Intervention de Xavier Batut

Réunion du mercredi 26 octobre 2022 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaXavier Batut, rapporteur pour avis :

Un gendarme vient de perdre la vie dans un accident lors d'une intervention judiciaire dans le département de l'Eure. Ce n'est pas un phénomène isolé puisque le 13 octobre, un autre gendarme avait également perdu la vie à Bayonne. De plus en plus de gendarmes sont physiquement agressés, sans parler des attaques verbales, des refus d'obtempérer etc. Je voudrais adresser mes plus sincères condoléances aux familles endeuillées et rendre un hommage appuyé, en notre nom, à tous les militaires de la gendarmerie, départementale et mobile, hommes et femmes, en métropole et en outre-mer.

Les forces de sécurité intérieure reviennent de loin. Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir en 2017, la gendarmerie était dans une situation critique, que ce soit en matière d'effectifs ou d'investissement.

Le quinquennat 2017-2022 marque une rupture profonde avec les deux quinquennats précédents. Le Gouvernement a fait de la remontée en puissance des forces de sécurité intérieure – comme de nos armées d'ailleurs – une priorité de sa politique. Celle-ci a commencé par une hausse des effectifs dans le cadre du plan « 10 000 ». Le schéma d'emplois de la gendarmerie a ainsi augmenté de plus de 2 000 emplois sur toute la durée du quinquennat.

La deuxième étape de cette remontée en puissance s'est concrétisée en 2020 avec le renouvellement du parc de véhicules. Grâce au plan de relance, les gendarmes ont bénéficié de 630 véhicules électriques mais aussi de 750 vélos électriques. Au titre du programme 152 Gendarmerie nationale, pour 2021, la dotation a augmenté de 4 000 véhicules – dont 582 motos, 243 véhicules de maintien de l'ordre de type Iveco et 40 véhicules de commandement et de transmissions – et pour 2022, de 3 600 véhicules. Le dernier quinquennat a permis un profond rajeunissement du parc automobile et motocycliste des gendarmes.

Le renouvellement a aussi concerné les forces aériennes de la gendarmerie. Aux termes de la loi de finances rectificative de juillet 2020, l'institution a bénéficié de 200 millions d'euros pour la commande de dix hélicoptères H160, un produit Airbus d'une valeur de 20 millions. La production a commencé à Marignane et les deux premiers appareils devraient être livrés d'ici à la fin de l'année. Très polyvalents, ces hélicoptères doteront les forces d'intervention d'une capacité de projection renforcée, notamment en matière de contre-terrorisme.

L'équipement des gendarmes n'est pas en reste. Au cœur de la stratégie GEND 20.24 se trouve la logique de l'« aller vers », qui consiste à rapprocher les gendarmes des administrés sur les 96 % du territoire situés en zone gendarmerie. Les téléphones NEO Gend et leurs nombreuses applications, de même que les ordinateurs Ubiquity, permettent aux gendarmes d'effectuer en déplacement toutes les missions habituellement accomplies dans les locaux des brigades. C'est une véritable révolution numérique et la gendarmerie est considérée comme le service de l'État le plus innovant.

Les gendarmes mobiles n'ont pas été oubliés puisqu'ils sont désormais dotés de caméras-piétons beaucoup plus performantes qu'auparavant. J'ai personnellement insisté sur la nécessité de disposer de caméras à la pointe de la technologie et adaptées à une utilisation par les forces mobiles.

Enfin, dans le domaine de l'immobilier, les gendarmes ont bénéficié du plan Poignées de porte qui a permis de réaliser 3 164 opérations immobilières d'entretien et de petits travaux. En 2020, le plan de relance a aussi doté les gendarmes de 47 millions d'euros supplémentaires pour la maintenance immobilière et de 137 millions d'euros pour la rénovation énergétique des bâtiments.

Le Gouvernement a mené pendant huit mois, entre février et septembre 2021, une réflexion dans le cadre du Beauvau de la sécurité. Cette réflexion s'est traduite dans le projet de loi de finances pour 2022 par l'octroi de plus de 200 millions d'euros supplémentaires, notamment au profit des moyens mobiles et de l'immobilier domanial. Cette année, les gendarmes pourront acquérir 5 500 véhicules automobiles et renouveler leur parc de véhicules de maintien de l'ordre. S'agissant de la capacité blindée, à la fin du mois d'octobre 2021, un marché a été notifié à la société Soframe et une commande de 90 véhicules Centaure a été passée en juin 2022 : 10 véhicules seront commandés cette année, 44 en 2023 et 26 au début de l'année 2024. Il était grand temps car les véhicules blindés à roues datent des années 1970.

En résumé, la gendarmerie a connu sous le précédent quinquennat une hausse majeure de ses effectifs, un renouvellement historique de ses équipements et de ses véhicules ainsi qu'une reprise en main de son parc immobilier.

