de service, au lieu de compter pour rien. C'est une véritable mesure d'attractivité. Il y aura ainsi un bénéfice associé au fait d'être titularisé dans la fonction publique.

Quatrième mesure spécifique : nous entendons donner la possibilité aux agents publics qui le souhaitent et qui en font la demande à leur employeur – j'insiste sur ces précisions – de travailler au-delà de 67 ans, limite d'âge en vigueur. Nous gommons ainsi une différence entre le public et le privé : dans le privé, la limite d'âge est de 70 ans, soit trois ans après l'âge d'annulation de la décote ; dans le public, il n'existe que quelques rares dérogations permettant de travailler au-delà de 67 ans. Nous harmonisons les limites d'âge en alignant celle du public sur celle du privé.

La dernière mesure, avancée très importante selon moi, a trait à la prévention de l'usure et de la pénibilité. Cela fait partie de la révolution culturelle et managériale que nous devons introduire dans la fonction publique.

Il faut certes des dispositifs de réparation ; je viens de mentionner à cet égard les catégories actives : pour ceux qui exercent un métier pénible, l'âge d'ouverture des droits est anticipé par rapport à celui des catégories sédentaires. Mais il faut surtout investir pour développer les dispositifs de prévention de l'usure et de la pénibilité. C'est ce que nous faisons en créant un fonds de prévention de l'usure professionnelle dédié aux soignants qui travaillent dans les établissements hospitaliers et médico-sociaux, qu'ils relèvent de la fonction publique hospitalière ou de la fonction publique territoriale. Nous y consacrerons environ 100 millions d'euros chaque année, c'est-à-dire un demi-milliard d'euros sur le quinquennat. Cela permettra d'aménager les postes de travail, de rendre les métiers moins pénibles, le cas échéant de financer des formations permettant de changer de métier. Cet investissement est l'un des bénéfices que comporte la réforme des retraites présentée par le Gouvernement.

Je précise que nous menons en ce moment des discussions avec les employeurs territoriaux pour créer des instruments collectifs de prévention de l'usure et de la pénibilité dans la fonction publique territoriale, laquelle est moins couverte par le dispositif des catégories actives.

Ce que nous devons promouvoir, c'est notre capacité à investir dans l'aménagement des carrières. L'agent peut-il aménager son temps de travail ? C'est la retraite progressive. Est-il à même d'aménager son poste de travail ? C'est le fonds de prévention de l'usure professionnelle que nous créons. A-t-il la possibilité de changer de métier ? C'est la possibilité de financer une formation professionnelle en vue d'aménager une fin de carrière.

L'évocation de cette dernière mesure me permet de faire une transition avec la question de la protection sociale complémentaire. Nous avons obtenu des avancées en la matière au cours des dernières années, sachant qu'il existait des différences importantes entre les mécanismes applicables dans le privé et dans le public, tant sur le volet santé que sur le volet prévoyance.

Sur le volet santé, nous sommes parvenus au cours du précédent quinquennat à un accord unanime avec les syndicats de la fonction publique. C'est une avancée très positive pour les millions d'agents concernés. Cet accord est en cours de déclinaison dans les trois fonctions publiques – ministère par ministère dans la fonction publique d'État.

Sur le volet prévoyance, les discussions sont en cours. Il s'agit des dispositifs destinés à couvrir les risques les plus lourds tels que le décès, l'invalidité ou l'incapacité – autrement dit les arrêts maladie de longue durée. Ces questions ont fait l'objet d'un accord de méthode avec les organisations syndicales. J'ai fait part à celles-ci de mon souhait que les discussions aboutissent, dans le cadre du dialogue social que nous menons, au cours du premier semestre 2023. Le volet prévoyance est sans doute plus complexe que le volet santé, car nous avons des choix structurels à faire. En tout cas, il est tout aussi important.

Pour ne pas être trop long, je vous propose de revenir sur ces sujets techniques, parfois complexes, mais essentiels pour la protection des agents de la fonction publique, au cours de nos échanges, et je suis à votre entière disposition si vous souhaitez élargir la discussion aux aménagements de carrière car ces questions sont, en réalité, intimement liées. C'est le vrai débat derrière le débat sur les retraites : travailler un peu plus longtemps, avec la capacité d'aménager le parcours des agents de la fonction publique.

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