Intervention de Catherine Delgoulet

Séance en hémicycle du lundi 27 février 2023 à 16h00
Réforme des retraites et pénibilité

Catherine Delgoulet, professeure au Conservatoire national des arts et métiers, titulaire de la chaire d'ergonomie :

Merci de cette invitation : mon propos liminaire visera à brosser une vue d'ensemble de la pénibilité, dont ont déjà parlé les deux précédents intervenants, et à rappeler les questions soulevées par cette approche de la santé au travail, avant d'aborder en dernier lieu la notion de soutenabilité du travail, laquelle offre un point de vue intéressant sur les enjeux qui nous réunissent.

Tout d'abord, il ressort des travaux scientifiques que la pénibilité du travail présente au moins quatre facettes. La première est la pénibilité objectivable, dont la réforme des retraites de 2010 a conduit à formuler une définition toujours en vigueur : l'exposition du travailleur à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels découlant de contraintes physiques marquées, d'un environnement physique agressif, ou encore de rythmes de travail susceptibles de laisser sur la santé des traces durables, identifiables et irréversibles. Cette conception, énoncée au sein de l'article D. 4161-1 du code du travail, a donné lieu à une liste de dix facteurs de pénibilité, elle-même à l'origine du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), puis réduite en 2017 aux six facteurs de l'actuel compte professionnel de prévention (C2P). La deuxième facette réside dans un ensemble de conditions de travail notoirement délétères, comme les contraintes psycho-sociales ou les contraintes organisationnelles liées à une pression temporelle, pour citer des exemples qui viennent d'être évoqués : elles constituent aujourd'hui, en France, une source importante de troubles infrapathologiques. Les troisième et quatrième facettes concernent les pénibilités vécues, résultant d'une fragilisation de la santé dont la probabilité augmente à mesure que le travailleur avance en âge, ou encore de conditions d'exercice et d'organisation conduisant certains à former le souhait de quitter leur travail – ce qui peut expliquer les difficultés de recrutement que connaissent certains secteurs.

Or, je le répète, seule la pénibilité objectivable est prise en compte par les dispositions réglementaires, ce qui suscite quatre remarques que j'évoquerai rapidement – nous pourrons y revenir si vous le souhaitez. Premièrement, les critères de pénibilité, dont les seuils sont fort élevés, ne concernent – heureusement d'ailleurs – qu'une population restreinte, très particulière, soumise à des sollicitations extrêmes pendant de longues durées ; selon les derniers chiffres de l'assurance maladie, un peu moins de 650 000 salariés se trouvaient dans ce cas en 2021, les trois quarts étant des hommes et 45 % employés dans le secteur de l'industrie manufacturière.

Deuxièmement, il est prévu, dans le cadre de la future réforme des retraites, d'abaisser les seuils d'exposition dont le dépassement permet de faire jouer ces critères et de supprimer la limitation du nombre de points cumulables au cours d'une carrière. Comme le signale fort justement ma collègue Annie Jolivet, économiste au centre d'études de l'emploi et du travail du Cnam, cette dernière mesure se révèle à double tranchant, car elle peut envoyer le message qu'une exposition prolongée ne serait pas grave, aussi longtemps qu'elle permet de gagner des points – alors que ceux-ci visent en réalité à compenser les conséquences sur la santé.

Troisièmement, le projet de réforme comprend également un renforcement du suivi médical portant sur un certain nombre de « risques ergonomiques ». Passons sur l'oxymore que constitue cette expression à mes yeux d'ergonome ; reste que l'instauration d'une nouvelle visite obligatoire de fin de carrière en vue de repérer les personnes âgées de 61 ans qui ne sont plus en mesure de continuer à travailler, et de leur permettre de prendre leur retraite à 62 ans, s'éloigne de la définition de la pénibilité, laquelle repose sur la notion de risques professionnels et non sur celle d'incapacité avérée. Quatrièmement, enfin, il est peu question du développement des compétences, alors que celui-ci joue un rôle essentiel lorsqu'il s'agit de sortir des conditions de travail délétères que j'ai évoquées. D'enquête en enquête, ce sont toujours les mêmes résultats : l'accès à la formation s'opère au détriment des plus âgés, mais aussi des ouvriers et des employés, c'est-à-dire des catégories socio-professionnelles les plus exposées aux facteurs de pénibilité, et qui se retrouvent coincées dans ces conditions difficiles. Pour finir,…

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