Loin de s'arrêter là, notre majorité, une fois réélue, a décidé d'amplifier la remontée en puissance en déposant un projet de loi de programmation que de nombreux parlementaires appellent de leurs vœux depuis plusieurs années. En tant que membres de la commission de la défense, nous connaissons les atouts d'une programmation pluriannuelle : si une loi de programmation doit être déclinée annuellement en loi de finances, elle fixe un cap au Gouvernement et donne de la visibilité aux forces. Comme les armées, les forces de sécurité intérieure ont besoin de connaître la stratégie du Gouvernement et les priorités fixées. La dernière LOPPSI datant de 2011, il était grand temps de définir un cadre pluriannuel dans le contexte sécuritaire que nous connaissons – hausse exponentielle de la cyberdélinquance, prise en charge accrue des violences intrafamiliales et imbrication des crises de toutes natures, pour ne citer que quelques éléments d'évolution. Je salue donc l'approche programmatique du Gouvernement.

J'en viens maintenant au fond du texte. Le projet de loi prévoit 15 milliards d'euros sur cinq ans pour tout le ministère : les forces de sécurité intérieure, la sécurité civile, la sécurité routière et l'administration déconcentrée. Mon propos sera ciblé sur les dispositions intéressant la gendarmerie nationale. Pour le reste, je vous renvoie à la commission des lois.

Il est prévu un effort supplémentaire sur cinq ans de 3,5 milliards d'euros au profit de la gendarmerie, sans compter les dépenses indirectes, dans le domaine du numérique par exemple. Je ne reviens pas dans le détail sur la déclinaison de cette programmation en loi de finances pour 2023 puisque nous venons à peine d'examiner la semaine dernière le programme 152 sur le rapport de Jean-Pierre Cubertafon. Je présenterai plutôt la stratégie d'ensemble, avant d'évoquer les principales modifications adoptées par le Sénat.

Quatre grands thèmes du rapport annexé intéressent la gendarmerie nationale : la transformation numérique, la densification de la force, qu'il s'agisse des effectifs ou du maillage, le capacitaire et la formation.

Le point saillant du projet de loi est bien sûr la densification de la force par la création de 200 brigades et de sept escadrons de gendarmerie mobile ainsi que par l'augmentation des effectifs de 3 540 équivalents temps plein (ETP) pendant la durée du quinquennat. Dès l'an prochain, le schéma d'emplois de la gendarmerie augmentera de 950 ETP. Les nouvelles brigades visent à redensifier le maillage de la gendarmerie, en particulier dans les zones rurales mais aussi à tenir compte de l'augmentation de la population en zone gendarmerie. Deux tiers des nouvelles brigades seront des brigades traditionnelles et un tiers, des brigades itinérantes, dans une logique d'« aller vers ». Tous les départements profiteront de ces nouvelles brigades. Si le ministère de l'intérieur a déjà identifié des projets, il a commencé au début du mois d'octobre une concertation avec les élus qui devrait s'achever au début du mois de janvier. Ayant auditionné l'officier général chargé de cette concertation, je peux préciser à ceux qui le souhaitent les modalités d'élaboration des projets de brigade.

Les hausses d'effectifs permettront non seulement d'armer les nouvelles brigades mais aussi de reconstituer sept escadrons de gendarmerie mobile, pour préparer en particulier les Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024. Les nouvelles recrues permettront aussi de renforcer les formations, j'y reviendrai, et d'armer la nouvelle agence du numérique pour les forces de sécurité intérieure. Enfin, l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique bénéficiera, en administration centrale et déconcentrée, de quarante nouveaux agents. Le processus de transformation des postes de gendarmes adjoints volontaires en sous-officiers dans les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG), commencé en début d'année, se poursuivra en 2023 et 2024 à raison de 1 000 postes par an. Ces hausses d'effectifs, couplées à la création de brigades itinérantes et à la transformation numérique, favoriseront le renforcement de la présence des gendarmes sur la voie publique.

Enfin, j'aborde un sujet qui nous est cher, en particulier à Christophe Blanchet, auteur d'un rapport qui fait autorité : la montée en puissance de la réserve opérationnelle. Le Président de la République a annoncé l'augmentation des effectifs de la réserve opérationnelle de niveau 1, de 30 000 actuellement à 50 000 d'ici à 2027 ; la hausse sera plus forte en début de mandat pour préparer les Jeux olympiques. La réserve opérationnelle est désormais une composante stratégique de la gendarmerie. Comme le souligne le général Didier Fortin, commandant des réserves que j'ai auditionné, « désormais, la gendarmerie marche sur deux jambes indissociables : ses gendarmes d'active et ses gendarmes de réserve. Ancrés dans les territoires au sein de la population, nos gendarmes de réserve sont devenus indispensables à la performance de l'institution. Citoyen militaire, le gendarme de réserve est, au quotidien, le gendarme des cent derniers mètres au contact de la population que la gendarmerie a pour mission de protéger ». La réserve devrait atteindre 36 000 membres l'an prochain et 40 000 en 2024, ce dont je me félicite bien évidemment.

Deuxième thème qui nous intéresse dans la LOPMI : la transformation numérique, qui peut être mise au service du renforcement de la présence des forces de sécurité sur le terrain. Le téléphone NEO 2 et l'ordinateur Ubiquity permettent déjà et permettront davantage demain aux gendarmes de travailler en déplacement, donc au plus proche des habitants, y compris dans les zones très reculées ; les administrés n'auront plus besoin de se rendre à la brigade.

