La réunion

Source

La commission procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, chargé de la politique industrielle, du tourisme, du numérique, de l'audiovisuel, des industries de la défense et de l'espace.

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.

La séance est ouverte à 16 h 40.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous avons l'honneur et l'immense intérêt de recevoir M. Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, chargé de la politique industrielle, du tourisme, du numérique, de l'audiovisuel, des industries de la défense et de l'espace.

Monsieur le commissaire, vous avez mené une carrière brillante, d'abord dans le monde des affaires – vous avez dirigé de grands groupes tels que Bull, Thomson Multimédias, France Télécom, Atos –, mais aussi dans les affaires publiques. Je rappelle ainsi que vous avez été ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de 2005 à 2007. Vous avez été classé à trois reprises, en 2010, 2017 et 2018 parmi les cent dirigeants d'entreprise les plus performants au monde par la Harvard Business Review. Vous avez ensuite été désigné en octobre 2019 pour siéger à la Commission européenne qui achève son mandat, dont vous êtes l'un des membres les plus éminents.

Il m'a paru utile et pertinent de prendre le temps de faire un bilan de toutes les actions et avancées réalisées depuis 2019 dans les secteurs, nombreux et essentiels, dont vous avez la responsabilité. Vous avez la charge d'un ensemble considérable de dossiers stratégiques liés à cette notion très particulière de souveraineté. Nous la redécouvrons très complexe, parce qu'il faut l'entendre essentiellement comme ce que le général de Gaulle appelait l'indépendance. Au sens juridique, la souveraineté est une autorité qui n'est liée que par elle-même. On ne peut pas dire que l'Union européenne (UE) soit, de ce point de vue-là, souveraine, puisqu'elle ne dispose que de compétences d'attribution. En revanche, la conception politique de la souveraineté européenne est l'indépendance de l'Europe, qui doit effectivement échapper à toutes les contraintes qui pèsent sur elle.

Lorsque l'on se retourne sur vos cinq années d'activité à Bruxelles, on ne peut qu'être saisi de vertige par l'ampleur de vos initiatives. Depuis votre prise de fonction, votre agenda s'est concentré sur l'élaboration d'une stratégie industrielle multisectorielle, l'affirmation de l'autonomie stratégique de l'Union et de ses États membres dans un contexte de nombreuses crises pointant l'émergence de ce que vous-même avez appelé une « ère géopolitique des chaînes de valeur ».

Je crois que l'on peut raisonnablement affirmer que votre action s'est trouvée à la charnière de tous les débats structurants qui animent aujourd'hui l'Union européenne, comme l'a illustré le dernier Conseil européen des 17 et 18 avril, qui a notamment débattu de l'enjeu capital de la compétitivité de l'Union et de l'avenir du marché intérieur sur la base du rapport de M. Enrico Letta, que cette commission recevra prochainement à ce sujet.

Au cours de votre mandat, vous avez été notamment chargé, lors de la pandémie de la Covid-19, de l'approvisionnement du continent européen en vaccins performants. Notamment grâce à votre implication personnelle, nos pays ont pu être fournis dans des délais excellents, ce qui a permis d'accélérer la sortie de crise. Dans le secteur du numérique, vous avez engagé la révision de la directive sur le commerce électronique et vous êtes ainsi à l'origine du Digital Markets Act (DMA) sur les règles de la concurrence dans le commerce en ligne et du Digital Services Act (DSA), qui précise les responsabilités dans la diffusion des contenus en ligne. Dernièrement, vous avez joué un rôle majeur dans l'aboutissement de la future législation européenne sur l'intelligence artificielle (IA), en vous efforçant de trouver le juste équilibre entre innovation et régulation.

Défenseur de la souveraineté européenne au sens où je le précisais précédemment, vous avez contribué activement à l'élaboration du règlement européen sur les semi-conducteurs, le Chips Act et mis sur pied un plan destiné à réduire notre dépendance en la matière à l'égard de l'Asie, afin que 20 % du marché mondial soit produit sur notre continent à l'horizon 2030. Vous avez notamment annoncé que l'UE allait investir plus de 100 milliards d'euros à cet effet. Depuis l'agenda de Lisbonne, qui n'a jamais été honoré, nous nous méfions des annonces mais sommes quand même très conscients des efforts que vous menez et nous nous associons à l'espoir que vous formulez dans le contexte de la guerre en Ukraine. Vous êtes à l'origine de mesures concrètes pour bâtir une économie de guerre et accélérer l'acquisition conjointe de munitions, notamment d'obus de 155 millimètres.

Deux législations importantes mais temporaires ont ainsi vu le jour, grâce à vous : d'une part, l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (EDIRPA) ; d'autre part, l'action de soutien à la production de munitions (ASAP). Malheureusement, la situation sur le terrain appelle à intensifier les efforts en la matière et vous pourrez certainement nous livrer votre analyse à ce sujet, que nous ressentons quand même très profondément comme une forme de procrastination systématique, qui n'est pas le fait de la Commission mais des États membres. Ainsi, nous ne comprenons pas comment nous sommes, plus de deux ans après le déclenchement de la guerre en Ukraine, toujours dans l'incapacité de fournir à nos amis ukrainiens les moyens de se défendre efficacement. De leur côté, les États-Unis n'ont pas connu tant de tergiversations politiques. Nous sommes très attentifs aux explications que vous pourrez nous donner sur ce défaut, qui est un défaut collectif de l'Union et non un défaut particulier de la Commission européenne.

Dans le prolongement de cette première étape, le 5 mars dernier, vous avez présenté la nouvelle stratégie de défense industrielle de l'Union européenne, encourageant les États membres à acquérir, d'ici 2030, 40 % de leurs équipements de défense de manière collaborative et à commander la moitié de leurs armements auprès de l'industrie européenne. Nous espérons que vous pourrez ici nous détailler cette démarche ambitieuse de mutualisation des efforts.

Je pourrais multiplier à l'envi les illustrations de toutes les réalisations à mettre à votre crédit. Tout me semble guidé par un fil rouge qui est le nôtre : le souci de l'intérêt général européen et la volonté de préparer l'UE à affronter ses rivaux. Nous sommes passés d'une Union qui était éperdue d'exemplarité universelle à une UE qui est consciente de la nécessité de renforcer sa défense si elle veut défendre l'universalité de ses valeurs. Vous êtes, à bien des égards, le symbole et l'agent de cette mutation.

En Européen convaincu, je vous exprime ici ma grande satisfaction de vous savoir parmi nous, ma reconnaissance pour votre action passée et mon espoir de vous voir sous une forme ou sous une autre, pouvoir continuer cette action que je crois très bien inspirée.

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur

Je vous remercie de m'accueillir au sein de votre commission aujourd'hui. Dans mes propos liminaires, je vais m'efforcer de m'inscrire dans une démarche holistique, en essayant ensuite de répondre à certaines des interrogations que vous avez soulevées dans vos mots d'accueil, monsieur le président. Je me concentrerai sur trois aspects de mon portefeuille : l'aspect purement industriel, l'aspect numérique et l'aspect relatif à la défense.

Tout d'abord, le commissaire au marché intérieur est à la fois le commissaire de l'industrie, de l'économie et des grandes et petites entreprises. Trois directions générales sont sous ma responsabilité : la direction générale du marché intérieur (DG Grow), la direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies (DG Connect) et la nouvelle direction chargée de soutenir la compétitivité et l'innovation de l'industrie européenne de la défense (DG Defis).

À mon arrivée, j'ai commencé à réorganiser la DG Grow, dans la mesure où le marché intérieur était structuré autour de la direction des petites et moyennes entreprises (PME) – 94 % des entreprises européennes sont des PME – et de directions sectorielles – automobile, aéronautique, commerce, tourisme. J'ai donc souhaité adopter une approche fondée sur quatorze écosystèmes industriels, avec des secteurs au sens large. Par exemple, l'écosystème automobile est non seulement composé des quatre ou cinq grands groupes européens mais également les dizaines de milliers de sous-traitants qui le composent – soit dix-huit millions d'emplois directs et indirects –, les universités, les centres de recherche.

Au cours des cinq dernières années, nous nous sommes engagés dans une triple transition : la transition verte, la transition numérique et une nouvelle transition qui intègre une la notion de résilience, afin d'être stratégiquement plus autonomes. Vous avez eu raison, monsieur le président de souligner la subtilité de la notion de souveraineté, qui est perçue différemment en France, au Portugal, en Lituanie, en Estonie ou en Allemagne. Cette autonomie stratégique a pour objet de définir son destin soi-même.

Ensuite, le marché intérieur tel qu'il est organisé en Europe, sans frontières ni barrières, constitue une chance. Parfois, des barrières artificielles sont réinstaurées au gré de circonstances exceptionnelles comme cela fut le cas lors de la crise du coronavirus, afin de nous protéger contre ceux qui ne voulaient pas donner les masques ou bloquer les vaccins. Nous sommes aujourd'hui le premier marché au monde, qui représente 16 000 milliards d'euros de produit intérieur brut (PIB), ce qui attise naturellement les convoitises. Nous sommes ouverts mais, désormais, à nos conditions, comme j'ai voulu l'établir dès mon arrivée.

