Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du mardi 10 janvier 2023 à 17h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux :

Je commencerai par répondre à vos questions, Monsieur le président. Le référentiel d'activité a été créé dans les années 2010, puis, sans doute, délibérément oublié… Nicole Belloubet a relancé le projet et j'ai souhaité l'accélérer. L'expérimentation débutera très prochainement dans cinq juridictions et nous en tirerons toutes les conclusions qui s'imposent. Ce n'est certes pas en fermant les yeux sur la réalité qu'on améliorera les choses.

Nos compatriotes considèrent que la justice est trop lente, mais également que les juges ne prennent pas le temps de les écouter. Dans certaines procédures civiles, les justiciables ne les rencontrent pas.

Le magistrat jouera un rôle majeur dans les nouveaux modes de règlement amiable, lequel, comme je l'ai dit, existe déjà dans le code de procédure civile à travers les conciliateurs ou les médiateurs. Le juge sera au milieu des parties, notamment dans la procédure importée du Canada. M. Gosselin a évoqué la justice de paix. Lors de la présentation à la presse, j'avais cité l'expression camusienne selon laquelle la justice est la chaleur de l'âme. Par rapport aux dispositifs actuels, l'aura du juge peut tout changer. Du côté des parties, les avocats, mieux rémunérés en cas de solution amiable, seront incités à les privilégier.

Avec la césure, l'appel ne sera possible qu'une fois la procédure terminée, pour éviter les manœuvres dilatoires et une embolisation de la justice qui serait contraire au but recherché.

Je n'ai pas précisé dans ma présentation que nous allions également associer les assureurs, pour qu'ils incitent leurs assurés, dans le cadre de la protection juridique qu'ils proposent, à privilégier les solutions amiables. J'ai demandé à la délégation à l'information et à la communication (Dicom) de mettre en place une communication à ce sujet, car les acteurs doivent avoir connaissance de ces nouvelles possibilités.

Dans un procès en responsabilité, le demandeur veut généralement aller vite, mais le défendeur préfère repousser le moment où il devra, le cas échéant, faire face à ses obligations. Si la question de droit est rapidement tranchée par le juge et que la personne mise en cause est jugée responsable, elle aura également intérêt à ce que la procédure ne s'éternise pas : elle sera au fait de sa condamnation.

Nous souhaitons mettre en place un tribunal compétent pour l'ensemble des activités économiques, les frontières entre elles étant de plus en plus poreuses. Au demeurant, ces activités sont aussi celles d'autres acteurs que les entreprises – les associations, par exemple, ainsi que les agriculteurs, qui sont également des chefs d'entreprise. Dans un premier temps, nous mènerons une expérimentation, afin de déterminer comment ce projet peut concrètement se déployer.

Monsieur Paris, je reçois vos commentaires avec bonheur, parce que vous êtes député, mais surtout parce que vous avez été magistrat. Vous connaissez la situation de la justice. Vous savez ce que ressentent les personnels et les avocats. Vous comprenez à quoi je fais allusion, lorsque je dis que nous devons aussi balayer devant notre porte, que tout ne peut plus remonter au niveau central, avec le risque d'embolisation que cela comporte. Nous avons besoin d'une forme d'autonomie budgétaire, et d'une confiance redonnée aux acteurs de terrain.

Certaines situations, qui nous sont remontées lors des concertations, sont désespérantes. Nous avons ainsi prévu de doter chaque juridiction d'un technicien informatique. Il est insupportable, par exemple, que l'ordinateur tombe en panne lorsque le magistrat commence à rédiger un délibéré.

Les états généraux ont aussi révélé l'urgence de renforcer la première instance et de redonner toute leur place aux juges civils, qui traitent 60 % des contentieux. Il faut les recentrer sur leur mission, qui est de dire le droit. Ensuite, les avocats et les parties peuvent trouver un accord sur le volet indemnitaire. Pour toutes les personnes qui ont vécu un procès, la mise en état, les renvois, les expertises et les contre-expertises paraissent interminables. Elles ne comprennent pas ces délais, notamment pour des sujets très intimes comme les droits de visite et d'hébergement. Cette situation explique la défiance de 77 % des Français à l'encontre d'une institution qui est pourtant à leur service.

Nous avons identifié trois leviers. L'équipe qui entoure le magistrat préparera les dossiers en amont de l'audience, sans empiéter sur le juridictionnel qui restera naturellement l'attribution exclusive du juge. Nous comptons également sur la mise en place d'une politique de l'amiable. Les dispositifs existants ne seront pas remis en cause car ils sont utiles, même s'ils sont trop peu utilisés. Je veux d'ailleurs rendre un hommage appuyé aux conciliateurs et aux médiateurs. S'ils privilégient l'amiable, les avocats bénéficieront d'une revalorisation de l'aide juridictionnelle. Une structuration différente de leurs écritures, demande unanime des magistrats, permettra enfin de simplifier et d'alléger le travail de ces derniers.

Monsieur Guitton, je pense que vous mélangez tout, je vous le dis sans ambages. Les décisions prises par Nicole Belloubet étaient indispensables, car la contamination, la maladie et la mort étaient au rendez-vous. Je vous invite à répéter vos propos aux familles des agents pénitentiaires qui sont décédés en prison !

Vous ne savez manifestement pas ce que j'ai fait depuis mon entrée en fonction, parce que vous n'étiez pas élu – personne ne peut vous le reprocher –, mais surtout parce que vos amis du Rassemblement national n'étaient jamais présents à l'Assemblée nationale, à commencer par Mme Le Pen. Dans mon souvenir, le seul amendement qu'elle a déposé visait à ce que les journalistes soient condamnés à deux ans d'emprisonnement s'ils évoquaient des procès-verbaux couverts par le secret de l'instruction.

Pour le reste, vous ne votez pas les budgets : « Y a qu'à, faut qu'on, faudrait » ! Vous critiquez, mais vous ne proposez rien de sérieux. Le livre blanc – c'est vous qui aviez choisi la couleur – du Rassemblement national en matière de justice vous rend tout à fait légitimes à critiquer ce que nous faisons, puisqu'il proposait 9 000 magistrats à une époque où nous avions largement dépassé ce chiffre et la réclusion criminelle à perpétuité réelle qui existe depuis belle lurette dans le code pénal. Tout cela, vous pourrez le vérifier en consultant vos archives, même si Mme Le Pen a ensuite essayé de corriger ses propos en évoquant 15 000 ou 19 000 magistrats ! De grâce, un peu d'humilité.

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