Intervention de Joëlle Mélin

Réunion du mercredi 14 décembre 2022 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoëlle Mélin, rapporteure de la commission des Affaires européennes :

Je tiens également à souligner le caractère un peu particulier de l'exercice que Mme Le Grip et moi-même avons réalisé, ainsi que la qualité du travail transpartisan qui a été accompli.

Tous, sur le plan politique, national ou européen, nous partageons l'objectif de protéger nos médias et nos journalistes.

Au cours de nos travaux, nous avons entendu plusieurs interrogations sur le bien-fondé de l'intervention européenne en la matière. Cette proposition de règlement permet-elle de protéger réellement nos médias, leur indépendance et leur pluralisme ? Respecte-t-elle vraiment les compétences des États membres et ne remet-elle pas en cause des choix culturels et nationaux ayant prouvé leur efficacité ? Sur ce point, des doutes sont permis, aux dires des journalistes eux-mêmes. Lors de nos auditions, certains d'entre eux se sont étonnés des objectifs de la Commission européenne et craignent que ce texte ne parvienne pas à les protéger, voire qu'il fragilise leurs libertés.

Nous avons donc pris le risque d'adopter une législation européenne volontairement limitée, alors que notre droit de la presse et des médias est l'un des plus protecteurs d'Europe. Ses effets pourraient être contraires aux intentions politiques initiales, en France et dans d'autres États protecteurs. Dès lors, pourquoi changer d'échelon et passer d'une régulation nationale qui fonctionne bien à une réglementation européenne qui bouleverserait notre modèle ?

La Commission européenne use de son argument habituel : la question des médias est rattachée à celle du marché intérieur et il est nécessaire d'en harmoniser les règles et les pratiques ; les législations nationales des États membres sont fragmentées, ce qui soulève des problèmes pour les investisseurs et, de facto, n'est pas bon pour l'économie. Une telle logique ne saurait être appliquée aveuglément. Avec cette grille de lecture, l'Union serait compétente dans tous les domaines, en raison d'un rattachement, même infime, à des questions économiques, et elle ferait toujours mieux que les États membres.

Mais la question des médias ne relève ni de l'économie ni du marché intérieur, d'autant plus que tous les médias ne sont pas transfrontières. Les médias ne sont pas des entreprises comme les autres. Le pluralisme manifeste la diversité culturelle et linguistique de l'Union européenne. Ne laissons pas la Commission interférer brutalement dans un domaine qui recouvre des enjeux proprement nationaux, qui plus est dans le cadre d'un règlement très peu respectueux de la marge d'appréciation des États membres. Le choix d'une directive serait déjà préférable. Au regard de ses compétences limitées s'agissant des médias, la Commission devrait s'en tenir à l'adoption d'une recommandation.

Plusieurs avis motivés en subsidiarité ont d'ailleurs été adoptés pour contester la compétence de la Commission européenne, par le Bundesrat allemand, la Chambre des députés hongroise, le Parlement danois et, hier matin, le Sénat français. Le service juridique du Conseil de l'Union européenne a même été saisi par la présidence tchèque pour étudier la compétence de l'Union européenne et son avis sera rendu dans les jours à venir. Nous sentons bien une certaine hâte du gouvernement français autour de ce texte, la charrue ayant peut-être été mise avant les bœufs. Ne craignons pas de faire valoir l'argument du droit en brandissant le principe de subsidiarité face à une lecture très politique de la Commission qui risque de menacer notre souveraineté nationale.

Notre groupe partage donc les objectifs de la Commission européenne, mais un problème de méthode se pose : en laissant la Commission intervenir maintenant, nous perdons la possibilité de réglementer le champ de liberté et d'indépendance des médias. Dans l'esprit de compromis qui a guidé notre travail, nous avons fait néanmoins des concessions et souhaiterions donc en rester à un texte minimal.

Suite aux amendements adoptés en commission des Affaires européennes, je ne peux soutenir cette proposition mais j'attends beaucoup des amendements qui seront présentés au sein de cette commission.

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