Sur les produits classiques, il existe des conditions de santé, de sécurité, des conditions normatives pour protéger les consommateurs. Il existe également d'autres conditions parce que certains types d'usages, de comportements, de produits ou de services peuvent comporter des risques et qu'il importe de pouvoir les organiser, afin de disposer d'un vivre ensemble compatible avec nos valeurs européennes.

Ce grand marché intérieur nous permet d'exercer des rapports de force avec nos partenaires. À ce titre, il me semble essentiel de souligner que nous sommes heureusement entrés dans l'ère de la fin de la naïveté. En effet, j'ai le sentiment que l'Europe, telle qu'elle s'est construite lors des soixante-dix dernières années, a été marquée par une forme de naïveté, en se focalisant sur le consommateur roi au détriment, finalement, de l'entreprise et des industries. Il est également vrai que nos amis britanniques ont beaucoup contribué à cette vision des choses.

Leur départ, que je regrette, a néanmoins permis d'ouvrir une brèche dans laquelle je me suis engouffré pour rebâtir cette capacité d'exercer des rapports de force équilibrés avec les pays et zones qui interagissent avec nous. Il peut s'agir de nos alliés, dont les États-Unis, qui ont de leur côté mis en place l' Inflation Reduction Act (IRA). Cette dynamique, qui avait déjà été enclenchée par Barack Obama, a été intensifiée par Donald Trump et poursuivie par Joe Biden. La Chine et la Russie, avec qui nous interagissions avant le conflit en Ukraine, opèrent aussi dans cette logique de rapports de force. Désormais, nous établissons clairement nos conditions et règles de réciprocité.

Les crises que nous avons connues les unes après les autres et qui, par définition, n'étaient pas anticipées, nous ont finalement appris à accélérer et amplifier cette notion d'autonomie stratégique. Lorsque j'étais en charge des vaccins, il a fallu accroître la capacité de notre outil industriel pour produire les vaccins ARN – à acides ribonucléiques. Cet épisode a permis de mettre en lumière l'importance des chaînes de valeur, notamment durant les crises.

Ces rapports de force ont notamment concerné ceux avec les États-Unis. Ainsi, des usines implantées sur le territoire américain appartenant intégralement à des entreprises européennes fabriquaient des vaccins ou des composants critiques. Jeff Zients, le coordinateur chargé de la réponse à la Covid-19 à la Maison Blanche, m'a un jour informé que le président Biden avait pris un executive order aux termes duquel les États-Unis bloquaient toutes les exportations tant que l'immunité collective ne serait pas atteinte. Je me suis alors retourné vers mes collègues du collège des commissaires et, après une discussion assez intense, nous avons décidé de mettre en œuvre des mesures miroir et nous avons bloqué des cargaisons à destination des États-Unis dans le port de Rotterdam. Finalement, les deux parties sont parvenues à un accord pour rouvrir les chaînes de valeur.

Cet exemple illustre bien ce que j'appelle la « nouvelle géopolitique des chaînes de valeur ». Nous vivons dans un monde qui ne va pas se fermer lui-même mais dans lequel les rapports de force seront de plus en plus prononcés entre les intérêts stratégiques des continents ou des pays continents. Le même phénomène est à l'œuvre en matière de transition verte ou de transition numérique, au sujet notamment des composants critiques des terres rares. Nous avons désormais cartographié les composants critiques dont l'Europe a besoin et nous agissons pour faire en sorte que ces chaînes de valeur restent ouvertes, quoi qu'il arrive.

Dans ce cadre, je me suis efforcé d'agir à partir de règlements plutôt que de directives, qui sont plus lentes à mettre en œuvre et rendent l'harmonisation et l'homogénéité du marché intérieur plus difficiles. Dans le domaine des semi-conducteurs, le Chips Act nous permet d'ambitionner de fabriquer sur notre continent plus de 20 % de la production mondiale, grâce à soixante-sept projets identifiés, soit 100 milliards d'euros d'investissement, dont une grande partie d'origine privée. Nous allons reconquérir une autonomie plus importante, non pas pour fabriquer tous les composants mais, une fois encore, pour améliorer notre rapport de force et ne plus être dépendants uniquement d'un fournisseur, notamment Taïwan s'agissant des semi-conducteurs. Nous menons par ailleurs la même démarche dans le monde de la santé. Grâce à nos écosystèmes industriels, nous avons progressé en travaillant ensemble, en créant des alliances bâties sur des partenariats, des concertations et des discussions.

Le deuxième volet de mon portefeuille concerne le marché intérieur numérique, qui n'existait pas lorsque j'ai pris mes fonctions. À l'époque, il y avait vingt-sept marchés numériques intérieurs et vingt-sept régulateurs. À juste titre, il est souvent rappelé que l'Europe a raté la première révolution des données, celle des données personnelles, qui a permis l'émergence, entre 2000 et 2010, des fameux GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon –, qui n'ont pas correspondu à des développements extraordinaires d'un point de vue scientifique : Facebook a été créée par un étudiant de première année à Harvard et consistait en une forme d'annuaire pour mettre en relation des personnes mais l'entreprise a rencontré le succès retentissant que nous connaissons car elle a immédiatement pu s'adresser à un marché unifié de 330 millions de consommateurs.

En conséquence, l'un des objectifs importants que j'ai poursuivis a consisté à donner les outils et moyens pour construire enfin un marché intérieur numérique globalisé avec des mêmes règles pour tous. Cet espace informationnel permet de créer de l'innovation, des valeurs, des richesses, en générant un nombre de données absolument incalculables, bien plus nombreuses que celle de la première vague. Je pense notamment aux données industrielles issues de l'activité humaine, de la mobilité, des entreprises et des usines qui génèrent des zettabytes de données.

Ces données doivent naturellement être organisées, structurées, attribuées et il s'agit de déterminer comment les partager et y avoir accès. Il s'agit tout simplement de créer des règles de droit dans cet espace numérique. Cette démarche s'est d'abord fondée sur le Data Governance Act, qui porte sur les données publiques. Désormais, il existe un règlement identique pour les Vingt-sept. Ensuite, le DMA a eu pour objet d'organiser des règles de concurrence normale pour éviter la création de monopoles, sur le modèle de ce qui existe dans l'espace physique : l'objectif consiste ici à empêcher les effets d'éviction, notamment des très grandes plateformes. Le DSA a par la suite été établi pour organiser la vie sociale, c'est-à-dire transposer dans l'espace numérique les règles de base existant dans notre espace physique.

À ce titre, l'Europe constitue aujourd'hui le premier marché numérique du « monde libre », soit une fois et demie le marché américain. Nous organisons la supervision des plateformes lorsqu'elles sont systémiques, sur le modèle de la supervision bancaire : les banques systémiques sont régulées au niveau européen, les autres le sont au niveau national.

Nous avons ensuite mis en place le Data Act, qui permet de gérer l'attribution des données. À ce sujet, je tiens à rappeler que ces dispositions n'émanent pas de décisions unilatérales de la Commission, elles sont prises au terme d'une procédure démocratique, au niveau européen. Nous disposons en effet d'un système bicaméral pour organiser la vie de notre continent européen, qui présente en ce sens des similarités avec le système américain. Le Parlement européen représente les peuples, à l'image de la Chambre des représentants aux États-Unis, et le Conseil européen représente les États, soit l'équivalent du Sénat américain. Pour sa part, la Commission ne fait que proposer des textes de loi, dont le Parlement et le Conseil s'emparent, pour les amender et les voter. Dans ce cadre, la navette parlementaire a pour nom le « trilogue », qui permet d'harmoniser les propositions pour ensuite aboutir à un texte unifié, qui est voté de façon identique dans les deux chambres. En résumé, le fonctionnement européen ne réside pas dans une technocratie mais repose sur une démocratie.

Le domaine de l'intelligence artificielle a fait l'objet d'une loi – l' AI Act – qui constitue un cas d'étude intéressant. La Commission avait proposé une législation uniquement fondée sur le risque, et plus précisément sur quatre risques sur lesquels il fallait établir des garde-fous. Le premier concerne l'interdiction du social scoring, un système de notation des entreprises et citoyens qui est en vigueur en Chine. L'interdiction concerne également l'utilisation de l'intelligence artificielle pour le recrutement ou dans la santé. Un certain nombre de précautions doivent également être prises lorsque l'on entraîne les modèles. Face à ces propositions de régulation fondées sur le risque, le Parlement a ajouté une dimension concernant les modèles très larges : les modèles de fondation et d'intelligence artificielle générative. Aujourd'hui, nous disposons enfin d'un espace informationnel totalement harmonisé : un espace numérique intérieur globalisé, qui offrira des perspectives très importantes pour le développement des activités.

Le troisième grand pan de mon portefeuille porte sur un sujet absolument essentiel, la défense, au niveau européen. Ce sujet est débattu depuis des décennies, depuis 1954 et le projet de communauté européenne de défense (CED), à l'époque ou M. Mendès-France était président du conseil de la IVème République. Je ne suis pas le commissaire à la défense mais le commissaire de nos industries de défense. La défense en tant que telle demeure entre les mains des États membres. En revanche, il est possible d'agir en matière d'interopérabilité et de production commune.

