Intervention de Christophe Marion

Réunion du mercredi 14 décembre 2022 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Marion :

Monsieur le rapporteur, nous ne sommes guère étonnés de votre proposition, puisque cette mesure figurait dans le programme présidentiel de Marine Le Pen, tout comme la définition législative du contenu des enseignements, la suppression des enseignements de langue et de culture d'origine, ou encore celle des discriminations positives.

Ce texte pose plusieurs problèmes, à commencer par celui de la généralisation. Même là où la tradition de la tenue scolaire est solidement ancrée, elle n'est jamais généralisée. Ainsi, seuls 22 % des établissements publics des États-Unis, et un tiers en Martinique, l'imposent.

Par ailleurs, la tenue réglementaire serait financée par les familles. Or, dans vos amendements au projet de loi de finances, vous réclamiez un abondement de 5 millions pour l'adoption de l'uniforme.

Surtout, cette proposition de loi s'appuie sur une certaine pensée magique, sur des intuitions et non sur des études, totalement absentes de votre argumentaire, ni des constats reproductibles.

L'uniforme permettrait d'éliminer les marqueurs sociaux et le harcèlement ? Peut-être, mais à condition d'interdire aussi les bijoux, les montres, les chaussures, sacs à dos et trousses de marque – voire certaines coupes de cheveux : relisons Les Cahiers d'Esther pour comprendre combien elles peuvent marquer la différence, à Paris, entre les élèves du public et ceux du privé.

Si nous admettons la capacité des jeunes à détourner les règles pour inventer de nouveaux marqueurs sociaux, ne faut-il pas plutôt faire le pari de l'éducation pour faire accepter les différences et développer la tolérance ? C'est bien en s'attaquant aux problèmes par leurs racines, et non en les effaçant simplement, que nous luttons concrètement contre les inégalités depuis plus de cinq ans : pensons ici aux dispositifs Petits déjeuners gratuits, Devoirs faits ou Vacances apprenantes, ou encore au dédoublement des classes de CP et CE1 en zone REP (réseau d'éducation prioritaire) et REP+.

L'uniforme renforcerait le sentiment d'appartenance à l'établissement ? Soyons honnêtes : il ne renforcera pas grand-chose si l'élève étudie dans un établissement qui cumule les difficultés, comme l'absence de mixité sociale, une réussite plus faible aux examens ou le non-remplacement des enseignants absents.

Surtout, prenons garde à ne pas créer de nouvelles formes de distinction sociale, non pas à l'intérieur de l'école mais à l'extérieur, en identifiant facilement dans l'espace public l'établissement auquel appartient l'élève. L'uniforme, dès lors, ne favoriserait plus l'homogénéisation, mais créerait au contraire de nouvelles discriminations entre élèves provenant d'écoles et collèges jouissant d'une plus ou moins bonne image.

L'uniforme serait la réponse aux atteintes à la laïcité ? C'est vrai, en novembre, 353 signalements ont été recensés en France, dont 137 concernaient des signes ou des tenues, soit un cas pour 87 000 élèves. Est-ce une justification pour imposer l'uniforme à tous ? Ce dernier ne consiste-t-il pas surtout à jeter un voile pudique sur un phénomène que nous devons pouvoir identifier facilement et combattre par la formation du personnel et la gradation des sanctions, plutôt que de lui permettre de prospérer en silence ?

Quant à l'uniforme comme pierre angulaire du renforcement de la discipline et de l'esprit patriotique, relisons Renan : ce qui fait nation, c'est le désir de vivre ensemble et de faire prospérer l'héritage que nous avons reçu. Or, le tissu commun ne fait pas partie de la tradition nationale ou de l'héritage de nos pères.

Pour être juste, le port d'une tenue réglementée semble entraîner quelques effets positifs sur l'assiduité des élèves, par exemple, ou la diminution du stress matinal lorsque parents et enfants ne sont pas d'accord sur la manière de s'habiller. Mais le débat sur l'uniforme doit reposer sur un travail sérieux, qui mesurerait par exemple ses effets sur l'épanouissement de la personnalité des jeunes, plutôt que se fonder sur des idées reçues et une seule audition.

Sans aucune preuve pour affirmer que l'uniforme contribue à faire de l'école un creuset de la République et de la citoyenneté, nous nous opposerons donc à cette proposition de loi.

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