Intervention de Charles de Courson

Réunion du jeudi 26 janvier 2023 à 16h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de Courson :

Monsieur le ministre, votre projet n'a pas de légitimité démocratique. Contrairement à ce que dit le Président de la République, les Français ne l'ont pas élu pour réformer les retraites en portant de 62 à 65 ans l'âge légal de départ. De fait, la moitié des électeurs qui ont voté pour lui au deuxième tour – et moi le premier – n'approuvaient pas cette mesure de son programme. D'ailleurs, un mois plus tard, la majorité sortante a obtenu 25 % des voix au premier tour des élections législatives et une minorité de sièges dans notre assemblée. Les sondages confirment ce rejet : 76 % des actifs sont contre, dont 79 % des ouvriers et des employés ; 46 % des retraités, qui ne sont pourtant pas concernés, y sont même opposés.

Vous présentez votre réforme juste socialement et permettant de redresser les comptes. Or, elle n'est pas juste et il y avait d'autres manières d'assurer l'équilibre des comptes des quarante-deux régimes de retraite existants.

La réforme est injuste parce que ceux qui vont la subir ont commencé à travailler tôt, et exercent parfois des métiers pénibles. Notre groupe est hostile au recul de l'âge légal du régime général, qui va s'abattre comme un couperet. Dans une tribune publiée en 2021, nous posions une question simple : à la fin de l' open bar budgétaire, qui paie l'addition ? Vous apportez, avec ce texte, une réponse : ce sont les Français qui commencent à travailler tôt. Pourquoi n'agissez-vous pas en majorant la surcote, qui est une véritable incitation à rester au travail ? Concentrer le débat sur l'âge de 64 ans est exactement ce qu'il ne faut pas faire. Les mobilisations massives de jeudi le prouvent. Quant aux mesures concernant la pénibilité, malgré quelques progrès, elles sont également insuffisantes et difficiles à mettre en œuvre, parce que vous ne vous appuyez pas assez sur des négociations par branches entre les partenaires sociaux.

Votre réforme est injuste parce qu'elle comporte peu de mesures à destination des familles et des femmes – à l'exception de la prise en compte des congés parentaux d'éducation – alors que leurs pensions de droit direct sont inférieures de 40 % à celle des hommes. Nous proposons, quant à nous, de généraliser à 57 ans l'âge légal pour bénéficier de la pension de réversion et de remonter les plafonds de cumul. Nous proposons aussi d'uniformiser et d'améliorer les règles de majoration de pension et de durée d'assurance pour enfants. Il faut régler le problème des conjoints divorcés. Vous avez du reste demandé au COR une étude sur les droits familiaux, que vous jugez vous-même être, dans une interview publiée dimanche dernier par le Journal du dimanche, « de véritables nids à inégalités, tant ils sont divers selon les régimes ». Êtes-vous donc ouvert à des amendements en ce sens ?

Votre réforme est d'autant plus injuste que vous ne traitez pas vraiment de ce sujet essentiel pour l'avenir du système qu'est l'emploi des séniors. Nous avons besoin d'un vrai plan visant à augmenter les taux d'activité de ces derniers. La création d'un index des séniors ne résoudra pas le problème : il faut un plus gros effort de la part des entreprises, notamment en termes de formation et de reclassement. Pourquoi, d'ailleurs, ne pas réfléchir à une dégressivité des cotisations sociales au-delà de 55 ans ? Il faut aussi prévoir des aménagements de fin de carrière pour rendre celle-ci plus attractive. Vous faites un pas en faveur du cumul emploi-retraite et de la retraite progressive. Il faudrait aller plus loin pour que la liberté des assurés soit la règle.

Enfin, votre réforme est injuste parce que vous mettez en extinctions cinq régimes spéciaux, non les autres. Durant le précédent mandat, vous avez échoué à faire une réforme systémique en voulant créer un quarante-troisième régime de retraite. Aujourd'hui, vous faites une réforme essentiellement paramétrique et très subsidiairement systémique, sans aucune cohérence. Pourquoi, par exemple, écartez-vous les régimes spéciaux de l'Assemblée nationale et du Sénat alors que vous mettez en extinction celui des membres du Conseil économique, social et environnemental ? Pourquoi maintenez-vous les régimes spéciaux de l'Opéra de Paris, de la Comédie-Française et de l'Établissement national des invalides de la marine (Énim) ?

Notre groupe défend une réforme des retraites qui soit de justice et de liberté. Or, sur les 17 milliards d'euros d'économies brutes attendues – compte non tenu des surcoûts du régime d'assurance chômage et du RSA, que certains estiment à un tiers de ce montant – seul un tiers servira à financer des dispositifs de solidarité. Il ne s'agit donc pas d'une loi de justice sociale.

Nous attendons par ailleurs que vous précisiez ce que vous proposez en matière de carrières longues et de retraite minimale. Quelles seront les conditions exactes d'accès et combien d'assurés seront réellement concernés par ces mesures attendues ? Votre texte renvoie de nombreux éléments à des décrets.

En l'état, votre projet de réforme des retraites n'est pas vraiment une réforme. Tout est d'ailleurs prévu dès la présentation du programme de stabilité, où vous écrivez noir sur blanc que « la maîtrise des dépenses publiques repose principalement sur des réformes structurelles, la réforme des retraites notamment ». Il faut s'attaquer aux déficits, mais affirmer qu'ils mettent en péril notre système de répartition est inexact et exagéré. Nous avons le temps de trouver d'autres solutions qui ne pénalisent pas les salariés modestes et les classes moyennes. Notre groupe est prêt à soutenir une réforme des retraites de liberté et de justice sociale, mais ce n'est pas ce que vous nous proposez.

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