Une première pierre a été posée par le Fonds européen de défense, qui permet désormais d'investir en commun dans des applications de recherche et de développement en matière de défense. Pour pouvoir en bénéficier, quatre pays au minimum doivent s'associer et nous créons des synergies entre les États pour faire participer des entreprises, dont des PME – entre 20 % et 30 %. Malgré les « dividendes de la paix », l'Europe a réussi à préserver ses industries de défense. Désormais, nous disposons d'une vue globalisée et, pour la première fois, une autorité politique européenne peut voir ce qu'il se passe dans toutes les usines d'armement du continent, quand auparavant elles étaient jalousement cachées par chaque pays. Désormais, je peux m'y rendre, en compagnie du ministre de la défense du pays concerné. À ce titre, je me permets de nuancer les propos du président Bourlanges concernant les industries de défense : nous sommes allés beaucoup plus vite que les États-Unis en ce qui concerne les prises de décision.

Ainsi, la dernière décision américaine consistant à fournir 61 milliards de dollars d'équipements à l'Ukraine a nécessité dix-huit mois avant d'aboutir, dans la mesure où le système démocratique américain fonctionne moins bien que le système démocratique européen en ce moment. De notre côté, nous avons pris les décisions beaucoup plus rapidement et je vous avoue que je ne m'y attendais pas. Je rappelle qu'un engagement a été pris en mars 2023 de fournir un million de gros obus de 155 millimètres – format de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) – et de 152 millimètres – l'ancien format soviétique.

Nous avons réussi à préserver en Europe la quasi-totalité de tout ce dont nous avons besoin en matière de défense. Nous savons tout fabriquer en Europe : des porte-avions, dont des porte-avions nucléaires ; des missiles hypersoniques, sol-sol ou sol-air ; des sous-marins, dont des sous-marins nucléaires ; les meilleurs avions du monde. Si la capacité de production a été diminuée, le savoir-faire et les usines existent. L'enjeu consiste donc, désormais, à augmenter cette capacité de production le plus rapidement possible.

Il s'agit non seulement de fournir à l'Ukraine les matériels dont elle a besoin pour se défendre mais également d'augmenter nos investissements en matière de défense. Désormais vingt-trois pays sur les Vingt-sept sont membres de l'OTAN, dont les deux derniers : la Suède et la Finlande. Tous ont pris enfin la décision de consacrer 2 % de leur PIB à leurs dépenses de défense, soit 140 milliards d'euros supplémentaires par an, à rajouter aux dépenses déjà existantes pour finalement atteindre en cumulé 400 milliards de dollars. Ce montant doit être comparé aux 64 milliards que la Russie y a consacrés l'année dernière.

Naturellement, nous souhaitons que ces investissements bénéficient de plus en plus à nos propres usines, qui doivent être aidées pour changer de paradigme, c'est-à-dire ne plus attendre d'avoir des commandes pour commencer à produire et travailler de plus en plus comme une industrie plus classique. Les États-Unis peuvent répondre plus rapidement aux besoins car ils sont dotés d'un mécanisme concernant les ventes militaires à l'étranger – le Foreign Military Sales ou FMS – : lorsque le gouvernement américain passe une commande, il réserve également un pourcentage en stocks, pour donner plus de profondeur à son industrie de défense et avoir la capacité de fournir et vendre aux pays qui pourraient en avoir besoin. Nous nous inspirons désormais de ce modèle, appelé defense readiness.

Par ailleurs, l'engagement avait a été pris de fournir à l'Ukraine un million de munitions entre mars 2023 et mars 2024. À cette occasion nous avons visité des centaines de sites existants en Europe. Le Parlement européen nous confié à une très grande majorité – à 80 % – une enveloppe de 500 millions d'euros pour sélectionner les sites les plus critiques, les plus importants, y compris dans la chaîne de valeur. Il s'agit là d'une première. Pour la première fois de son histoire, le Parlement européen a émis un vote pour donner à la Commission des moyens permettant à mes équipes de financer, en amont, l'outil industriel et d'être capables de monter en gamme. Nous avons retenu trente-et-un sites industriels dans treize États membres.

Lorsque j'ai débuté ce travail, en mars 2023, les États-Unis avaient une capacité de production de 300 000 obus par an. De notre côté, nous n'avions plus anticipé de guerres de haute intensité sur nos propres territoires. En dix mois, entre mars 2023 et janvier 2024, nous sommes parvenus à augmenter la capacité de production annuelle à un million d'obus, que nous avons fournis à l'Ukraine, selon trois mécanismes.

D'abord, nous avons utilisé la facilité européenne de paix, permettant à l'UE d'acheter ou de cofinancer pour moitié les munitions qui sont envoyées en Ukraine, en compagnie des États membres volontaires. Le deuxième mécanisme concernait les donations bilatérales, qui ont été particulièrement notables de la part des pays à proximité immédiate des théâtres d'opérations ou de la Russie. Enfin, l'Ukraine a acheté sur notre base industrielle, comme elle le fait ailleurs, notamment en Corée du Sud.

Notre objectif consiste aujourd'hui à augmenter la production de notre base industrielle lors des dix mois à venir et de la doubler pour atteindre deux millions d'obus chaque année et d'en fournir à l'Ukraine. Sur ce segment, nous sommes passés en « économie de guerre », en augmentant la taille des équipes, en créant des stocks communs, notamment pour les composants les plus critiques comme la poudre ou le trinitrotoluène (TNT). Si cette production demeure insuffisante et doit être accélérée, la mécanique est néanmoins lancée. Dans ce domaine, les États-Unis sont assurément très en retard par rapport à nous.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour ce propos liminaire très éclairant et cède la parole aux orateurs des groupes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Depuis 2017, l'Europe s'est profondément transformée au gré de crises historiques : le Brexit, la pandémie mondiale, le retour de la guerre sur le continent, l'accélération des transitions numériques et climatiques.

Ces crises ont révélé nos dépendances et ont démontré l'impérieuse nécessité d'une souveraineté européenne et d'une autonomie stratégique accrue. Grâce à votre action et sous l'impulsion du président de la République, l'Europe a opéré des transformations majeures, comme l'unité financière pour sortir par le haut de la pandémie, les fondations d'une souveraineté technologique et industrielle, la capacité à penser, préparer, planifier la transition écologique et numérique, ou encore la faculté à protéger nos frontières avec le pacte sur la migration et l'asile.

En tant qu'Européens, ces évolutions doivent nous rendre fiers du travail accompli. Il reste toutefois de nombreux défis à relever. Lors de son discours sur l'Europe prononcé à la Sorbonne le 25 avril dernier, le président de la République a présenté une vision de l'Europe à l'horizon 2030, avec la volonté d'accélérer nos réformes afin de bâtir à la fois « une Europe puissante, une Europe de la prospérité et une Europe humaniste ».

En dehors des questions essentielles liées à l'Europe de la défense, à la politique industrielle de l'UE ou encore au programme spatial européen, je souhaite revenir sur le sujet de la régulation de l'espace numérique. Ici même, à l'Assemblée nationale, nous avons adopté une proposition de résolution le 4 décembre dernier sur la défense des démocraties face aux multiples menaces et tentatives de déstabilisation. Ces ingérences touchent directement notre pays à travers les différentes fake-news propagées par la Russie de Vladimir Poutine sur internet, comme sur les réseaux sociaux. L'objectif de Moscou consiste clairement à déstabiliser nos démocraties et influer sur les élections, comme nous l'avons vu à l'occasion des dernières élections législatives en Slovaquie fin 2023.

À l'occasion de la seizième édition du forum InCyber, vous êtes revenu sur les grandes étapes de la construction de l'espace intérieur informationnel en Europe. Notre continent étant le premier marché numérique au monde, pouvez-vous nous détailler le plan d'action européen en la matière, et plus spécifiquement le volet qui concerne les ingérences étrangères ?

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

La régulation du numérique constitue un enjeu majeur dans toutes ses composantes, y compris évidemment la composante cyber. À ce titre, les ingérences font partie de l'arsenal utilisé en permanence, au quotidien, par la Russie contre nos démocraties et le projet européen. J'ajoute que cet arsenal ne date pas d'aujourd'hui : je l'ai vécu avant la guerre en Ukraine, dans toutes mes fonctions, avant même que je sois commissaire. Je ne vous apprendrai rien en vous indiquant que ces ingérences se traduisent effectivement par des actions de désinformation, notamment en période électorale, et l'attaque de nos démocraties. Nous savons aujourd'hui le rôle majeur que ces désinformations et manipulations ont joué dans le processus électoral qui a conduit au Brexit.

Ces ingérences se traduisent également par l'utilisation de migrants à la frontière entre la Russie et l'Estonie qui s'étend sur 600 kilomètres, ou à celle entre la Russie et la Finlande, longue de 1 340 kilomètres. Il est en effet évident que Vladimir Poutine emploie « l'arme migratoire » pour nous déstabiliser, en envoyant ces malheureux migrants à travers les forêts.

