Intervention de Olivier Becht

Réunion du mardi 8 novembre 2022 à 18h00
Commission des affaires étrangères

Olivier Becht, ministre délégué :

Madame Caroit, nous lançons, avec le Canada et le Portugal, une expérience de dématérialisation totale pour le renouvellement des passeports : les empreintes biométriques ayant déjà été prises, le rendez-vous n'est plus nécessaire. La distribution peut ensuite avoir lieu par l'intermédiaire de la Poste, ce qui est parfois problématique, ou par la tournée consulaire, ce qui peut être un peu plus long puisque le consul ou le consul honoraire se déplace pour remettre le titre – le service doit être le plus rapide et le meilleur possible. J'espère que la création d'une centaine d'emplois prévue dans la loi de finances sera confirmée car nous avons besoin de réarmer notre diplomatie. S'agissant de l'affectation de ces emplois, mon idée – partagée, je crois, par la ministre de l'Europe et des affaires étrangères – est de créer des services mobiles pour renforcer les consulats en fonction des besoins.

S'agissant de France Connect, tout Français devrait y avoir accès. Le problème vient du fait que, souvent, les intéressés n'ont pas de numéro de sécurité sociale ou de numéro INSEE. Nous allons travailler sur ces sujets.

La plupart du temps, ce sont les administrations locales qui délivrent les certificats de vie mais toutes ne jouent pas le jeu. J'ai demandé aux consulats qu'en pareil cas, ils puissent offrir ce service en dernier ressort. Les gens sont parfois placés dans des situations impossibles car on leur demande ce document pour leur verser leur retraite.

Le volontariat international en entreprise fait partie des aides que nous avons maintenues pendant la crise de la Covid pour permettre aux entreprises françaises de continuer à bénéficier du concours de ces jeunes. Il faudra voir comment préserver ces dispositifs et j'ai d'ailleurs demandé à mon cabinet de réfléchir à l'élaboration d'une boîte à outils. Nous devrons notamment arrêter la définition exacte de ce qu'est une entreprise française à l'étranger : une entité dirigée par un Français ou une société à capitaux majoritairement français ? Une telle définition nous a manqué pendant la crise de la Covid. Une fois que nous l'aurons établie, nous disposerons de critères objectifs pour décider s'il y a lieu d'aider celles des entreprises qui ne sont pas des filiales de groupes français ; ces dernières bénéficient généralement des aides nationales.

L'instrument anti-coercition dont j'ai parlé pourrait être utilisé contre un État qui mènerait une politique assertive contraire aux règles du fair-play commercial et prendrait prétexte d'un fait politique pour sanctionner nos produits. Il nous permettrait d'adopter des mesures rapides, proposées par la Commission européenne, selon un mécanisme validé par le Conseil des ministres de l'Union. J'ai bon espoir que cet instrument soit adopté lors du conseil du 25 novembre.

Monsieur Guiniot, nous dressons tous le même constat concernant la balance énergétique. Je partage le sentiment qu'il faut tout faire pour rendre notre agriculture la plus résiliente possible. Au niveau national, nos agriculteurs sont victimes de la tendance à la baisse des prix, sous la pression de la grande distribution – c'est pourquoi nous avons voté les lois EGALIM 1 et 2. À l'exportation, le secteur agricole ne se porte pas si mal. À côté des vins et des spiritueux, traditionnellement excédentaires, les céréales présentent un excédent de 6 milliards d'euros, la filière laitière exporte 40 % de sa production et dégage un excédent de 3,4 milliards, et le sucre affiche un excédent de 0,9 milliard. Je dis souvent aux agriculteurs de se tourner vers l'exportation car elle leur permet d'échapper à la pression de la grande distribution et de préserver des marges bien plus élevées que sur les marchés nationaux.

D'ailleurs, après cinq ans d'application du CETA, dont certains avaient dit qu'il était le dernier clou planté dans le cercueil de la filière bovine française, on constate que l'on a exporté 178 tonnes de bœuf français vers le Canada et que l'on a importé 52 tonnes de bœuf canadien en France. Les traités de libre-échange ne sont donc pas nécessairement une mauvaise nouvelle pour nos filières, à condition qu'elles se structurent en vue de l'exportation, certaines étant mieux armées que d'autres.

