Intervention de Philippe Pradal

Séance en hémicycle du mardi 30 avril 2024 à 15h00
Motion de rejet préalable — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Pradal :

La proposition de loi vise à instituer une confidentialité de certains avis juridiques rédigés par certains juristes d'entreprise. Je tiens à le dire clairement à la tribune, elle ne vise en aucun cas à créer un statut d'avocat en entreprise, à accorder une confidentialité générale et in personam aux juristes d'entreprise sur le modèle de celle des avocats ou encore à concurrencer la profession d'avocat. Si cela avait été le cas, nous aurions exprimé des réserves sur ce texte.

L'objectif de cette proposition de loi est simple : instaurer un legal privilege au bénéfice d'actes remplissant des conditions strictes attachées tant à l'auteur du document qu'à son destinataire et à la nature de l'acte. Le rédacteur de la consultation devra remplir des exigences précises de qualification et de formation. Le destinataire de cette consultation ne pourra être que le représentant de l'entreprise, son organe de direction, d'administration ou de surveillance, ou ceux de ses filiales. Une mention obligatoire devra être expressément apposée sur le document concerné. Le rédacteur devra être identifié et le document fera l'objet d'un archivage spécifique dans les dossiers numériques de l'entreprise. Une procédure claire de levée de la confidentialité est prévue et, pour celle-ci – il faut le dire –, l'assistance d'un avocat sera obligatoire.

Cette disposition est indispensable aux entreprises françaises car elle contribue à la protection de notre souveraineté. Nous le savons, les entreprises évoluent dans un monde économique international dans lequel elles ont besoin d'un nombre croissant d'avis juridiques pour les opérations qu'elles réalisent quotidiennement, dans un contexte marqué notamment par l'accroissement du nombre d'obligations de conformité.

Cela pose la question de la confidentialité des avis juridiques et de leur protection vis-à-vis des tiers, des concurrents comme des autorités. Rappelons que la France est l'un des seuls pays européens au sein duquel les avis des juristes d'entreprises, qu'ils soient anciens avocats ou diplômés en droit, ne sont pas protégés. Cette absence de protection place donc la France dans une situation de grande vulnérabilité face aux demandes d'informations ou de pièces provenant de parties étrangères ou d'autorités étrangères qui appliqueraient des lois à portée extraterritoriale, notamment états-uniennes.

Protéger les avis juridiques des juristes d'entreprise, c'est protéger les entreprises françaises qui sont actuellement dans une situation concurrentielle particulièrement inégale et défavorable, laquelle les rend vulnérables à des manœuvres d'entreprises étrangères à la recherche d'informations confidentielles sur leurs concurrents français.

Par ailleurs, cette protection contribuerait à renforcer l'attractivité économique du territoire français à l'heure où cette absence conduit les entreprises françaises à recruter des directeurs juridiques non français, notamment des avocats anglo-saxons, ou encore à délocaliser à l'étranger tout ou partie de leurs directions juridiques, afin de faire bénéficier leurs services juridiques de la protection des avis juridiques qui n'existe pas encore en France.

En outre, d'après les auditions menées, la reconnaissance en droit français de la confidentialité des avis des juristes d'entreprises ne semble en rien contraire à nos engagements européens. Bien que la Cour de justice de l'Union européenne ait jugé que la confidentialité des communications entre une entreprise et ses avocats internes ou juristes d'entreprise n'est pas protégée, il n'en résulte aucune interdiction formelle faite aux États membres de reconnaître une telle confidentialité dans les procédures internes. Par ailleurs, et afin de s'assurer de la pleine compatibilité de ces dispositions avec les normes européennes, l'opposabilité de la confidentialité ne sera possible que « sous réserve du pouvoir de contrôle des autorités de l'Union européenne », selon la formule ajoutée opportunément lors de l'examen en commission des lois.

Je rappelle ces éléments avec aisance car ils ont été établis par de nombreux rapports, parlementaires ou d'experts, depuis plus de vingt ans. Je tiens à saluer le travail mené par l'excellent Jean Terlier à l'Assemblée et par le sénateur Louis Vogel sur ce sujet essentiel qui avait déjà abouti à l'adoption d'une telle disposition dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice. Je connais leur engagement et leur attachement aux principes fondamentaux du système judiciaire français, notamment au secret professionnel des avocats qui en constitue l'un des piliers. Je le partage.

C'est d'ailleurs dans cette dynamique que nous avons soutenu l'adoption de plusieurs amendements en commission des lois, en particulier la suppression de toute référence à la notion de « déontologie », source de confusion avec les spécificités de la profession d'avocat. En effet, nous sommes convaincus qu'il faut lui préférer l'obligation de suivi d'une formation aux règles éthiques.

Vous l'aurez compris, parce que le texte préserve une distinction nette entre la profession d'avocat et celle de juriste d'entreprise et parce qu'il apporte de nombreuses avancées, le groupe Horizons et apparentés le votera.

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