S'agissant spécifiquement de la désinformation, et en particulier en période électorale, nous disposons désormais de règles. Elles concernent d'abord les plateformes systémiques, ces très grands opérateurs qui jouent un rôle important sur le continent européen. À titre d'exemple, j'ai lancé aujourd'hui une procédure contre Meta pour évaluer des infractions potentielles, compte tenu des doutes très clairs pesant sur l'utilisation de cette plateforme par des acteurs non européens, dans le but de désinformer dans le cadre des élections.

Une même démarche a été lancée à l'encontre de Tiktok, au titre de très fortes suspicions d'actions similaires. La semaine dernière, nous avons par ailleurs lancé une injonction à la nouvelle plateforme TikTok Light.

La loi nous permet désormais de pouvoir agir au niveau continental face à toutes les plateformes. Par délégation des colégislateurs, les plateformes systémiques sont aujourd'hui supervisées par mes services : 169 collaborateurs y travaillent désormais spécifiquement. De leur côté, les plateformes non systémiques continuent à être régulées par les régulateurs nationaux. Nous disposons également de sanctions, qui peuvent aller jusqu'à 6 % du chiffre d'affaires mondial.

Si ces sanctions ne sont pas suivies d'effets, le juge saisi par l'ensemble des régulateurs peut décider de la suspension temporaire ou définitive de la plateforme, tant que ces problèmes ne sont pas résolus.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous disposons d'une expertise pour construire des porte-avions – même s'ils sont parfois un peu courts – et des avions, même s'il est dommage que certains pays européens préfèrent les acheter aux Américains.

Selon Charles de Gaulle, « Il est intolérable à un grand État, que son destin soit laissé aux décisions et à l'action d'un autre État, quelque amical qu'il puisse être. Il faut que la défense de la France soit française ». Le 12 octobre 2022, Emmanuel Macron a affirmé qu'en cas d'attaque nucléaire sur l'Ukraine, la France ne déclencherait pas d'attaque balistique nucléaire en retour. Quelques mois plus tard, il affirmait vouloir partager la dissuasion nucléaire avec l'Union européenne, ouvrant la possibilité d'une réaction nucléaire avec les armes françaises sans que les intérêts vitaux français ne soient menacés, se contredisant donc au passage. Monsieur le commissaire, comment percevez-vous le fait que le président de la République enclenche de cette façon l'asservissement de l'arme nucléaire française ?

Ensuite, le président de la République a annoncé, le 18 avril dernier, être en faveur d'une union des marchés de capitaux à l'échelle européenne. Cette annonce a fait suite à la présentation à Bruxelles d'un rapport sur le marché unique de l'UE, qui devrait être complété par un rapport sur la compétitivité des Vingt-sept, afin de proposer une vision globale du sujet. Si ces propositions sont réalisables sans modifier les traités et permettent à l'UE de concurrencer économiquement la Chine, l'Inde et les États-Unis, elles tendent à effacer à nouveau les particularités de chaque pays. Cette union des marchés de capitaux supposerait un aplanissement des réglementations, un accroissement des accords commerciaux et une réduction des barrières fiscales. Comment continuer à protéger nos commerçants français et nos entreprises françaises, d'autant plus que la création de ce marché devrait coûter, selon Le Figaro, près de 700 milliards d'euros par an. Pourriez-vous nous éclairer davantage sur ce concept et nous expliquer pourquoi celui-ci implique de telles dépenses annuelles pour rendre concurrentes des entreprises européennes et non nationales ?

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

Je partage avec vous l'idée qu'il est effectivement préférable d'acheter français ou européen plutôt qu'américain. Cependant, nous sommes confrontés simultanément à la réalité de la guerre sur notre continent, qui implique d'agir vite. C'est la raison pour laquelle je lutte tous les jours pour augmenter notre disponibilité, y compris avec le mécanisme inspiré du FMS, évoqué précédemment, qui nous permettra d'acheter français et européen.

Pour le reste, seul le président de la République est en mesure d'engager le feu nucléaire. Il est donc le seul habilité à en parler. En 2020, puis en 2022 à Toulon et la semaine dernière à la Sorbonne, il a rappelé que l'usage de l'arme nucléaire peut être engagé si les intérêts vitaux de la nation sont menacés. Or ceux-ci comportent une dimension européenne. En revanche, il n'a jamais dit qu'il voulait partager, ni la décision qui appartient à lui seul, ni même le financement.

S'agissant du troisième volet de votre question, le président de la République m'avait invité à y répondre implicitement par le rapport que l'ancien premier ministre italien Enrico Letta a remis il y a quinze jours. Ce rapport souligne à juste titre que pour avoir un marché intérieur de plus en plus homogène, il est nécessaire de disposer d'un marché des capitaux plus globalisé et unifié. Celui-ci doit permettre notamment aux start-ups et PME de pouvoir se financer, en bénéficiant de la profondeur offerte par les 450 millions de consommateurs européens. Les États-Unis en font de même avec leur marché de 330 millions d'habitants, au même titre que la Chine et sa population de 1,4 milliard d'habitants.

Le sens de nos propositions est plus nuancé que les craintes que vous avez pu formuler. Celles-ci portent sur la supervision commune au niveau européen et l'harmonisation des lois sur les faillites. Ces propositions ont vocation à être discutées ; nous en sommes pour le moment au stade préparatoire. En résumé, l'objectif consiste à bénéficier d'un marché des capitaux plus harmonisé et plus européanisé, au sens global du terme, pour permettre à notre épargne d'être investie sur notre continent, quand aujourd'hui 330 milliards d'euros quittent chaque année les États de l'UE pour être investis sur le marché américain.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La question de la souveraineté est certes complexe mais elle n'est pas seulement une vision du monde et une manière de choisir les termes de notre interdépendance. Elle est également une affaire d'enjeux très matériels et très concrets. La Banque centrale européenne (BCE) travaille sur un projet d'euro numérique, dont nous voyons mal les contours. Au-delà des interrogations sur l'opportunité d'une telle monnaie, cette monnaie – contrairement à ce que pensent les monétaristes et néolibéraux qui ont malheureusement trop d'influence dans l'UE – est un instrument de souveraineté, et même parfois une arme géopolitique. À ce titre, il n'est pas innocent que le président Biden en personne ait pris en main le dossier du dollar digital aux États-Unis.

Je m'étonne du fait que, dans la phase test de cet euro numérique, la BCE ait pu sélectionner sans débat Amazon parmi les entreprises qui font partie des solutions de paiement. Dès lors, tout ou partie des données de paiement serait traité par un des GAFAM, impliquant des risques en matière de souveraineté. Interrogé ici même il y a un an, l'ancien directeur de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) avait répondu qu'il s'agissait d'un scandale, ajoutant que pour un certain nombre de partenaires européens, la notion de souveraineté est un gros mot. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'état de ce projet ? Quand le politique sera-t-il saisi ? Entend-on toujours garder Amazon pour tout ou partie de la mise en œuvre de cette euro numérique ? Pouvez-vous nous rassurer sur le fait que nous sortirons finalement de cette aberration ?

Enfin, vous avez parlé du Fonds européen de défense pour l'achat de matériels militaires. Nous savons très bien qu'en l'absence de préférence européenne, les achats se porteront mécaniquement sur des matériels américains. Or l'Allemagne et la France sont en désaccord sur ce sujet. Où en sommes-nous ?

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

Je commencerai par répondre à votre deuxième question, qui est plus proche de mon portefeuille. Le Fonds européen de défense est dédié à la recherche et au développement amont. Les produits européens sont ainsi développés en commun, avant d'être mis sur le marché. Il peut s'agir de missiles, de cyber-sécurité, de produits d'observation, soit les instruments les plus technologiques qui concourent à la défense. S'agissant des achats, il n'y a pas de débat à partir du moment où la disponibilité est bien réelle. Comme je le disais précédemment, nous savons tout faire mais nous sommes trop lents. Dès lors, il est impératif d'accroître notre capacité industrielle, laquelle concerne également les Allemands, qui sont en train de devenir un acteur important de l'industrie de défense, à l'image des entreprises Rheinmetall ou Diehl Stiftung. Naturellement, la faculté à pouvoir acheter européen concourt à notre souveraineté et à notre autonomie. Cette préoccupation est aujourd'hui très partagée en Europe, à plus forte raison dans la perspective des élections américaines. Des pays plus atlantistes comme les pays nordiques ou les pays baltes sont maintenant tous convaincus de cette nécessité.

Ensuite, je pense, comme vous, que la monnaie est un élément de souveraineté, raison pour laquelle nous n'avons pas voulu la laisser aux plateformes. Je fais partie de ceux qui luttent afin que les plateformes ne puissent pas battre monnaie, ni ne puissent vous donner votre certificat d'identité. À ce titre, nous promouvons le projet d'une identité numérique européenne. Des études sont en cours concernant l'euro numérique, le digital devant nous permettre de renforcer notre souveraineté en offrant par exemple une alternative européenne aux entreprises Visa et Mastercard, qui sont aujourd'hui en situation de monopole sur une très grande partie des paiements, sur lesquelles elles prélèvent leur dîme. Benoît Cœuré a notamment travaillé sur cette question et a produit un rapport remis à la BCE. S'agissant d'Amazon, la situation est désormais plus normalisée. Nous sommes extrêmement attentifs et je suis absolument convaincu qu'il n'y aura aucun risque que les données numériques de nos concitoyens européens quittent le territoire européen. J'ai personnellement mené ce combat. Tant que je serai commissaire, j'y veillerai.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Confirmez-vous qu'Amazon ne fera pas partie du processus ?

