Intervention de Hervé Saulignac

Réunion du mercredi 23 novembre 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Saulignac :

Votre proposition de loi, chacun en conviendra, est l'illustration d'une dérive. Ainsi, vous reprenez une marotte servie bien souvent par l'extrême droite, certains étrangers n'étant pas aussi facilement expulsables que vous le souhaiteriez. Et au passage, vous n'oubliez pas de confondre dans l'exposé des motifs mesures d'expulsion, qui concernent les étrangers en situation régulière, et mesures d'éloignement, qui permettent la reconduite à la frontière des étrangers irréguliers.

Même si c'est peine perdue, je voudrais vous rappeler que notre législation s'inscrit dans un cadre : je pense notamment à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, à la Constitution, bien sûr, et aux conventions internationales qui ne semblent guère vous embarrasser, puisque vous n'en faites même pas mention. L'article 8 de la Convention européenne garantit « à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale », qu'elle soit française ou étrangère. Le respect de la vie privée et familiale ne fait pas obstacle à la justice et à la sanction. La France a été condamnée plusieurs fois sur le fondement de l'article 8 dans le cadre de mesures d'expulsion prises à l'encontre d'étrangers condamnés, la Cour relevant des atteintes disproportionnées par rapport au but légitime poursuivi. Aussi, loin de se montrer laxiste en la matière, notre pays sait-il parfois faire preuve d'un zèle incontestable.

Je pourrais également arguer qu'en l'état du droit, la loi rend possible des expulsions si un juge constate la « nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique ». Ces expulsions sont également possibles pour ceux qui ont été condamnés définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans. Votre exposé des motifs est d'ailleurs assez contradictoire, puisque, d'un côté, vous reconnaissez que le juge peut expulser, et quelques alinéas plus loin, vous indiquez que les étrangers « ne peuvent pas être expulsés même s'ils présentent une menace pour la sécurité publique ».

Je pourrais développer plus avant la liste des arguments, mais je doute que ce soit utile, tant votre proposition de loi s'appuie sur des émotions, des faits divers et des flambées médiatiques, qui ne sont jamais bonnes conseillères lorsqu'il s'agit de légiférer sur un sujet sensible, à moins d'assumer pleinement une inspiration populiste.

Enfin, même si vous vous en défendez, votre texte alimente la défiance, pour ne pas dire la méfiance, de l'étranger, et ne pourra pas être lu autrement par celui qui verse déjà dans cette conviction. Personne n'est dupe du lien que vous cherchez à établir entre les étrangers et la criminalité, et le moins que l'on puisse dire, c'est que vous n'avez pas lésiné sur les sous-entendus dans l'exposé des motifs. Vous avez notamment largement instrumentalisé des chiffres du ministère de l'intérieur auxquels on peut faire dire beaucoup de choses, car ils sont très pratiques pour construire des raisonnements politiques parfaitement fallacieux. Par exemple, saviez-vous que 52 % des condamnés détenus ont entre 20 et 35 ans ? De quoi déposer des propositions de loi sur la jeunesse délinquante. Saviez-vous que 97 % des condamnés détenus sont des hommes ? De quoi inspirer des propositions de loi qui instaureraient des peines plus fortes pour les hommes que pour les femmes puisqu'à l'évidence, les hommes sont génétiquement délinquants ou criminels.

À la lecture de votre proposition de loi, j'ai tout simplement le sentiment que vous avez égaré votre boussole. À telle enseigne que vous en venez à remettre en question un aménagement réalisé par Nicolas Sarkozy lorsqu'il était ministre de l'intérieur. Et, si Nicolas Sarkozy s'est illustré dans bien des domaines, je ne crois pas qu'il l'ait fait par son laxisme à l'égard des étrangers. Évidemment, nous voterons contre ce texte.

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