Intervention de Éric Woerth

Séance en hémicycle du lundi 11 octobre 2021 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2022 — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Ce projet de loi de finances doit être apprécié à l'aune de la crise. S'il n'y avait pas eu de crise, des chiffres comme ceux qui nous sont présentés dans ce texte seraient évidemment désastreux. Ils ne le sont pas si l'on considère la puissance de la crise et ses effets. Toutefois, force est de constater qu'il devient très difficile, voire impossible, de comparer les objectifs de ce texte avec les engagements antérieurs. On le voit, par exemple, lorsque le Haut Conseil des finances publiques tente de mesurer les écarts par rapport à la loi de programmation, devenue par la force des choses totalement caduque.

Contrairement à ce que certains disent, je ne pense pas qu'il s'agisse d'un budget insincère : je le qualifierai plutôt d'incomplet, car vous n'y présentez pas la totalité de vos mesures. Ce budget, monsieur le rapporteur général, est inédit par ce qu'il ne contient pas. On a coutume de parler de « trous dans la raquette » – c'est quasiment devenu une expression consacrée à l'Assemblée nationale – mais il faudrait parler là, non plus de trous mais de cratères ! La vérité, c'est que cette crise a fait perdre à peu près tout repère à tout le monde et c'est dangereux, très dangereux de ne plus avoir de repères.

On a ouvert la boîte de Pandore, celle qui libère tous les maux des finances publiques, notamment celui de l'augmentation de la dépense. En effet, vous avez annoncé non seulement des amendements qui viendront significativement augmenter les dépenses, comme le plan d'investissement, qui doit être présenté demain par le Président de la République, l'extension, si j'ai bien compris, de la garantie jeunes, mais également des amendements importants en termes de baisse de recettes, comme celui qui modifie les taxes sur l'électricité – et peut-être d'autres choses encore. En somme, on est passé de la fin du chômage partiel à un budget partiel !

Vous auriez pu vous contenter de quelques articles : un article liminaire, des articles de recettes et de dépenses et quelques articles d'équilibre : vous auriez ainsi présenté le budget le plus court de la Ve République car, vous en conviendrez, les quelques articles du texte tel qu'il a été déposé ne vont pas révolutionner grand-chose. Il est vrai que le dernier budget avant l'élection présidentielle est rarement révolutionnaire, mais on peut avoir une certitude : toutes les mesures importantes qui figureront dans le texte qui sera adopté en décembre auront été introduites par amendement au cours de la discussion, sans doute tardivement et dans des conditions ne permettant pas aux parlementaires d'expertiser ces propositions ni, probablement, de les sous-amender. Vous en avez le droit, mais c'est une manière peu satisfaisante de construire un budget.

Dans ce budget, on se berce d'illusions, en premier lieu de celle que l'on va rattraper l'année prochaine le niveau de richesse qui était le nôtre avant la crise. Selon vous, monsieur le ministre, grâce à une croissance de 6,25 % en 2021 et 4 % en 2022, la France aura reconstitué les richesses supprimées en 2020. Pourtant les chiffres vous donnent tort. La perte de richesses cumulée entre 2020 et 2021, qu'on ne rattrapera sans doute jamais, est de l'ordre de 280 à 300 milliards d'euros. S'il est vrai que le niveau de PIB que l'on va atteindre fin 2021 sera nominalement supérieur à celui de 2019, il n'en demeure pas moins qu'il sera inférieur de 85 milliards d'euros à ce qu'il aurait dû être en 2021 si nous n'avions pas connu de crise.

En second lieu, on se berce de l'illusion que la dépense publique baisse, et il y a là un curieux paradoxe. Il est vrai de dire que, dans ce PLF qui accompagne la sortie de crise, les dépenses publiques sont en diminution, optiquement de 30 milliards d'euros l'année prochaine du fait de l'arrêt des mesures de soutien et de relance. Après avoir atteint près de 157 milliards d'euros cumulés sur 2020 et 2021, il devrait rester seulement 28 milliards pour faire face à la crise en 2022. Mais, derrière cette diminution globale de la dépense publique, se cache une hausse de 32 milliards d'euros des dépenses ordinaires, c'est-à-dire hors urgence et relance, comme le Ségur de la santé par exemple. Autrement dit, les dépenses auraient dû diminuer de 60 milliards si les dépenses ordinaires n'avaient poursuivi leur croissance inexorable de leur côté !

Il ne s'agit pas là de pointer du doigt l'augmentation naturelle de la dépense, mais bien l'accélération des dépenses sous l'effet des décisions politiques. Ces trois dernières années, la tendance est nettement à la hausse : les dépenses ordinaires ont augmenté de 100 milliards d'euros entre 2020 et 2022. Vous avez ainsi accéléré les dépenses ordinaires durant la crise par rapport à la norme habituelle d'augmentation des dépenses. Pourtant, on était en droit d'attendre de vous une plus grande maîtrise de notre train de vie en période de crise, car on ne peut pas gager la hausse des dépenses ordinaires par la baisse des dépenses exceptionnelles ! En augmentant les dépenses ordinaires, on risque une hausse structurelle de la dépense publique, crantée dans le temps.

