Intervention de Vice-amiral Hervé Bléjean

Réunion du mercredi 16 novembre 2022 à 11h05
Commission de la défense nationale et des forces armées

Vice-amiral Hervé Bléjean, directeur général de l'état-major de l'Union européenne :

Non. Personne ne l'a.

Il revient au comité de la Facilité européenne pour la paix de décider des règles applicables à sa mise en œuvre, selon un processus de consensus à 26 (27 avec l'adhésion du Danemark). Malheureusement, la présidence tchèque n'est pas la plus vigoureuse en matière de résolution des conflits.

Trouver un consensus sur l'enjeu central de la BITDE pour la souveraineté européenne ne sera pas rapide. Il faudra promouvoir « par le bas » des initiatives sur lesquelles capitaliser ensuite. La Commission et l'Agence européenne de défense doivent jouer leurs rôles à cet égard.

Le commandement pour la défense collective de l'Union européenne reste aujourd'hui embryonnaire, se limitant essentiellement à la MPCC. La boussole stratégique incite au développement de la MPCC, pour en faire d'ici 2025 l'état-major préférentiel de conduite des opérations majeures de l'Union européenne, utilisant la capacité rapide de déploiement définie dans la boussole stratégique, c'est-à-dire une force opérationnelle de 5 000 combattants en milieu hostile. Là aussi, l'approche « soft » de l'Union européenne est modifiée.

Il faudra aussi se demander qui commande quoi. Ma culture opérationnelle étant française, je préférerais que nous nous dotions d'un chef d'état-major des armées (CEMA) de l'Union européenne, avec un pilier conceptuel, l'état-major de l'Union européenne, qui jouerait le rôle d'état-major des commandes de concept, et un pilier opérationnel de conduite de toutes les opérations et missions de l'Union européenne, auquel les états-majors opérationnels nationaux pourraient être subordonnés, pour préserver les sensibilités nationales. Ce modèle très français séduit les Espagnols et les Italiens, mais est rejeté par les Allemands. Ces derniers se concentrent essentiellement sur le fait qu'un seul patron dirige actuellement les deux structures, alors qu'il en faudrait deux selon eux. Ce point ne devrait cependant pas initier la réflexion, mais en résulter éventuellement.

Nous menons toutes ces réflexions avec les services du SEAE, la partie militaire n'étant pas la seule concernée.

Nous mettrons tout en œuvre pour assurer la formation de 15 000 soldats demandés, et peut-être plus, avant la sortie de l'hiver. De leur côté, les Américains, les Anglais et les Canadiens procèdent de même, en utilisant les mêmes cadres de formation, afin que les bataillons formés soient interopérables. Les Ukrainiens ont un réservoir estimé de 600 000 à 700 000 personnes prêtes à s'engager sous les drapeaux pour défendre la patrie ukrainienne. Ce sont eux qu'il faut former, car seuls les militaires professionnels ont été engagés par l'Ukraine pour l'instant.

La Russie de son côté a fait appel à 300 000 réservistes, dont 200 000 ont été enrôlés de force, avec de nombreux dysfonctionnements, des morts, des malades et des personnes âgées ayant été comptés initialement. Il sera donc difficile de rendre ces réservistes pleinement opérationnels. Plutôt que comme combattants, ils seront utilisés pour multiplier les lignes de défense sur les territoires illégalement occupés.

Grâce aux sanctions, la Russie manque de matière première et de composants électroniques pour se doter de nouveaux matériels. C'est pourquoi les soldats russes emportent des télévisions, machines à laver, etc. lors de leur retraite : l'objectif n'est pas tant d'agrémenter leurs logements, mais de fournir l'industrie russe en matériaux. Cela ne sera cependant pas suffisant pour lui rendre sa puissance.

Notre effort vise ainsi à créer un déséquilibre au profit des Ukrainiens. C'est pourquoi aussi la Russie se tourne vers l'Iran et la Corée du Nord, dont les capacités de leurs stocks à soutenir l'effort de guerre sur la durée sont difficiles à évaluer.

J'ai parlé d'une dérive de l'Allemagne, mais je suis mal à l'aise pour répondre aux questions politiques. En tant que militaire, je suis au service des 27 États membres, à travers le Haut représentant et le président du conseil de défense des affaires étrangères, dans le cadre du traité de Lisbonne, même si je n'oublie jamais la couleur du drapeau que je porte sur la manche de mon treillis lorsque je me déplace sur le terrain. Je n'ai donc pas à discuter de la manière dont les représentations des États membres sont créées.

Dès le premier jour du conflit, alors que la planification russe est apparue hasardeuse à bien des égards, l'organisation ukrainienne a consisté à déployer de manière cohérente et efficace (grâce aussi à notre soutien) le plan prévu en cas d'invasion totale par la Russie au printemps. Lors de nos contacts avec l'état-major ukrainien, nous avons constaté qu'il ne paniquait pas, malgré la difficulté du moment. À présent, il est emporté par son élan et compte gagner la guerre, en reprenant la Crimée comme les Oblasts de Louhansk et Donetsk. C'est pourquoi l'offensive de printemps aura aussi cet objectif de poursuivre la progression commencée en septembre.