Le principal enjeu pour la souveraineté alimentaire française sera de faire en sorte que nos exploitations trouvent des repreneurs, alors que près de la moitié des agriculteurs partiront à la retraite d'ici à 2030. Cela suppose d'identifier des débouchés pour les produits agricoles, qui peuvent être en partie assurés par l'exportation.

Madame Oziol, nous ne faisons absolument pas la même analyse des traités de commerce. Vous souhaitez que l'on sorte du modèle actuel. Certes, il est loin d'être parfait, mais, comme le disait Churchill à propos de la démocratie, il est « le pire à l'exception de tous les autres ». Il a tout de même assuré une certaine prospérité et permis à près d'un milliard d'êtres humains, au cours des deux décennies précédentes, de sortir de la pauvreté.

Pour répondre également à monsieur Fuchs, nous souhaitons améliorer ces traités en y intégrant des mesures de protection de notre modèle environnemental, social et sanitaire. Nous n'avons pas la naïveté de penser que nous devons nous exposer à tous les vents de la mondialisation et accepter tous les produits, quelles que soient les conditions de leur production. Au contraire, nous souhaitons faire en sorte que les produits qui entrent dans l'Union respectent les normes environnementales, sanitaires et sociales européennes. Nous intégrons dans les traités – ce qui marque une révolution dans notre approche de la politique commerciale – le respect de l'accord de Paris, du règlement européen contre la déforestation, des principes relatifs à la protection de la biodiversité et des conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT), notamment sur le travail forcé et le travail des enfants. Nous instituons des mécanismes d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne et nous insérons des mesures miroirs dans les règlements européens, qui interdisent certains produits, européens comme étrangers, pour la protection sanitaire de nos concitoyens.

Le premier traité comportant des dispositions de cette nature est celui que l'Union européenne a conclu avec la Nouvelle-Zélande. Nous souhaitons que l'Union adopte cette démarche pour l'ensemble des accords que nous signerons dans les années à venir. Par ailleurs, nous demandons que les traités déjà signés mais non encore ratifiés mentionnent, dans la clause de revoyure, qu'ils devront intégrer la nouvelle approche de la Commission européenne en matière de politique commerciale. Les mesures miroir, quant à elles, s'appliquent à l'ensemble des produits, même en présence d'un traité déjà en vigueur.

Monsieur Fuchs, il est évident qu'il faut développer le goût de l'international dans les écoles de commerce. À la différence d'autres pays européens, comme les Pays-Bas pour lesquels c'était vital, la France a été, dans l'histoire, moins contrainte par la nécessité d'exporter pour survivre, du fait de l'espace de production agricole dont elle disposait et qui lui assurait l'autosuffisance. Notre pays a fait le choix, sous François Ier, de placer sa capitale à Paris, dans les terres, plutôt qu'au Havre, ville tournée vers la mer, ce qui a nécessairement modifié notre rapport à l'ouverture au monde. Il faut donc donner à nos jeunes entrepreneurs, dès qu'ils montent leur entreprise, le goût de l'ouverture. Tous les jeunes qui sortent d'une école de commerce comprennent qu'aujourd'hui, l'horizon, c'est le monde et non pas seulement un marché local ou national.

Cette projection doit évidemment englober l'espace francophone. Je partage votre sentiment selon lequel il faut avoir, à côté de la culture et de l'éducation, qui ont souvent été le cœur de la francophonie, une dimension économique. C'est du reste l'esprit dans lequel s'est tenue voilà quelques jours à Abidjan, en Côte d'Ivoire, avec le mouvement des entreprises de France (MEDEF), la deuxième édition de la Rencontre des entrepreneurs francophones (REF). C'est une très bonne nouvelle que les acteurs économiques se soient désormais engagés dans cette démarche et j'espère que la création de zones de libre-échange en Afrique permettra d'établir des relations privilégiées avec l'espace francophone.

