Intervention de Sarah Legrain

Réunion du mercredi 14 décembre 2022 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSarah Legrain :

Nous avons l'opportunité de parler de ces sujets essentiels que sont le pluralisme et l'indépendance de l'information, la liberté de la presse, la protection des journalistes, la pérennité des financements du service public, la transparence de la propriété des médias.

Ce projet de règlement est donc crucial mais la proposition de résolution européenne que vous présentez ressemble à une immense occasion manquée. Nous, députés du pays des droits de l'homme, de la liberté de la presse et de la liberté d'expression, devrions assumer de demander le renforcement des dispositions anti-concentration des médias, de la transparence dans la propriété des médias, de la protection du financement de l'audiovisuel public et des journalistes – autant de principes certes présents dans la proposition de règlement mais insuffisamment précisés. Pire, votre résolution contribue à masquer des problèmes français, voire à protéger les errements du Gouvernement.

Sur la question de l'audiovisuel public, la proposition de règlement prévoit clairement un financement adéquat et stable des fournisseurs de médias de service public par les États membres afin qu'ils puissent remplir leur mission de service public, tout en rappelant l'importance de l'indépendance éditoriale. Que faites-vous ? Vous répondez qu'une telle exigence ne doit pas remettre en cause les prérogatives des États membres en matière de financement et de désignation des dirigeants de médias publics !

Je veux bien que l'on défende la souveraineté – nous le faisons face à certaines directives européennes – mais pas un affaiblissement des droits ! Mettre cette proposition de résolution à l'ordre du jour est gros comme une maison, l'année même où vous supprimez brutalement et sans nécessité la redevance de l'audiovisuel public, où tous les responsables des chaînes et antennes de l'audiovisuel public ont dit que c'était une folie, où tous les syndicats de journalistes du service public ont défilé dans la rue ! Cette suppression, applaudie des deux mains par le Rassemblement national, est un coup de grâce après des années de réduction du montant de la redevance et de plans sociaux. Son remplacement par une budgétisation constituerait une atteinte grave au principe d'indépendance de l'audiovisuel public. Bref, c'est vraiment « très gros » que nos deux rapporteures, macroniste et lepéniste, nous proposent de voter pour une résolution qui amoindrit des exigences européennes en matière d'audiovisuel public stable et indépendant. Si l'alinéa 29 n'est pas supprimé, nous ne pourrons pas voter en faveur de ce texte.

Par ailleurs, nous, députés français, devrions nous saisir de ce débat pour réfléchir à la situation dans laquelle se trouvent les médias et les droits des journalistes dans notre pays. Nous qui sommes tous d'accord pour dénoncer, la main sur le cœur, les entraves à la liberté d'expression dans certains pays de l'est européen, ne détournons pas le regard de nos propres responsabilités.

En France, des journalistes ont dû publier une tribune d'excuses au Président de la République pour avoir prétendument mal interprété ses propos.

En France, un journaliste a été poursuivi par la justice pour un reportage sur une action des faucheurs volontaires.

En France, des journalistes ont été violentés par la police dans des manifestations, si bien que la commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe s'en est émue et a rappelé la nécessité de protéger les journalistes qui couvrent des rassemblements.

En France, des journalistes ont été victimes de censures préalables au nom du secret des affaires.

En France, des journalistes ont fait l'objet de procédures-bâillons de la part d'un industriel qui ne voulait pas qu'ils mettent en lumière ses pratiques contestables, notamment en Afrique.

En France enfin, nous assistons à un phénomène massif et préoccupant de concentration des médias.

L'article 21 de la proposition de règlement est consacré à la concentration des médias. Vous appelez à une clarification des critères d'évaluation, ce dont je me réjouis car nous aurions ainsi de quoi démanteler le groupe Bolloré et d'autres. Mais nous continuons à chercher en vain en quoi le Gouvernement et les députés macronistes contribuent à lutter contre cette concentration. Ne camouflons pas les turpitudes françaises, ayons une politique ambitieuse pour notre audiovisuel et nos médias publics !

Nous avons toujours dans notre besace une proposition de loi pour le financement de l'audiovisuel public et pour lutter contre la concentration dans les médias. Nous pourrons nous en saisir si la volonté vous vient d'appliquer réellement les grands principes proclamés. En attendant, nous ne voterons pas ce texte si, à l'issue de nos débats, il continue à manquer de ce que le pays des droits de l'homme et de la liberté de la presse pourrait dire à l'ensemble de l'Europe.

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