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

Je n'ai pas affirmé cela, dans la mesure où je ne suis pas responsable de cette question, comme je vous l'ai indiqué. Elle relève de la BCE. En revanche, je sais que des garde-fous ont été établis.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le commissaire, vous avez à juste titre parlé de vos satisfactions dans le cadre du portefeuille extrêmement large qui a été le vôtre. Quels sont les domaines où vous avez le sentiment que nous avons été insuffisamment fermes dans les rapports de force ? Quels sont vos regrets ?

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

Il s'agit d'une excellente question. Nous avons déjà évoqué la question de la mise en place d'un espace informationnel européen, afin de disposer d'un marché unifié et de bénéficier de profondeur, mais il manque encore une infrastructure pour servir de support à ces services. Je le dis sans détour : nous ne sommes pas à la hauteur de ce qui sera nécessaire en 2030. Nous sommes très en retard dans le déploiement des réseaux, de la fibre ou de la 5G.

De la même manière, nous sommes en retard en matière de régulation, la dernière en date remontant à 2000. À l'époque, les opérateurs historiques de télécommunications devaient ouvrir à la concurrence le marché des infrastructures, qui étaient alors essentiellement composées de réseaux de cuivre. Désormais, la notion de réseau est bien complexe, en raison de l'évolution de la technologie, qui permet de placer des supercalculateurs dans les nœuds de réseau, et propose la fibre, le satellite ou d'autres services. Nous avons donc mené une très large consultation, pendant près d'un an, auprès de toutes les parties prenantes : les opérateurs de télécommunications, les fournisseurs de technologies, les consommateurs, les industries. Je leur ai demandé de m'aider à construire une vision commune, une infrastructure en matière de réseaux pour pouvoir faire face aux milliards de données que nous allons générer quotidiennement, les stocker, les exploiter. Les résultats de ces réflexions figurent désormais dans un Livre blanc, qui a été produit il y a près de deux mois.

Désormais, la vision est partagée et il importe d'engager le travail législatif. Je souhaite que la prochaine Commission européenne s'empare au plus vite du projet et je suis très heureux que, dans son rapport, Enrico Letta ait repris trois dimensions pour accroître la compétitivité du marché intérieur : le marché des capitaux unifiés, un nouveau marché des télécommunications – le cas échéant avec des adaptations de la régulation – et un marché beaucoup plus harmonisé en matière d'énergie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le commissaire, vous avez suggéré au début de l'année que la prochaine Commission européenne soit chargée de mettre en œuvre un vaste fonds pour la défense, qui pourrait être doté de 100 milliards d'euros, soit un montant particulièrement ambitieux. En effet en 2022, selon l'Agence européenne de la défense, les Vingt-sept ont investi 58 milliards d'euros pour développer leurs capacités militaires en plus de leur budget traditionnel, soit une hausse significative de 6 %.

Compte tenu des réticences de certains États pour simplement financer la Facilité européenne pour la paix, alors que son utilité apparaît fondamentale dans le contexte de guerre en Ukraine, quelles modalités de financement pourrait-on explorer pour réussir à abonder un tel fonds ?

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

Ce montant de 100 milliards d'euros a été proposé par la première ministre estonienne, qui a même envisagé un mode de financement fondé sur des eurobonds. Nos équipes ont quant à elles travaillé sur deux dimensions.

La première concerne le suivi de la boussole stratégique. En compagnie de Josep Borrell, le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et de l'ensemble des Vingt-sept, nous avons travaillé pour la première fois à un Livre blanc de la défense européenne, tout en préservant – je le redis encore une fois – l'autonomie stratégique des États et leur souveraineté.

Aujourd'hui, la protection de quatre espaces contestés ne peut pas être nationale. Il s'agit de l'espace aérien au sens européen, de l'espace maritime – l'UE dispose de la première zone économique exclusive ou ZEE –, de l'espace cyber et du spatial. Pour ces quatre espaces, la décision a été prise de travailler ensemble et d'établir un bouclier européen. Dans le domaine cyber, un dôme de protection ou cyber shield est en phase de test dans trois pays. Il repose notamment sur des supercalculateurs et des programmes d'intelligence artificielle permettant de détecter précocement les menaces. Un même dôme de protection globale porte sur notre espace aérien, qui intègre évidemment une dimension antimissiles. La même réflexion doit concerner notre espace maritime, en sachant que nous ne disposons aujourd'hui que d'un seul porte-avions, grâce à la France. Cette protection de l'espace maritime concerne également les fonds marins, et notamment les câbles, les infrastructures sous-marines. Enfin, s'agissant de l'espace, nous avons développé une stratégie de déploiement d'une constellation de satellites de protection – IRIS² ou Infrastructure de résilience internet satellitaire sécurisée –, financée par le budget européen. Dans ce domaine, certaines infrastructures sont déjà partagées, qu'elles soient civiles ou militaires. Je pense notamment à Galileo, qui fournit une bien meilleure précision que le Global positionning system (GPS) américain.

La deuxième dimension a pour objet d'accroître le cofinancement de l'augmentation de notre appareil de production industrielle de défense, grâce aux 140 milliards d'euros supplémentaires que j'ai déjà mentionnés.

Les 100 milliards d'euros évoqués pour le fonds pour la défense doivent fournir une aide à l'ensemble des pays de l'Union, dont le PIB global est je le rappelle de 16 000 milliards d'euros. Nous sommes parvenus à lever 750 milliards d'euros pour faire face aux conséquences de l'épidémie de la Covid. Ensemble, je ne doute pas que nous trouverons les mécanismes pour financer ces 100 milliards. Ce montant important me semble néanmoins légitime compte tenu des risques existentiels auxquels nous ferions face si nous ne prenions pas plus en main notre défense.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Votre exposé très complet nous permet de démontrer combien, en cinq années, l'UE a avancé à pas de géant sur ces questions extrêmement importantes de souveraineté. Sous votre supervision, nous avons créé le marché intérieur au sein d'une politique européenne qui place au centre de ses priorités la souveraineté économique, technologique et industrielle.

Nous avions d'ailleurs rédigé un rapport, avec Didier Quentin, sur la question de l'autonomie stratégique, afin de réduire les dépendances critiques de l'UE grâce à l'innovation, la réindustrialisation et la régulation, mais également pour mettre fin à sa naïveté, notamment en matière commerciale. Nous appelions également à ce que l'Union se dote, à l'image des États-Unis, d'une Defense advanced research projects agency (DARPA), une agence du département de la défense chargée de la recherche et développement des nouvelles technologies destinées à un usage militaire.

Je souhaite vous interroger spécifiquement sur la question des négociations en cours sur le schéma de certification applicable aux services de cloud (EUCS). La France plaide en faveur d'un EUCS ambitieux afin de permettre à ses entreprises et à ses administrations d'avoir accès à des offres de cloud de confiance mais également pour disposer de toute la sécurité juridique nécessaire à l'amélioration de leur transformation numérique.

Elles ont en effet besoin de clarté, et les utilisateurs de cloud doivent être assurés que leurs données sont bien protégées. Je parle d'un point de vue technique mais également du point de vue des lois extraterritoriales, puisque les mesures juridiques et organisationnelles correspondent en France au service SecNumCloud. Or il semblerait que la dernière proposition renvoie aux États membres la possibilité de prévoir à l'échelle nationale un certain nombre de dispositifs. Notre inquiétude est notamment d'ordre juridique : les États membres seront-ils en mesure d'apporter une protection nationale supplémentaire aux données les plus sensibles de leurs organisations, quand bien même l'UE échouerait à se mettre d'accord sur cette ambition ?

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

Nous travaillons depuis de nombreuses années sur ce sujet, qui concerne la protection de nos données sensibles : il s'agit notamment de faire en sorte que l'extraterritorialité ne puisse pas s'appliquer pour celles qui ont un caractère critique. À ce titre, la Commission européenne partage la préoccupation d'un certain nombre d'États et en particulier de la France, qui est à la pointe dans ce domaine.

Je souhaite demeurer prudent et attentif mais je comprends parfaitement la position française. Je pense pouvoir vous dire que nous sommes en train de trouver une solution. Vous avez indiqué qu'il était difficile d'élaborer une vue harmonisée dans ce domaine au niveau européen. Ce sujet intéresse grandement nos amis américains, non seulement parce que nombre de ces infrastructures sont fournies par des entreprises américaines mais également pour d'autres raisons.

