Intervention de Jean-François Coulomme

Réunion du mercredi 23 novembre 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-François Coulomme :

En 2022, plus de 140 femmes auront été tuées par leur compagnon français ou leur ex-compagnon français, ce qui revient à une femme tuée tous les deux jours et demi. Ce chiffre a connu une hausse de 20 % en un an. Or, selon l'Inspection générale de la justice, 80 % des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite. Ainsi, nous serons d'accord sur un point : le combat doit se poursuivre inlassablement, et il n'est plus question d'attendre.

Cependant, les moyens que vous souhaitez investir dans ce combat et que vous proposez de mettre en œuvre par le biais de cette proposition de loi sont plus qu'insuffisants.

Vous voulez modifier l'organisation judiciaire en créant des tribunaux des violences intrafamiliales et en nommant un juge aux violences intrafamiliales dans chacun d'entre eux. Mais les acteurs concernés, qu'il s'agisse des magistrats, des professionnels de la justice ou des associations, sont unanimes : la création d'une juridiction spécialisée ne rendra pas la justice plus effective si les problèmes d'effectifs et de délabrement du service public de la justice ne sont pas pris à bras-le-corps.

Certains magistrats nous mettent même en garde contre le risque que ces juridictions, qui n'auraient plus à traiter que de ces questions, se désintéressent des effets collatéraux des violences conjugales. Selon eux, les différentes facettes civiles et pénales d'un dossier doivent rester examinées au sein d'un même tribunal.

À aucun moment vous ne mentionnez le manque de moyens ni l'indispensable adaptation de la justice, alors que ces considérations sont fondamentales dans la lutte contre les violences intrafamiliales.

Non, la création d'une juridiction spécialisée n'est pas la seule réponse efficace et fiable susceptible d'être apportée – bien au contraire. Que faites-vous des hébergements d'urgence, dont 88 % des femmes victimes de violences ne bénéficient pas ? Que faites-vous du niveau des dépenses par habitant consacrées à la justice, qui est en France bien inférieur à ce qui est nécessaire et recommandé ? En multipliant ce ratio par trois, l'Espagne a permis une réduction de 25 % des féminicides au sein des couples.

Quant au recueil de la plainte, que les avocats et associations jugent fondamental mais défaillant, vous ne l'évoquez à aucun moment. Pourtant, ces plaintes sont le plus souvent déposées dans des bureaux partagés, sans possibilité de confidentialité ; elles ne sont pas traitées par la brigade locale de protection de la famille, même lorsqu'il en existe une au sein du commissariat. Dans 80 % des dépôts de plainte, aucune question n'est posée sur les violences sexuelles.

Certains avocats relèvent notamment qu'un grand nombre d'agents ne sont pas familiers des mécanismes des violences sexuelles et sexistes tels que l'emprise ou la sidération, qui empêche parfois les victimes de se défendre ou de dénoncer leurs agresseurs. Il convient donc de former les acteurs de terrain – encore une nécessité que vous passez entièrement sous silence.

Notre groupe est opposé à la création de juridictions spécialisées, qui entraînerait une perte d'indépendance des magistrats – même si la spécialisation de ces derniers est positive – sans remédier au manque de moyens humains accordés à la justice. Une simple réorganisation du fonctionnement de la justice ne peut pallier les graves carences dénoncées depuis des années. En outre, nous ne pouvons faire l'impasse sur le chaînon essentiel que sont les services de police et de gendarmerie.

Dans notre plan visant à mettre fin aux féminicides, nous proposons la création, au sein des juridictions, d'un pôle judiciaire de lutte contre les violences intrafamiliales, qui comprendrait des magistrats et des officiers de police judiciaire spécialement formés et se verrait allouer des moyens spécifiques afin de réduire les délais de traitement des affaires de violences sexuelles et sexistes.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi terriblement éloignée des besoins exprimés sur le terrain, qui ne vise qu'à répondre à une préoccupation d'image électorale du parti qui la présente.

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