Par ailleurs, la fin du « quoi qu'il en coûte » ne doit pas se transformer pour l'État en permis de dépenser sans contrainte. Aujourd'hui, les milliards ne veulent plus dire grand-chose. On laisse croire aux Français que toute revendication peut être satisfaite. C'est une véritable pression populaire qui s'exerce sur la dépense désormais, alors que cela devrait être le contraire en sortie de crise. En effet, si les dépenses de l'État devraient diminuer de 40 milliards l'année prochaine du fait de la quasi-disparition de la mission "Plan de relance" , les dépenses pilotables de l'État devraient en revanche augmenter de 11 milliards d'euros en 2022, et sans doute plus compte tenu de ce que vous nous annoncerez dans les jours qui viennent. Il s'agit là des moyens supplémentaires pour la justice, l'intérieur, la recherche. Cette augmentation de 11 milliards est proche du niveau moyen de croissance de dépense de l'État, ce qui amène à s'interroger : pourquoi conserver un niveau de dépense aussi élevé qu'en temps normal, comme si la crise n'avait pas eu lieu ?

S'il est vrai qu'il ne faut pas réduire trop brutalement les dépenses, ce n'est pas pour autant qu'il faut accélérer la hausse des dépenses courantes. Au contraire, il faut privilégier les dépenses d'investissement et éviter les ruptures brutales. On doit bien avouer qu'il y a une part obscure dans l'augmentation de la dépense publique en 2022. Le taux de croissance de la dépense publique, hors mesures de soutien d'urgence et de relance, devrait progresser de 0,8 % en volume l'année prochaine, soit un rythme proche de celui enregistré avant la crise en 2018 et 2019. Toutefois, si l'on regarde de plus près la structure de notre déficit public en 2022, on constate que sur ces 4,8 %, seulement 0,1 % de déficit relève du solde conjoncturel. Chose intéressante, en 2019, dernière année avant la crise, le solde conjoncturel était même un peu plus élevé qu'en 2022. Autrement dit, notre déficit public est aujourd'hui presque à 100 % structurel et est seulement composé de mesures pérennes, ce qui signifie que des choix politiques impactant durablement le solde ont été faits et qu'il sera d'autant plus difficile de revenir en arrière.

Les recettes de l'État, quant à elles, devraient atteindre 311 milliards d'euros en 2022, dont 292 milliards de recettes fiscales, en hausse de plus de 13 milliards par rapport 2021, et ainsi renouer avec leur niveau d'avant crise. Cette année, les recettes fiscales vont même augmenter de 20 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2021. C'est une bonne nouvelle pour les finances publiques, d'autant que la croissance, vous l'avez indiqué, sera plus forte en 2021. Bien qu'insuffisant, ce niveau de recettes limite le déficit, d'autant que la croissance du PIB s'est quasiment réduite de moitié en 2022, passant de 6,25 à 4 %. La prudence est plus que nécessaire aujourd'hui, avec le risque d'avoir une croissance en feu de paille.

Vous mettez aussi en avant la progression du pouvoir d'achat des ménages à un rythme deux fois plus élevé que sous les deux quinquennats précédents. Certes, les Français ont gagné du pouvoir d'achat, ce qui est une bonne nouvelle : alors que la France subissait une récession de 8 %, les Français ont vu leur pouvoir d'achat préservé, voire un peu augmenté en moyenne – et on sait bien que cette moyenne ne couvre pas tous les Français. En revanche, le poids de la dette par habitant à la fin du quinquennat Macron aura été multiplié par près de deux par rapport à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, passant de 28 000 euros par habitant à 44 000 euros. En l'occurrence, les bonnes nouvelles pour le pouvoir d'achat ne font pas les bons comptes publics, d'autant moins que ce regain de pouvoir d'achat n'est visiblement pas perçu par la majorité de nos citoyens. On s'en aperçoit tous les jours quand on parle avec eux : ils estiment que leur pouvoir d'achat a baissé depuis 2017, du fait de l'explosion des coûts de l'énergie et du logement.

Vous devriez envoyer un certain nombre de signaux forts et clairs de restauration de nos finances publiques. Quand allez-vous établir un plan de sauvegarde de nos finances publiques ? Redonnons-nous des repères, et d'abord par l'adoption d'une loi de programmation des finances publiques sincère. Ensuite, nous devons modifier certaines règles, notamment au niveau communautaire, avec les critères de Maastricht devenus tout à fait obsolètes, mais aussi au niveau de la LOLF. Le rapporteur général l'a indiqué, et vous l'avez dit également, monsieur le ministre, il est très important de modifier la LOLF pour éclairer le débat public sur la dépense publique. La logique de moyens doit laisser la place à une logique d'efficacité de la dépense, le volume de dépense ne faisant pas sa qualité. Point très important, je pense que la logique d'investissement doit prévaloir sur la logique de fonctionnement, c'est-à-dire des dépenses courantes. Pourquoi ne pas s'en tenir également à un nouveau principe, selon lequel la dépense doit augmenter deux fois moins vite que la croissance, hors période de crise ?

Mais si les règles doivent bouger, rien ne peut remplacer la volonté politique. Vous devez assumer et annoncer un certain nombre de réformes profondes de notre modèle social et de notre modèle de dépenses.

Dépenser n'est pas réformer. Or ce PLF est bien plus l'expression de dépenses que de réformes. La croissance est au cœur de votre discours, mais la maîtrise de la dépense publique devrait l'être tout autant. Parce que le Président d'aujourd'hui engage le Président de demain, pouvez-vous nous dire comment vous envisagez de rétablir durablement les finances de notre nation ?

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