En tout état de cause, un certain nombre de pays ne sont pas aussi ambitieux que la France ou la Commission européenne. Mon travail consiste donc à trouver une voie vers l'harmonisation. Il n'est de secret pour personne que nous menons des rencontres bilatérales tous les trois mois avec nos homologues américains dans le cadre du Conseil du commerce et des technologies UE-États-Unis – EU-US Trade and Technology Council. Y participent trois représentants de la Commission et trois responsables américains, dont le secrétaire d'État Blinken. Dans le cadre de ce Conseil, cette question est souvent revenue. Le modèle que les États-Unis s'appliquent à eux-mêmes est très performant. J'ai proposé que nous nous en inspirions, pour agir de la même manière, de notre côté. C'est ce que nous nous efforçons de faire désormais.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le commissaire, vous avez assisté au discours du président de la République à la Sorbonne et avez salué les propositions qui ont été formulées pour l'avenir. Je souhaite revenir sur un thème de ce discours en particulier : le numérique, qui fait partie de votre portefeuille.

Lors de ce discours, le président de la République a notamment proposé d'établir dans toute l'Europe une majorité numérique à 15 ans, âge en dessous duquel une inscription, notamment sur les réseaux sociaux, ne pourrait s'effectuer sans accord des parents. Ce sujet me touche particulièrement et le groupe que je préside a porté une loi promulguée le 7 juillet dernier, qui fixe cette majorité numérique à 15 ans au niveau national. Je me réjouis que le chef de l'État place cet objectif au cœur de notre projet européen car protéger notre jeunesse, l'accompagner dans la jungle que peuvent être Internet, en général, et les réseaux sociaux, en particulier, représente un enjeu de civilisation. Ce seuil a d'ailleurs été repris dans le rapport sur les jeunes et les écrans remis ce jour au président de la République.

Je conviens qu'il s'agit là un sujet complexe et qu'une réponse au niveau européen, si elle conserve les fondements de la loi française, serait encore plus ambitieuse. Toutefois, je souhaite aussi signaler que le temps presse ; nous devons mener ce combat au pas de charge. Combien de jeunes enfants sont à cet instant précis sur les réseaux sociaux, sans aucune supervision parentale ? Combien de temps y ils passeront-ils ? Les temps d'écran parlent pour eux-mêmes et les experts sont formels : plus tôt, on s'en détache, moins dure est la désintoxication.

À l'heure où les États-Unis envisagent notamment d'interdire purement et simplement certaines plateformes, ne considérez-vous pas qu'il est urgent de permettre aux États membres d'appliquer des lois mieux-disantes sur ce sujet, en attendant une éventuelle législation européenne qui serait, je l'espère, portée par la France ?

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

Comme je l'ai évoqué précédemment, nous avons bâti des régulations horizontales, notamment en ce qui concerne les très grandes plateformes. Parmi les obligations qu'elles doivent respecter figurent des éléments sur l'âge ou l'usage. Nous avons d'ailleurs lancé certaines enquêtes à l'encontre de certaines de ces plateformes, qui ne répondent pas précisément à ces obligations contenues par la loi.

Le président de la République a émis une proposition concernant la majorité numérique et la loi le permet. De notre côté, nous avons établi une régulation transversale. À chaque fois que de nouveaux besoins ou de nouveaux risques seront susceptibles d'émerger, si le colégislateur le souhaite, la Commission européenne pourra proposer de nouvelles spécifications qui se grefferont sur l'architecture horizontale.

Dans le cas d'espèce, il sera nécessaire d'établir un instrument pour pouvoir s'identifier et reconnaître cet âge. À cet égard, l'identité numérique européenne sur laquelle nous travaillons permettra de renforcer cette proposition. Dans l'immédiat, je voulais établir un certain nombre d'obligations vis-à-vis des plateformes. Certaines ne les appliquent pas. Si elles persistent et ne corrigent pas leur politique, elles seront sanctionnées.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le commissaire, je salue votre action dans le domaine numérique, notamment le Digital Services Act, mais aussi votre courage d'avoir écrit au gouvernement français pour lui rappeler que sa loi sur la sécurisation par la régulation de l'espace numérique venait très largement dénaturer le travail que vous avez réalisé à la Commission européenne.

L'UE a montré d'évidentes lacunes politiques dans la réponse à la tragédie en Palestine. Des produits fabriqués dans les colonies israéliennes continuent d'arriver sur le marché unique. L'Union a mis en place une stratégie de certification pour identifier ces produits, mais pourquoi ne pas simplement les interdire ?

Ensuite, si le projet de fonds de défense doté de 100 milliards d'euros est intéressant, comment coordonner les efforts des États membres pour disposer d'une base industrielle compétitive en Europe ? Je rappelle que les Allemands et les Européens continuent d'acheter très largement aux États-Unis à ce jour.

Enfin, en tant que commissaire européen chargé du marché intérieur et de la politique industrielle, vous avez donc la charge de défendre les intérêts stratégiques européens. Mais vous avez aussi occupé de précédentes fonctions à la tête de l'entreprise Atos, dont les récentes turbulences financières soulèvent des préoccupations quant à la gestion de nos actifs stratégiques. Cette entreprise a choisi d'acquérir des géants américains, qui ont conduit à la situation que nous connaissons aujourd'hui. L'arrivée de Daniel Kretinsky, un investisseur tchèque, dont l'offre est soutenue par les banques et reçoit l'approbation apparente de certains membres du Gouvernement, suscite la crainte d'une perte de contrôle sur des technologies essentielles. Au moment où le chef de l'État parle finalement d'européaniser la stratégie de dissuasion nucléaire, pouvez-vous nous rassurer sur le fait qu'une telle transaction ne conduise pas à renforcer des vulnérabilités stratégiques de la France ?

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

J'ai dirigé Atos pendant onze années. Ce secteur s'est historiquement construit par des acquisitions en France et en Europe. Lorsque j'ai rejoint ce qui s'appelait à l'époque Atos Origin, l'entreprise s'était forgée à partir de cinq grandes acquisitions successives : Axime, Sligos, Cegos, KPMG, Origin. Lors de mes années de direction, j'ai réalisé quatre acquisitions, qui ont toutes été financées sans endettement net. Elles ont permis effectivement de construire une entreprise leader dans la cybersécurité ; les supercalculateurs ; les serveurs, dont les serveurs quantiques ; la gestion sécurisée des données. Je n'ai donc pas d'autres commentaires à effectuer à ce sujet. Ces opérations ont été décidées avec l'ensemble du conseil d'administration et des parties prenantes car nous pensions qu'il était essentiel de disposer, en Europe, d'une entreprise capable de gérer ses éléments stratégiques, qui ont été patiemment constitués, également grâce au travail remarquable des salariés.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le commissaire, vous avez parlé de « naïveté » ; je pense pour ma part que l'ultralibéralisme européen a guidé les politiques européennes pendant des années. De leur côté, les Américains emploient une politique protectionniste et rapatrient des productions et des capitaux aux États-Unis. Je pense notamment à l'attitude d'ExxonMobil vis-à-vis de sa raffinerie à Fos-sur-Mer et de l'usine chimique dans l'agglomération du Havre. Malheureusement, le Gouvernement a peu réagi à la suppression de 677 emplois à Notre-Dame-de-Gravenchon. Il en va de même pour l'UE. L'Union compte-t-elle maintenir une industrie de haut niveau de qualité sociale, environnementale et sécurisée pour les salariés sur le territoire, plutôt que laisser des industriels guidés par l'intérêt financier des actionnaires dépecer des activités ?

Je vous interroge également concernant le soutien de l'UE aux Nations Unies au sujet de la négociation d'un traité contraignant sur la restriction du développement de systèmes d'armes autonomes. Une conférence se tient à Vienne en ce moment sur ce sujet crucial. Qu'en pensez-vous ? Quelle est votre politique en matière d'intelligence artificielle ? Quelles actions l'UE entreprend-elle pour établir des normes éthiques et juridiques sur son usage, comme cela a été le cas pour le clonage ?

Enfin, je souhaiterais connaître votre position sur la mise en œuvre d'un système européen de surveillance des activités spatiales et de suivi des débris spatiaux indépendant des États-Unis. Ma dernière observation concerne les systèmes de retour de satellites obsolètes, obligatoires dans la législation française. Quand cela sera-t-il le cas au niveau européen, afin d'éviter les distorsions de concurrence sur cette industrie à l'échelle continentale ?

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

S'agissant de votre dernier point, nous travaillons actuellement sur une loi spatiale, une Space Law, pour encadrer le trafic spatial en mettant en place des règles visant à limiter les risques de collisions et à gérer les débris.

Le domaine spatial fait effectivement partie de mon portefeuille, en lien avec la boussole stratégique. Nous avons lancé un appel d'offres pour la constellation IRIS, afin de pouvoir répondre en particulier à des besoins de connectivité partout en Europe mais aussi sur des théâtres d'opérations, grâce à des applications gouvernementales ou militaires en matière de communication, et enfin pour disposer d'importantes capacités de surveillance de l'espace par l'espace. Il s'agit, là aussi, d'être autonomes. Tout le monde a pu constater que, faute de disposer d'un tel système autonome, l'Ukraine avait dû faire appel à une entreprise privée américaine.