Monsieur David, vous avez mentionné les différentes aides instaurées par les États-Unis, notamment avec l' Inflation Reduction Act, et par nos amis allemands avec le plan de soutien à l'énergie de 200 milliards d'euros. Les 374 milliards de dollars engagés par les États-Unis représentent certes un montant important, mais il faut le rapporter à la population. Avec les différents boucliers tarifaires que nous avons créés pour protéger les Françaises et les Français, les collectivités locales et les petites et moyennes entreprises, ce sont déjà 100 milliards d'euros qui ont été dépensés ou budgétés. Si on y ajoute – sans même évoquer le plan de relance de 100 milliards auquel nous avons eu recours pour sortir de la crise de la Covid – les 54 milliards d'euros de France 2030, ces montants ne sont pas très éloignés des mesures prises en Allemagne ni, somme toute, à échelle constante, aux États-Unis.

Monsieur Portarrieu, l'excédent du secteur aéronautique n'a certes été que de 10 milliards d'euros sur le premier semestre contre 15 milliards précédemment. J'ai bon espoir que la situation se normalise et que l'excédent revienne. Comme vous l'avez dit, les commandes sont là et la question est celle de l'offre. Il faut assurer la pérennité des approvisionnements en matières premières et le titane est, à cet égard, essentiel. J'évoquais, hier encore, ce sujet avec la présidente d'Eramet. Il s'agit là de notre préoccupation principale et je suis très régulièrement en contact avec Guillaume Faury, directeur général d'Airbus, pour nous assurer que ces approvisionnements seront garantis.

Je souscris à votre analyse des conclusions du rapport Varin : nous avons besoin d'une diplomatie des métaux critiques et sommes en train de la déployer. Mon ministère, en particulier, s'emploie à ce que nos approvisionnements soient garantis. Au reste, cette nécessité s'applique à l'ensemble de la transition énergétique car il serait inutile de sortir d'une dépendance au gaz russe pour tomber dans une dépendance aux terres rares, au lithium ou au cobalt chinois. Nous sommes donc en train de déployer toute une stratégie pour nous assurer de l'intégralité de la chaîne, y compris de la production de ces matières.

Je précise, à titre de transition avec ma réponse à la question de monsieur Julien-Laferrière, qu'il faudra bien que nous acceptions de rouvrir des mines, y compris sur notre territoire. Les énergies renouvelables étant pour la plupart intermittentes, nous ne ferons pas la transition énergétique sans avoir la capacité de les stocker, ce qui suppose de disposer de cobalt, de lithium et des terres rares pour fabriquer les batteries. Nous sommes en train de programmer ce processus, qui est déjà engagé. Les mines ouvertes devront être durables et propres. Cependant, l'image de la mine étant souvent dégradée dans l'opinion publique, si chaque projet minier donne lieu à des manifestations violentes, nous serons un jour ou l'autre dépendants des importations de minerais critiques et il serait dramatique que notre souveraineté soit contrainte dans le domaine des énergies renouvelables.

Pour ce qui concerne le Mercosur, le changement de président au Brésil n'implique pas en soi un changement de politique ou de vision. Nos exigences en la matière ont toujours été très claires : premièrement, respect des règlements qui s'appliquent à la déforestation ; deuxièmement, respect de l'accord de Paris sur le climat ; troisièmement, respect, en droit et en fait, des normes sanitaires et environnementales de l'Union européenne pour les produits agroalimentaires importés. Que le président soit M. Bolsonaro ou M. Lula da Silva ne change rien à ces exigences : nous jugeons sur le fond la manière dont un pays observe ces accords.

Quant à l'Ukraine, il faut nous porter au secours des populations civiles. Dans cette perspective, le président de la République a souhaité organiser à Paris, le 13 décembre prochain, un sommet consacré à la résilience civile, qui sera précédé, la veille, à Bercy, d'un volet économique. Il s'agira de permettre, ensemble, à la population ukrainienne de continuer à avoir accès aux ressources de base, notamment durant la période hivernale qui débute.

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