Intervention de Aurélien Pradié

Réunion du mercredi 23 novembre 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélien Pradié, rapporteur :

Je vous reconnais une forme de constance, monsieur Paris. Lorsque nous avons travaillé sur le bracelet antirapprochement, vous nous expliquiez que sa généralisation dès l'ordonnance de protection, c'est-à-dire avant la sentence, était une folie, mais vous avez tout de même fini par voter le texte. De même, je me souviens très bien de la discussion que nous avons eue à propos du délai de six jours pour les ordonnances de protection : vous disiez que cela ne marcherait pas. J'ai fait moi-même la première évaluation du texte, il y a un an et demi : 90 % des ordonnances de protection étaient alors prises en six jours. Lorsque nous avions adopté cette mesure, les magistrats y étaient farouchement opposés ; aujourd'hui, pas un ne s'en plaint. Peut-être avez-vous gardé vos réflexes de magistrat, mais je pense que nous pouvons assumer de les bousculer un peu, de temps en temps, si nous le faisons sérieusement. Nous pouvons être satisfaits d'avoir réussi à avancer sur ces deux sujets qui faisaient l'objet d'une opposition farouche, notamment au sein de l'institution judiciaire. Je ne sais pas si la justice a besoin de sérénité et de calme. En revanche, je sais que les victimes ont besoin d'être mieux protégées : pour moi, c'est la priorité.

Monsieur Balanant, les violences de genre sont une question dont nous devons débattre. Je ne pense pas que ce soit dans ce domaine qu'une juridiction spécialisée serait la plus efficace, mais pourquoi pas. En Espagne, c'est effectivement sa compétence. Je n'ai pas de religion sur cette question.

S'agissant du phasage, puisque cette question a été abordée, nous devons commencer par le plus urgent, c'est-à-dire les violences intrafamiliales, celles qui tuent, avant de passer à d'autres types de violences.

L'objet de cette juridiction n'est pas de faire de l'affichage, mais de régler un problème qui est majeur. Le bracelet antirapprochement est en grande partie un échec. Certes, de nombreux bracelets ont été imposés aux auteurs de violences après leur passage à l'acte, mais depuis l'adoption de la loi du 28 décembre 2019, seuls treize bracelets ont été délivrés durant la phase la plus importante, qui est celle précédant le passage à l'acte. En Espagne, l'explosion des bracelets antirapprochement concerne la phase antérieure à la sentence et au passage à l'acte. Une fois qu'un individu a été condamné, d'autres mesures sont possibles pour le mettre hors d'état de nuire. Je le répète, c'est au stade de l'ordonnance de protection que le bracelet antirapprochement est le plus important.

Si cela ne marche pas en France, c'est pour une raison simple : le magistrat auquel on confie le soin d'ordonner le port du bracelet antirapprochement au stade de l'ordonnance de protection est un juge civil : c'est un juge aux affaires familiales, qui ne veut pas manier cette mesure quasi prépénale. Si nous voulons y remédier, la seule solution est de créer une juridiction spécialisée qui traite à la fois la matière civile et la matière pénale – tel est le premier objectif de la création de cette juridiction, même si je n'ai peut-être pas assez insisté sur ce point. En Espagne, c'était la véritable révolution. En France, nous avons désormais tous les outils, mais pas les praticiens. Cette révolution ne peut pas attendre : il est urgent de la mener, parce que l'absence de bracelet antirapprochement dès l'ordonnance de protection continue à tuer, de façon massive.

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