Par ailleurs, je considère que nous devons absolument mener une action spécifique pour toutes les industries de la chimie au sens large : des industries mal aimées et insuffisamment défendues, alors même qu'elles sont stratégiques pour pratiquement toutes nos activités. Sans chimie, il est impossible d'atteindre les objectifs en matière de décarbonation, de fabrication de semi-conducteurs, dans le domaine de la santé. En conséquence, je souhaite travailler sur l'établissement d'un acte spécifique, un Chemical Act. Il s'agit notamment d'éviter que certaines entreprises ferment leurs usines pour s'installer dans des pays peut-être moins contraignants, moins exigeants que nous en matière de normes environnementales, de protection de la biodiversité, de protection des espèces et de l'environnement. Tout en conservant l'ensemble de ces protections, nous devons nous efforcer d'aider ces industries à se moderniser pour continuer à rester compétitives, y compris sur le territoire européen puisqu'elles constituent des éléments très importants de notre autonomie, de notre souveraineté.

J'effectuerai également une proposition sur l'IA, qui constituera le premier acte réglementaire global de l'intelligence artificielle au monde. À ce titre, nous avons identifié les usages de façon très claire, y compris ceux auxquels vous faites référence.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le commissaire, en vous écoutant, j'ai compris comment la technocratie de Bruxelles se servait d'une démocratie européenne fictive pour imposer la création d'un État fédéral hors sol et tenter maintenant d'imposer une défense supranationale totalement liée à l'OTAN. Emmanuel Macron approuve cette transformation et les Français ont bien compris qu'il n'était plus le président de la République française mais le gouverneur d'une région européenne de plus en plus obéissante et servile. Cette liquidation de la nation signe la disparition de notre démocratie.

Les peuples ne supportent plus cette dépossession. Ce système n'est pas efficace car il n'est pas légitime. En Europe, la richesse par habitant, entre 2003 et 2022, montre un déclassement par rapport aux États-Unis, malgré votre talent. Dans la réalité, seule une Europe des coopérations, à la carte, de nations libres pourrait permettre de relever les défis que vous voulez sans doute relever.

Vous évoquez les chaînes de valeur. Que pensez-vous, dans ce cas, de l'interdiction des moteurs thermiques en 2035 et du suicide de l'industrie automobile ? Pour l'éviter, il faudra revenir sur cette norme. Ensuite, en matière de production énergétique, le nucléaire a été sacrifié ; le conflit sur l'Ukraine est alimenté autant que faire se peut quand une voie de paix serait possible, alors même qu'il a introduit un déclassement terrible de l'industrie allemande et européenne. De même, nous payons le gaz quatre fois plus cher, au service des intérêts américains. Les peuples auront-ils le droit de voter sur l'élargissement à l'Ukraine ?

Enfin, Mme von der Leyen est-elle encore légitime alors qu'elle refuse de répondre aux institutions européennes qui lui demandent de publier ses SMS – Short message services – concernant les commandes de vaccins lors des négociations secrètes qu'elle a tenues avec le président de Pfizer.

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

Sur l'interdiction de produire des véhicules neufs à moteurs thermiques, j'avais proposé pour ma part, es qualité, de disposer d'un peu plus de temps, c'est-à-dire de fixer un horizon à 2040. Il se trouve que la démocratie européenne – c'est-à-dire le Parlement et le Conseil – a retenu l'échéance de 2035. J'ai cependant rajouté une clause de revoyure en 2026, qui a pour objet d'établir un premier bilan. Transformer l'ensemble du secteur automobile dans un délai aussi court constitue un défi majeur, qui n'est cependant pas inatteignable. Pour y parvenir, je réunis tous les trois mois l'ensemble des parties prenantes : les constructeurs automobiles, les fabricants de batteries, les producteurs de lithium, les fournisseurs de grids, les fournisseurs de bornes, les fournisseurs d'énergie électrique décarbonée. Pour le moment, nous sommes en retard et il est nécessaire d'accélérer, comme en témoignent les indicateurs publics que nous avons mis en place. Encore une fois, nous répondons en ce sens aux demandes de la démocratie européenne.

Il en va de même concernant l'énergie, sujet absolument majeur. Nous allons devoir électrifier l'ensemble de notre continent, évidemment de façon décarbonée. Dans ce contexte, l'énergie nucléaire est appelée à jouer un rôle très important. Puisque vous me suivez visiblement sur les réseaux sociaux, vous savez que j'ai été de ceux qui ont beaucoup insisté pour remettre l'énergie nucléaire au goût du jour. Chaque pays demeure maître de son mix énergétique mais nous avons rendu l'énergie nucléaire acceptable et acceptée par l'ensemble de nos collaborateurs et dans toutes nos régulations : de fait, l'ensemble de nos régulations, actes et lois considère le nucléaire à part entière, au même titre que d'autres sources d'énergie.

Le prix du gaz a quant à lui diminué de manière très marquée, et même incroyable en passant de 300 euros le mégawattheure à moins de 20 euros, ce qui témoigne de la très grande volatilité des marchés de l'énergie, qui demeurent assez mystérieux. En effet, en la matière, le véritable indicateur concerne la parité de pouvoir d'achat. Or la parité de pouvoir d'achat européenne n'a pas varié avec celle des États-Unis depuis 2000. Cela ne doit certes pas nous exonérer de conduire des actions pour améliorer notre compétitivité. Ensuite, il faut également rappeler que la démographie joue aussi un rôle important en matière de croissance. Entre 2000 et 2024, la population américaine s'est accrue de 18 % – contre seulement 4 % en Europe –, quasi exclusivement par l'immigration.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vont à présent s'exprimer les collègues qui le désirent, à titre individuel.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Permettez-moi d'évoquer avec vous le fonds européen de développement régional (Feder). Ce fonds incarne l'engagement de l'Union à réduire les disparités entre les régions européennes en soutenant des initiatives promouvant la croissance économique, l'innovation, la création d'emplois, l'accessibilité, le développement durable et la cohésion sociale. De fait, entre 2019 et 2022, 450 000 tablettes et ordinateurs portables ont par exemple été financés pour les lycéens et les professeurs des lycées d'Île-de-France, notamment, dans ma circonscription.

Le Feder représente un levier méconnu par nos concitoyens mais pourtant essentiel pour stimuler notre développement économique et propulser une Europe plus verte, plus attentive aux besoins de ses citoyens. Alors que 9 milliards d'euros sont alloués à des projets en France pour la période 2021-2027, de quelle manière pourriez-vous offrir plus de visibilité aux Français, afin qu'ils mesurent mieux combien et comment l'UE contribue à l'investissement et à développer le bien vivre en Europe et en France ?

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

Le Feder et les fonds de cohésion constituent effectivement l'un des grands succès de l'Europe, afin de bâtir à la fois un continent plus homogène et qui maintienne une équité de plus en plus semblable. Nous devons poursuivre cette action, qui contribue à rapprocher l'ensemble de nos concitoyens.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dimanche 25 avril, Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, a déclaré avoir adressé une lettre d'intention à Atos, géant informatique français actuellement en difficulté, dans le but d'acquérir toutes les activités souveraines de l'entreprise. Il a souligné que cette démarche vise à empêcher que ce secteur clé pour la France ne tombe sous le contrôle d'acteurs étrangers. Avec plus de 110 000 collaborateurs et un chiffre d'affaires annuel d'environ 11 milliards d'euros, Atos est un leader international de la transformation digitale, également présent dans ma circonscription depuis une cinquantaine d'années, où le groupe a inauguré, en 2021, un nouvel espace de recherche et de développement spécialisé dans le cloud et les supercalculateurs aux Clayes-sous-Bois.

Vous avez dirigé pendant onze ans ce groupe d'informatique français aujourd'hui en difficulté financière. Cette entreprise fut leader dans les domaines les plus critiques pour le traitement des données. Lorsque vous l'avez quittée, il y a cinq ans, l'ex-fleuron de la French tech était devenu numéro un en matière de services de cyber-sécurité en Europe et numéro trois mondial. Le groupe n'avait à l'époque aucune dette nette. Compte tenu des difficultés actuelles de l'entreprise, considérez-vous que la proposition d'intervention de l'État français constitue une bonne solution ? N'y aurait-il pas d'autres opportunités, d'autres possibilités de soutien de l'Europe, afin de créer un fleuron européen du numérique, sur même modèle qu'Airbus, par exemple ?

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

Comme je l'ai précédemment indiqué, ce secteur s'est construit par les acquisitions. L'entreprise Capgemini en constitue un exemple flagrant. Cette entreprise, dont le chiffre d'affaires était à peu près équivalent à celui d'Atos en 2011, a procédé à trente-deux acquisitions, dont cinq majeures et a intégré 100 000 collaborateurs supplémentaires. De son côté, Atos en a réalisé quatre, qui ont été autofinancées et n'ont pas dégradé la dette nette de l'entreprise. Ces acquisitions ont été choisies par le conseil d'administration, pour construire une infrastructure permettant de gérer de façon sécurisée les données des Européens, notamment à travers la puissance de calcul à laquelle vous faites référence. Pour y parvenir, nous avions d'ailleurs établi, à l'époque, un très fort partenariat franco-allemand, notamment avec l'entreprise Siemens.