La mission Atalanta n'est plus uniquement focalisée sur la lutte contre la piraterie, mais aussi contre le trafic d'armes et le narcotrafic (qui finance le terrorisme, notamment shebab). Les premières opérations menées dans ce cadre par des navires de la marine nationale ont constitué un grand succès.

La France a clairement demandé une meilleure coordination, voire une fusion des deux missions Agénor et Atalanta menées dans le détroit d'Ormuz et autour des côtes somaliennes. Atalanta est une mission politique de sécurité et de défense commune, tandis qu'Agénor est une coalition of the willing menée par des États membres de l'Union européenne. Il faut aujourd'hui rendre nos organisations compréhensibles pour nos partenaires, et simplifier cette organisation de défense de nos intérêts stratégiques, qui reste forte dans l'océan Indien, et est également au bénéfice de ces partenaires. Intuitivement, je pense qu'il vaudrait mieux fusionner ces opérations, qui sont aujourd'hui en retrait par rapport à Atalanta. La sortie de l'opt-out par le Danemark devrait toutefois permettre de résoudre cette difficulté.

Hier, l'Ukraine a subi la plus importante offensive de missiles et de drones menée par la Russie depuis un certain temps. Comme les précédentes (commencées à l'issue de l'attaque sur le pont du détroit de Kertch), il s'agissait d'une manœuvre de revanche centrée sur la destruction des infrastructures critiques ukrainiennes, principalement de production et de distribution électrique. Un missile est « tombé » vers 16 heures dans une installation agricole d'un village de l'est de la Pologne, situé à 6 kilomètres de la frontière. À quelques kilomètres de l'autre côté de la frontière, en Ukraine, est situé un centre de distribution d'énergie électrique. Une enquête est actuellement menée par les Français, les Américains et les Polonais. Tout porte à croire aujourd'hui qu'il s'agit d'un missile de défense aérienne ukrainien qui a mal fonctionné dans le cadre de l'interception d'un missile lancé par les Russes au-dessus du territoire ukrainien. C'est pourquoi il faut être prudent dans la manière dont on manie cette information. Le président Zelensky et son gouvernement ont évidemment fait état d'une attaque russe délibérée sur le territoire polonais, mais nous cherchons à établir les faits. Le Comité des représentants permanents (COREPER) des gouvernements des États membres de l'Union européenne et le Comité politique et de sécurité (COPS) se sont réunis ce matin pour simplement y rapporter les faits. Le Conseil atlantique s'est également réuni. Je n'en ai pas obtenu de retour. Il sera intéressant de savoir si, comme la Pologne avait annoncé en avoir l'intention durant la nuit, l'ambassadeur polonais invoquera l'article 4 de l'OTAN, qui demande l'ouverture de discussions lorsque l'intégrité territoriale d'un pays membre est en jeu. Je pense que la Pologne a intérêt à la faire pour initier des discussions, mais les déclarations du président américain sont restées très prudentes.

Wagner est une réalité de plus en plus assumée aujourd'hui par la Russie, qui a intérêt aux déstabilisations de nos actions par ce groupe. Toutefois, le mode d'action de Wagner reste essentiellement la prédation : il se déploie dans des zones où il pourra tirer un bénéfice net de l'exploitation des ressources. Au Mali comme en République centrafricaine, il cherche ainsi, sous couvert d'aide à la sécurisation de zones, à mettre la main sur des ressources minières.

L'Union européenne n'a pas été bonne en communication stratégique jusqu'à présent : elle réagit, mais n'est pas proactive. De nombreux États membres ne citent encore pas le nom de Wagner, préférant parler d'« Affiliated forces to Russia ». J'étais pour ma part « blacklisté » par la Russie dès avant la guerre en Ukraine pour avoir, à chacun de mes déplacements au Mali et en République centrafricaine, parlé de Wagner, et en des termes peu diplomatiques.

Nous sommes maintenant face à un dilemme. En quittant totalement ces zones, nous laissons le champ libre à Wagner. En y restant, nos actions de formation pourraient plus tard être rendues complices d'actions commises sous l'égide de Wagner. Certains États membres considèrent qu'il vaut mieux que les soldats locaux soient entraînés par nous plutôt que par Wagner, afin que leur formation inclue des notions de droit humanitaire. C'est vrai, mais cette question est éminemment politique. Aujourd'hui, nous tendons plutôt à nous éloigner des gouvernements soutenus par Wagner qu'à agir auprès d'eux.

S'agissant de l'articulation entre l'OTAN et l'Union européenne, le traité de Lisbonne situe très clairement la politique de sécurité et de défense commune à l'extérieur des frontières européennes. Une application souple a été obtenue des services juridiques de la Commission concernant l'établissement de la mission d'assistance à l'Ukraine sur le territoire de l'Union européenne, au motif que sa destination était hors de ses frontières. Les 24 États membres qui sont aussi des alliés au sein de l'OTAN le perçoivent donc comme l'outil de leur défense commune.

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