L'innovation technologique est au cœur de l'institution. Le général Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, a rappelé il y a trois semaines son souhait de recruter de plus en plus de scientifiques, polytechniciens et spécialistes cyber. Au sein du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), les compétences d'innovation sont également remarquables. Outre les nouvelles applications telles que NEO DK et l'utilisation de la reconnaissance vocale dans la saisie des procédures, les nouveaux dispositifs développés par l'institution – le portail magendarmerie.fr, la brigade numérique et le portail de plainte en ligne – permettront d'effectuer toutes les procédures hors les murs. Le recours aux algorithmes aidera à adapter la présence des gendarmes sur le terrain. Efficacité et proximité : tels sont les mots d'ordre de cette stratégie dans laquelle le numérique rapproche plutôt qu'il n'éloigne. Je ne reviens pas sur l'augmentation exponentielle de la cyberdélinquance car Jean-Pierre Cubertafon l'a largement évoquée dans son rapport pour avis la semaine dernière. J'insiste en revanche sur la création du réseau radio du futur, réseau très haut débit souverain des forces de sécurité et de secours.

J'en viens à présent aux mesures d'ordre capacitaire de la LOPMI. Les gendarmes ne seront pas seulement plus nombreux, ils seront aussi mieux équipés – avec des véhicules et des tenues modernisés, grâce aux textiles connectés, par exemple. La LOPMI prévoit aussi de renforcer l'équipement des forces en drones – très utiles par exemple en cas d'incendie de forêt comme l'été dernier. Le renouvellement des équipements concernera aussi les caméras-piétons, les véhicules nautiques et les moyens aériens. La gendarmerie envisage en effet l'acquisition pour 2027 d'hélicoptères H145 dans le cadre d'un contrat de commande commun avec la sécurité civile.

Enfin, le quatrième axe concerne le renforcement des formations La formation initiale en école des élèves gendarmes sera allongée, notamment pour recevoir une formation théorique en police judiciaire. La formation continue sera également consolidée grâce à la création de treize centres régionaux. Sont aussi prévus l'établissement de deux nouvelles compagnies à l'école de Fontainebleau, la densification des compagnies de Dijon, Rochefort, Tulle et Châteaulin, la création de quinze compagnies d'instruction et le recrutement de 266 formateurs.

Pour terminer, je voudrais évoquer le protocole social conclu le 9 mars dernier pour un montant de 197 millions d'euros. Il prévoit en particulier une revalorisation des grilles indiciaires des grades de gendarme à adjudant au 1er juillet 2023 puis des grades d'adjudant-chef à major au 1er janvier 2024. Il comporte aussi plusieurs mesures indemnitaires comme l'indemnité spéciale de sujétions pour les corps militaires de soutien de la gendarmerie et l'indemnité d'absence missionnelle pour les gendarmes départementaux qui sont envoyés en renfort sur des missions en zone maritime ou de montagne. S'y ajoutent enfin des mesures d'accompagnement des familles.

J'en viens à présent aux principales modifications adoptées par le Sénat.

Les sénateurs ont tout d'abord précisé que « la répartition territoriale entre police et gendarmerie serait adaptée selon des critères qualitatifs afin de mieux correspondre à la réalité des territoires ». Cela correspond à une recommandation que j'ai formulée dans mes rapports pour avis sur le programme Gendarmerie, j'y suis donc favorable.

Le Sénat a aussi précisé que le choix des territoires d'implantation des nouvelles brigades serait effectué selon des critères objectifs liés à la population, aux flux, aux risques locaux etc. Il me semble que c'est déjà le cas dans la concertation en cours. Je n'ai donc pas d'objection à cet ajout.

Je suis également favorable à la mention d'une cible d'emploi de 25 jours par an pour les réservistes. J'ai recommandé dans mon avis budgétaire de l'an dernier une augmentation du nombre de jours d'emploi des réservistes. Ce nombre est actuellement de vingt et un contre une trentaine dans les armées, ce qui nuit à l'attractivité du dispositif. Pourtant, la réserve opérationnelle de la gendarmerie est un modèle exceptionnel : les réservistes sont pleinement intégrés à la force et pendant leurs jours d'emploi, ils sont des gendarmes indistincts en tout point de leurs camarades d'active.

Le Sénat a enfin indiqué qu'un montant annuel de 300 millions d'euros devrait être consacré à l'immobilier de la gendarmerie – 200 millions pour la reconstruction et la réhabilitation de casernes et 100 millions pour les travaux de maintenance. Là encore, cela correspond à une proposition que j'ai formulée dans mes avis budgétaires de 2020 et de 2021. L'immobilier de la gendarmerie a longtemps été le parent pauvre de la politique du ministère de l'intérieur. Le plan de relance et le Beauvau de la sécurité ont permis des améliorations importantes. Ces hausses de crédits doivent s'inscrire dans la durée pour permettre aux familles de gendarmes d'être logées dignement partout sur le territoire.

Vous l'aurez compris, j'émets un avis favorable à l'adoption du projet de loi.

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