J'ai quitté l'entreprise depuis cinq ans et je ne sais plus ce qu'il s'y passe précisément. J'ai constaté comme tout le monde que cinq ou six directeurs généraux s'étaient succédé, ce qui a nécessairement accru la complexité et diminué la lisibilité de l'entreprise, à la fois pour les clients et pour les salariés. Aujourd'hui, les actifs demeurent et il importe qu'ils restent en Europe, notamment ceux de Clayes-sous-Bois. Sur le reste, je n'ai pas de commentaires à formuler concernant les décisions qui pourraient être prises, y compris par l'État français.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le commissaire, vous avez présenté, le 5 septembre 2023 une proposition de directive sur les associations transfrontalières européennes (ATE). Celles-ci pourront exercer dans un autre État membre que celui où elles sont déclarées. Les ATE enregistrés dans un autre État membre auront leur personnalité et leur capacités juridiques directement reconnues sans devoir se déclarer ou avoir un siège social en France. Cela suscite des interrogations quant à la capacité à contrôler les conditions de création des structures, les objets, les antécédents des dirigeants, les financements et l'impossibilité d'en refuser la création, le cas échéant.

Par ailleurs, seul l'État membre d'enregistrement peut solliciter les informations spécifiques, notamment pour apprécier si l'ATE satisfait aux règles de droit national lorsque des préoccupations émergent. Ensuite, l'autorité administrative française ne peut refuser l'enregistrement d'une ATE, ni la dissoudre en cas d'activités illicites contraires au droit national. Enfin, nous ne pouvons pas vérifier les questions d'ingérence étrangère sur les financements. La dissolution de l'ATE ne peut résulter que d'une décision de l'État membre d'origine et pas des autres États membres où elles exercent. Il est donc possible d'imaginer qu'une association menacée de dissolution en France aille à l'étranger, voire qu'une association dissoute ne se reforme à l'étranger.

Pourquoi avez-vous présenté un texte aussi dangereux ?

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

Les associations jouent un rôle très important dans notre vie mais aussi dans la vie économique et sociale ; il faut le reconnaître. Nombre d'entre elles exercent des activités locales ou régionales mais certaines auraient vocation à exercer des activités plus larges, dans la mesure où le service qu'elles offrent peut dépasser le cadre des frontières nationales.

La proposition ne consiste pas à créer un vingt-huitième régime juridique mais à faciliter l'activité des associations dans l'ensemble de l'UE, notamment celles qui sont localisées dans des zones transfrontalières. Le Parlement s'est emparé de cette proposition, qui est aujourd'hui discutée au sein du Conseil européen. Par conséquent, c'est auprès du Conseil qu'il faut faire entendre les questions légitimes. Il est d'ailleurs probable que la position du Conseil soit différente de celle du Parlement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le 5 mars 2024, la Commission européenne a dévoilé la stratégie industrielle européenne de défense (EDIS). Elle s'inscrit dans l'idée d'Ursula von der Leyen de proposer un commissaire à la défense et dans la continuité de la boussole stratégique. Un des volets de la stratégie EDIS implique que les États membres acquièrent 40 % de leurs équipements militaires de manière conjointe. Cela ne risque-t-il pas de lier la France dans ses achats militaires et, par conséquent, de porter une grave atteinte à notre souveraineté ? En outre, il est également question de pouvoir sécuriser un budget de 100 milliards d'euros pour cette stratégie. De quelle manière ce financement sera-t-il partagé entre les États membres ?

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

Je me suis déjà exprimé sur ce sujet. S'il existe effectivement un commissaire aux industries de défense, les États membres sont seuls responsables de l'intégralité de leur défense. Il n'a jamais été question de remettre cette souveraineté en cause mais plutôt d'établir des coordinations qui peuvent s'exercer sur un certain nombre d'actions, par exemple l'envoi d'une mission ou le rapatriement de nos concitoyens. Cette coordination est assurée dans le cadre d'un dialogue entre les États membres – qui sont les seuls dépositaires de cette responsabilité de défense – et le haut représentant.

Ensuite, il importe que nos marchés soient encore plus importants en matière de défense, afin que nos industries puissent augmenter leurs capacités et leurs outils de production, notamment grâce à des commandes groupées de plusieurs pays. De telles actions permettent ainsi de donner à nos industries de défense la profondeur qui leur permettra de monter en cadence et d'accroître leurs capacités de production.

Dans le cadre d'EDIS, si les États membres veulent pouvoir bénéficier d'un financement complémentaire pour les aider dans leurs acquisitions, ils doivent travailler plus ensemble. Si un État membre ne souhaite pas bénéficier d'une petite dotation complémentaire telle qu'elle est prévue dans EDIS, libre à lui de réaliser l'intégralité de ses armements là où il le souhaite.

Enfin, je me suis déjà exprimé sur les 100 milliards d'euros. Nous évaluons toutes les solutions possibles, y compris l'éventualité d'un endettement commun, comme cela a été le cas pour NextGenerationEU, dans le cadre de notre réponse commune à la crise Covid. Aucune décision n'a été arrêtée pour le moment et ce sujet fera l'objet d'une discussion par les États membres lors du Conseil européen des 27 et 28 juin.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'idéologie transhumaniste qui se développe outre-Atlantique est portée par des magnats américains, au premier rang desquels figure Elon Musk. Celui-ci multiplie les prophéties en ce moment, en nous expliquant qu'après avoir augmenté l'intelligence artificielle et à l'heure où l'on parle d'intelligence artificielle générale – la forme la plus aboutie d'IA –, l'homme devrait donc être « augmenté » pour demeurer compétitif. Des centaines de milliards de dollars sont ainsi investis dans la recherche.

Vous avez évoqué les chaînes de valeur. Je ne crois pas que l'Europe participe à cette course à l'augmentation de l'homme et je m'en réjouis. Néanmoins, quel rôle joue l'Union européenne en matière de principe de précaution, pour éviter que nous nous retrouvions devant le fait accompli d'ici quelques années ou quelques décennies ?

Permalien
Thierry Breton, commissaire européen

La réalité augmentée et le transhumanisme font partie de ces tendances qui émergent, en particulier sur la côte Ouest des États-Unis. Notre attitude concernant l'intelligence artificielle nous permet de couvrir ce type d'excès, dans l'approche des risques. Les applications en question nécessitent d'entraîner des modèles, ce qui implique de disposer de puissances de calcul extrêmement importantes. La régulation européenne concerne tous les modèles qui nécessitent plus de 10 puissance 25 flops. En l'espèce, les applications dont il est question seront vraisemblablement concernées par notre régulation : nous disposons donc des outils utiles.

Par ailleurs, nous sommes conscients de ne pas avoir la science infuse. En conséquence, nous proposons une régulation de notre espace informationnel mais il sera naturellement nécessaire de s'adapter aux évolutions technologiques. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place des régulations transverses, comme je vous l'ai indiqué précédemment. Nous avons également mis en place un Bureau sur l'intelligence artificielle – AI office –, animé par mes services et doté d'un conseil scientifique, qui se réunit de façon régulière. Si nous constatons que des ajustements doivent être menés, des propositions seront effectuées en temps réel.

Nous n'avons pas la prétention de croire que nous pouvons anticiper tout ce que la créativité humaine peut produire – en bien ou en mal – dans les applications liées à cette technologie mais nous disposons désormais des outils pour pouvoir y répondre rapidement, y compris, si nécessaire, à travers des lois spécifiques qui viendraient se greffer sur l'architecture que nous avons bâtie, en particulier les actes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez la responsabilité de sept portefeuilles, monsieur le commissaire. Thomas Edward Lawrence avait écrit les Sept piliers de la sagesse ; vous pourriez quant à vous intituler vos mémoires Les sept piliers de la puissance.

Cette audition arrive à son terme. Au nom de la commission, je vous remercie infiniment pour vos propos précieux concernant des sujets essentiels. Quel que soit le destin que le sort vous réserve, vous serez toujours le bienvenu parmi nous.

La séance est levée à 19 h 00.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Élisabeth Borne, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Bertrand Bouyx, M. Jérôme Buisson, Mme Eléonore Caroit, M. Pierre Cordier, M. Alain David, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Philippe Emmanuel, M. Thibaut François, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, M. Michel Guiniot, M. Benjamin Haddad, M. Michel Herbillon, M. Arnaud Le Gall, M. Jean-Paul Lecoq, M. Laurent Marcangeli, Mme Nathalie Oziol, M. Jimmy Pahun, M. Didier Parakian, M. Kévin Pfeffer, Mme Béatrice Piron, Mme Laurence Robert-Dehault, M. Aurélien Taché, M. Olivier Véran, Mme Laurence Vichnievsky

Excusés. - M. Sébastien Chenu, M. Olivier Faure, M. Meyer Habib, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, Mme Karine Lebon, M. Nicolas Metzdorf, Mme Mathilde Panot, Mme Mereana Reid Arbelot, M. Éric Woerth, Mme Estelle Youssouffa